Le Conseil Constitutionnel a été saisi par la Cour de Cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L228 du LPF.
Pour mémoire, l’administration fiscale bénéficie d’un monopole en matière de mise en mouvement de l’action publique pour des faits de fraude fiscale dit « verrou de Bercy »
En effet, aux termes des articles 1741 du CGI et L. 228 du LPF, aucune poursuite pénale ne peut être engagée à l’heure actuelle en matière de fraude fiscale en l’absence de plainte préalable de l’administration.
Il s’agit d’une organisation très ancienne permettant à l’administration fiscale de procéder à des redressements fiscaux et d’appliquer des pénalités et sanctions fortement dissuasives et productrices de recettes significatives pour le budget de l’Etat.
Largement contestée cette disposition avait fait l’objet d’une suppression dans le cadre des débats au Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ( Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 )
En effet des sénateurs avaient adopté un amendement visant à lever partiellement ce qu’on appelle communément le « verrou de Bercy », en prévoyant la possibilité pour l’autorité judiciaire d’engager des poursuites sans autorisation préalable de l’administration :
-
d’une part, lorsque les faits sont apparus à l’occasion d’une enquête ou d’une instruction portant sur d’autres faits ;
-
d’autre part, lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou par le recours à diverses manœuvres. Les sénateurs auteur de l’amendement faisaient valoir que cet état du droit, fortement dérogatoire au droit commun et aux principes généraux de l’organisation judiciaire, soulève de légitimes objections, notamment lorsque les faits de fraude fiscale apparaissent au cours d’une enquête ou d’une instruction ouverte pour d’autres faits et que, faute de plainte de l’administration fiscale, l’autorité judiciaire est contrainte de « fermer les yeux ».
En définitive l’amendement en question avait été supprimé.
Plus récemment dans le cadre des débats sur le projet de loi «Lutte contre le crime organisé et le terrorisme» , le Sénat avait adopté un amendement d’Eric Bocquet visant à permettre que certaines infractions puissent être poursuivies dans la globalité de leurs implications, notamment quand la fraude fiscale et économique vise au financement d’activités criminelles dangereuses pour la sécurité publique.
En pratique, il prévoyait d’ajouter au début du premier alinéa de l’article L. 228 du LPF la phrase suivante : « À peine d’irrecevabilité, hors les cas de connexité avec d’autres infractions faisant l’objet d’une procédure judiciaire ou de découverte incidente dans le cadre d’une procédure pénale, les plaintes (le reste sans changement) .
Cet amendement a été intégré à l’article 16 bis AA du projet de loi adopté au Sénat … mais l’article 16 bis AA a été supprimé par la commission mixte paritaire !
Décision de la Cour de cassation
Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
«Les dispositions prévues par l’article 10t de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 portent-elles atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et à l’article 64 de la Constitution qui garantit l’indépendance des juridictions ? ;
Attendu que la disposition législative contestée, devenue l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, est applicable à la procédure et n’a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;
Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que l’article L. 228 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au 1°' janvier 2010 qui subordonne les poursuites pour fraudes fiscales à une plainte préalable de l’administration fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, est susceptible de porter une atteinte injustifiée aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs, en privant le ministère public de la plénitude de son pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites au bénéfice du ministre chargé du budget ;
D’où il suit qu’il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;»