La lutte contre la fraude fiscale fait obligation pour beaucoup d’entreprises de s’équiper d’une caisse enregistreuse plus fiable fiscalement parlant pour le 1er janvier 2018 et d’obtenir une attestation de l’éditeur du logiciel de caisse qui sera réclamée en cas de contrôle.
Cette nouvelle obligation faite aux commerçants acceptant les paiements en espèces et assujettis à la TVA fait suite au développement des fraudes permises par les logiciels, que ce soit dans leur utilisation par les commerçants eux-mêmes ou par les éditeurs lors de la conception des logiciels de caisse.
Elle répond à l’incapacité qu’ont les contrôleurs des impôts de vérifier techniquement les possibilités des matériels et au souci des pouvoirs publics de simplifier les moyens de preuve pour l’exercice des contrôles. Il s’agit aussi de mettre en place tout un système de dissuasion plus vaste qu’auparavant puisqu’un contrôle inopiné (article L. 80 O du LPF) est mis en œuvre pour vérifier simplement de la possession de l’attestation. Encadrement des commerçants donc mais aussi des éditeurs de logiciels dont certains ont pu inciter à la fraude.
Les risques encourus jusqu’à cette nouvelle mesure sont importants et méritent une étude jurisprudentielle.
Introduction
La presse écrite régionale a pu se faire l’écho de poursuites correctionnelles contre des pharmaciens.[1] peu scrupuleux ayant eu recours à des logiciels frauduleux pour minorer leurs recettes taxables.
Même si certains d’entre eux ont été relaxés.[2], d’autres ont été condamnés après contrôle fiscal et dépôt d’une plainte pour fraude fiscale par l’administration. Les éditeurs de logiciels.[3] sont poursuivis de leur côté pour complicité.[4] de fraude fiscale. S’agissant du secteur des officines de pharmacie, l’administration a en effet constaté chez un éditeur de logiciels des possibilités de dissimulation de recettes et un contrôle de plus de 1500 pharmacies a pu être opéré.
Ce plan de contrôle, appelé Opération Caducée pour les pharmacies, a été développé auprès d’autres catégories professionnelles car si la fraude concerne en ce domaine les médicaments non remboursés et la parapharmacie réglée en espèces, d’autres professions.[5], moins soumises à des recoupements possibles avec des tiers, peuvent avoir intérêt à transformer en logiciels frauduleux un logiciel permettant au départ simplement à réparer des erreurs de caisse.
Les pouvoirs publics ont donc créé une disposition dans la loi de finances 2016.[6] rendant obligatoire un logiciel de caisse certifié.[7].
Est rendu contraint l’utilisation d’un logiciel ou système sécurisé, c’est-à-dire satisfaisant à des conditions d’inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d’archivage des écritures de caisse.
La détention d’un logiciel par une entreprise qui ne serait pas en mesure de justifier qu’elle utilise un logiciel ou un système sécurisé est passible d’une amende fiscale.[8]. L’administration n’a même pas à démontrer l’usage frauduleux du logiciel ou système de caisse pour appliquer l’amende.
La fraude de caisse par logiciel permissif
Le dispositif de vigilance sur les logiciels de caisse vient en complément au cadre juridique posé pour le contrôle des comptabilités informatisées.[9].
Sans aborder ici ce point, la définition de la fraude (A) et les sanctions (B) que cela suppose méritent déjà d’importants développements. A noter toutefois que l’utilisation d’un logiciel.[10] qui présenterait des fonctionnalités facilitant la fraude est à elle seule insuffisante pour présumer l’existence d’une fraude ; des éléments complémentaires sont nécessaires, tirés de la reconstitution du chiffre d’affaires, d’éléments d’analyse comptable par des ratios, de dénonciation par un aviseur, d’analyse de documents pour des entreprises du même secteur géographique ayant la même activité par exemple.
A. Aspects de la fraude de caisse
Définition. La fraude de caisse est opérée par des manipulations à l’aide d’une clé informatique spécialement programmée à cet effet ou par l’utilisation d’un logiciel non sécurisé. Un logiciel de caisse sécurisé doit pouvoir répondre à la traçabilité de certaines opérations dans un fichier non modifiable : abandon de saisie de vente, suppression d’une ligne de ticket au cours d’une saisie, modification d’une vente à une autre date que celle du jour, annulation de tout ou partie d’un ticket encaissé par exemple.
La fraude n’est généralement pas opérée par ce seul moyen notamment dans la catégorie professionnelle des bars restaurants où elle peut être prouvée par l’administration fiscale établissant qu’une part importante des justificatifs d’achats.[11] sont constitués de bandes de caisses de supermarchés, ne portant pas la mention de l’acheteur et ne permettant pas dès lors de contrôler l’affectation des achats. Des achats de bouteilles.[12] peuvent aussi être non répertoriés dans les stocks de fin d’année ou ne se retrouvent pas dans le détail des recettes lors de la vente.
La fraude de caisse par logiciel permissif est ainsi opérée avec l’emploi d’un système informatique intégré dans le logiciel dont l’entreprise a fait l’acquisition et utilisé avec la complicité de l’éditeur ou effectuée en complément d’un processus plus complet de dissimulation des opérations comptables concourant à l’établissement du résultat de l’entreprise. Les systèmes informatisés d’encaissement, souvent dénommés « CAISSES ENREGISTREUSES », existent en effet sous différentes formes :
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les caisses enregistreuses autonomes, qui ne peuvent pas communiquer avec d’autres systèmes de caisse ou un système centralisateur ;
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les systèmes de caisse qui communiquent entre eux (plusieurs terminaux de paiement étant reliés à un logiciel), sans pour autant inclure une gestion comptable et financière ;
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les systèmes de caisse enregistreuse plus élaborés qui communiquent entre eux et sont complètement intégrés, en assurant eux-mêmes la tenue de la comptabilité et des stocks.
Le principe essentiel auquel doit répondre n’importe lequel de ces systèmes est qu’une fois saisie, une opération ne peut plus être modifiée sans laisser de trace.
Le recours à un logiciel de caisse dédié permet évidemment de standardiser la fraude mais celle-ci n’a nul besoin d’un logiciel sophistiqué pour s’effectuer. Les moyens de fraude les plus simples sont opérants. Ainsi, la simple tenue d’une comptabilité parallèle sur une feuille Excel, voire un carnet papier.[13], peut donner d’excellents résultats et demeurer non décelable si le fraudeur prend soin de tenir physiquement une seconde caisse des espèces reçues. La fraude sera efficace si les opérations sont cloisonnées entre la comptabilité officielle et la comptabilité occulte. Encore faut-il qu’au moment des opérations de contrôle le dirigeant ne fasse pas tout simplement l’aveu.[14] de l’utilisation d’un logiciel permissif.
La fraude de caisse est un art. Une fraude de caisse doit s’effectuer intelligemment. Ainsi, il n’y a aucune difficulté à reconnaître coupable le dirigeant de l’entreprise qui tient mal sa comptabilité en faisant apparaitre des différences de chiffre d’affaire entre les tickets de caisse et le livre de caisse et en omettant certaines soirées d’ouvrir certaines caisses enregistreuses alors que le livre de caisse de la société comptabilise des recettes pour les soirées correspondantes.[15].
En conséquence, l’administration fiscale juge alors la comptabilité non probante et reconstitue le chiffre d’affaires. La Cour des Comptes n’a pas hésité à écrire.[16] que les services de la DGFiP avaient du mal à détecter les systèmes informatiques de fraude malgré l’attribution aux vérificateurs d’un logiciel assez efficace pour traiter les données informatisées des entreprises et repérer les irrégularités. Dans le même rapport, la Cour signale que dans une note de 2005, la DGFiP écrivait que « la quasi-totalité des comptabilités est tenue au moyen de logiciels comptables dont la souplesse d’utilisation crée un risque accru de non-conformité. On trouve, notamment dans certaines PME, des logiciels permissifs qui enregistrent correctement les données nécessaires à la gestion mais, si le commerçant actionne une fonction facultative, en font disparaître une partie lorsqu’elles sont transférées vers les modules comptables, tout en donnant aux comptes produits une apparence normale. Une liste de ces logiciels a été diffusée dans les services il y a quelques années, mais elle n’a pas été mise à jour et les agents ont du mal à les détecter. ».
Les moyens de la fraude mise en place sont autant de preuves du caractère intentionnel de l’infraction, qui ne sauraient, comme le soutient le prévenu constituer de simples erreurs ou mégardes : non conservation de bandes enregistreuses, omission d’écritures comptables, absence d’enregistrement journalier des recettes, importance de l’écart entre le chiffre d’affaires déclaré et réel, continuité des fraudes sur une période longue.
La fraude de caisse par logiciel permissif doit être établie par l’administration pour que le juge la suive dans ses conclusions. Le vérificateur va parfois un peu vite et déclare arbitrairement un logiciel permissif alors que les conditions d’établissement de la comptabilité ne permettent pas d’en déduire un manquement aux obligations comptables. C’est ce qui est arrivé à l’administration fiscale qui a été déboutée en appel confirmant le premier jugement dans une entreprise de restauration.[17].
Il résultait en effet de l’instruction que les caisses enregistreuses dotées d’un logiciel de caisse ne disposaient d’aucun progiciel de comptabilité utilisé pour l’établissement des documents comptables et que le gérant procédait, à partir de la caisse enregistreuse des commandes prises en salle et à la livraison, à l’édition papier des relevés et tickets journaliers.
La Cour relève dès lors que l’administration fiscale n’est fondée ni à soutenir que l’intimée disposait au cours des années litigieuses d’une comptabilité informatisée au sens de l’article L. 47 A du livre des procédures fiscales, ni, dès lors, à faire application de la procédure de contrôle prévue par les dispositions précitées des articles L. 13 et L. 47 A de ce livre. De fait, le fisc avait fait valoir un peu vite que le système de caisse utilisé par l’entreprise, ayant été repéré comme permissif d’une manière générale, il convenait d’en tirer la conclusion que le système de caisse utilisé par l’entreprise était frauduleux. Au demeurant, le vérificateur n’avait constaté, lors du contrôle, aucune correction ou annulation significative de notes, effectuées postérieurement à leur édition, alors que l’exploitante de l’établissement avait présenté, sur support papier, l’édition du détail des notes, mettant ainsi le service en mesure de déceler d’éventuelles anomalies. De plus, la comptabilisation des recettes était effectuée par l’exploitante à partir des données journalières éditées sur support papier, datés et numérotés, permettant de suivre le détail de la commande de chaque table, ainsi que des tickets récapitulatifs et l’administration ne pouvait donc opposer à l’entreprise le fait qu’elle n’ait pas présenté au vérificateur l’ensemble des pièces justificatives sur support informatique, comme le prévoit l’article L. 102 B du livre des procédures fiscales.
B. Sanctions de la fraude
Le rejet de la comptabilité et la reconstitution des recettes sont les aspects majeurs de la sanction au plan fiscal mais on aurait pu concevoir la technique de fraude comme une opposition à contrôle fiscal.
Absence d’opposition à contrôle fiscal. Le Conseil d’État précise plusieurs points en ce qui concerne les comptabilités tenues au moyen de systèmes informatisés, notamment les cas où l’administration peut estimer faire face à une opposition.[18] à contrôle fiscal. Une des questions soulevée par les contrôles de l’opération Caducée.[19] est de savoir si la suppression régulière d’informations peut être assimilée à des faits d’opposition, déclenchant une évaluation d’office. L’opposition correspond à une attitude rendant le contrôle impossible ou très compliqué. C’est le cas quand l’entreprise, informée de l’éminence du contrôle, a supprimé de façon délibérée une partie des données.
Or, dans ces affaires, la suppression des informations était réalisée de façon régulière.
Le Conseil d’Etat a considéré que les suppressions régulières et programmées de ces données ne constituent pas une opposition au contrôle fiscal contrairement à ce qu’avait considéré auparavant la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux.[20].
Ainsi, il n’est pas possible pour l’administration fiscale de procéder à une évaluation d’office. En revanche, les magistrats retiennent que l’usage d’un logiciel permissif rend la comptabilité de l’officine non probante, le pharmacien ne pouvant apporter les pièces justificatives de son activité. Les inspecteurs doivent donc procéder à la reconstitution du chiffre d’affaires.
Le rejet de comptabilité. Il incombe à l’administration d’établir que la comptabilité comporte de graves irrégularités de nature à l’autoriser à l’écarter comme étant dénuée de valeur probante.[21]. La permanence du chemin de révision comptable.[22] est un des éléments fondamentaux de garantie de la qualité comptable. Le principe est que toute écriture doit être appuyée des pièces qui justifient le bien fondé et la validité des montants ainsi que du traitement juridique qui ont donné naissance à l’écriture. Un système comptable informatisé s’entend non seulement de la comptabilité proprement dite, qu’on appelle aussi souvent « noyau comptable », mais également de toutes les informations gérées et produites par les applications situées en amont. En contribuant à l’alimentation et à la justification des opérations enregistrées, elles entrent en quelque sorte « par attraction » dans le champ comptable. Dès lors, toute falsification des données numérisées ou non, détermine une sanction : le rejet de la comptabilité de l’entreprise.
La considération qu’une entreprise possède et utilise un logiciel de gestion de caisses dont il n’est pas contesté qu’il dispose d’une fonctionnalité de suppression de notes après clôture de la journée sans laisser de traces des données d’origine dans les fichiers de tickets, ainsi que du changement de date est un indice sérieux de fraude mais qui doit être corroboré par d’autres éléments.[23]. La production d’un fichier de sauvegarde de correction des erreurs doit pouvoir être produit pour écarter le rejet de comptabilité si le logiciel crée une note ne correspondant à aucune vente chaque fois qu’une modification est effectuée pour corriger une erreur, une commande ou le mode de paiement. Un indice de fraude est également révélé si le nombre et la nature des modifications effectuées est trop important alors que l’administration a établi une différence entre le nombre de notes soldées et le nombre de notes comptabilisées, caractéristique d’omissions en comptabilité et non de corrections d’erreurs.
La reconstitution de chiffre d’affaires. La fraude classique qui ne s’encombre pas d’un logiciel permissif est sanctionnée, tout comme celle-ci, par la reconstitution de chiffre d’affaires. Une caisse enregistreuse perfectionnée peut avoir été mise en service mais les conditions dans lesquelles elle est utilisée doivent garantir l’exactitude des mentions figurant.[24] sur les bandes de caisse.
Les prévenus sont déclarés coupables de dissimulation.[25] volontaire de sommes sujettes à l’impôt et d’omission de passation d’écritures aux motifs que le contrôle fiscal révèle un coefficient multiplicateur des achats particulièrement bas, des recettes enregistrées globalement non authentifiées par des tickets de caisse ou des bandes caisses enregistreuses. La fraude qui découle des agissements de l’entreprise peut être corroborée par un contrôle effectué auparavant dans l’établissement qui a permis de constater que des entrées nombreuses ne faisaient l’objet d’aucune délivrance de ticket et dans les propres déclarations des prévenus qui ont tous deux reconnu avoir dissimulé des sommes importantes au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés. Poursuivis au pénal, les dirigeants qui ont fait des aveux, ne peuvent voir ceux-ci limités à la procédure administrative et dictés seulement par le souci d’éviter un supplément d’imposition pour la société en reconnaissant être les bénéficiaires des distributions car le mode opératoire utilisé établit l’intention frauduleuse.
Les constatations opérées dans le cadre du contrôle fiscal ont donc toute leur importance au niveau de la procédure pénale.
II. Les moyens de défense
L’imagination des contribuables est parfois assez peu convaincante (A) et reste classique, parfois elle est plus audacieuse et certains n’hésitent pas à aller dans plusieurs directions en même temps (B). Le succès n’est pas garanti pour autant.
A. Des moyens classiques
La « faute à l’ordinateur ». Face à la constatation d’erreurs comptables, le réflexe de certains dirigeants est d’invoquer les erreurs commises par le logiciel indépendamment de leur volonté. Ce moyen de défense peu élaboré ne saurait convaincre le juge si le requérant ne donne aucune précision ni justification.[26] sur les dysfonctionnements du logiciel dont il fait état et qui seraient selon lui à l’origine des suppressions en litige, propres à fonder une demande en décharge des impositions.
Le contribuable fait librement le choix d’une comptabilité informatisée au moyen du système de gestion informatique de caisse et le fait qu’il ne possèderait pas de compétences en informatique lui permettant de comprendre certaines formulations techniques est par lui-même sans incidence sur la régularité de la procédure fiscale.[27]
La combinaison d’un logiciel de saisie des données comptables avec un logiciel complémentaire peut offrir la possibilité d’extourner une partie des recettes espèces initialement saisies dans le logiciel de caisse.[28]. Dans cette hypothèse, « l’ordinateur » devient complice de la fraude. La DGFiP peut alors obtenir du juge l’autorisation d’effectuer une visite domiciliaire (art L16 B LPF) lorsqu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait ainsi à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur le revenu ou les bénéfices ou de la TVA, pour rechercher la preuve de ces agissements. Un aviseur fiscal est souvent à la source de la démarche administrative, aviseur qui peut rester anonyme à condition d’une part que le témoignage soit établi par les agents de l’administration et signé par eux et d’autre part, que cette information soit corroborée par d’autres éléments d’information. Au cas particulier de la jurisprudence « Marlix » concernant des salons de coiffure, l’aviseur décrivait de façon minutieuse le fonctionnement du logiciel « BUREAU », lequel associé à l’application « IMAGE », permettait de disposer de fonctions permissives.
Le secret professionnel. Il est tentant pour les professionnels tels que les pharmaciens d’opposer la violation du secret professionnel à l’administration fiscale pour tenter de s’opposer aux conséquences du contrôle. Dans le cas d’un contribuable astreint au secret professionnel, articles 226-13 du code pénal et R. 4235-5 du code de la santé publique, le Conseil d’État juge que la révélation d’une information à caractère secret vicie la procédure d’imposition et entraîne la décharge de l’imposition contestée lorsque l’information a été demandée par le vérificateur ou qu’elle fonde la rectification. Mais, si les ventes comptabilisées frauduleusement ne font suite à aucune prescription médicale et ne comportent aucune référence à un médecin ou à un numéro de sécurité sociale, aucune information couverte par le secret médical n’est révélée.[29].
Le non-respect des droits du contribuable vérifié. Le moyen de défense de l’entreprise consistant à invoquer le fait que au cours du contrôle inopiné, les agents chargés de contrôler le respect de la législation du travail aient procédé à des rapprochements ou à des recoupements marquant le début des opérations de vérification de la comptabilité n’a pas été retenu dans une affaire car les premiers juges avaient estimé que cet élément ne résultait pas des pièces du dossier.[30]. Les agents de l’URSSAF ou de l’inspection du travail qui accompagnent le vérificateur procèdent à l’audition des salariés mais cela ne constitue pas un motif irrégulier de commencement des opérations de vérification de la comptabilité sauf si on peut apporter la preuve que ces opérations ont débuté par la consultation de documents comptables.
B. Des moyens nombreux utilisés en salve
Dans une affaire.[31] relativement récente, la société (de pharmacie en l’occurrence) a introduit un recours pour excès de pouvoir afin qu’il soit sursis à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se soit prononcée sur la régularité de la constitution du fichier Excel transmis par le juge d’instruction à l’administration fiscale. L’entreprise avait bien entendu pour but d’annuler le jugement du Tribunal administratif rejetant sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés mis à sa charge.
La décision de la Cour d’Appel est très intéressante en ce qu’elle répond à une véritable volée d’arguments présentés par la société requérante. Celle-ci figurait parmi les officines visées par l’enquête judiciaire relative aux pharmacies ayant expressément demandé à son fournisseur le mot de passe permettant d’accéder à la commande de suppression des opérations de caisse correspondant à certaines ventes payées en espèces.
Un premier argument défensif a été balayé concernant le respect de la procédure de contrôle inopiné. S’agissant d’un tel contrôle effectué par l’administration fiscale, la procédure a commencé par la constatation matérielle des éléments physiques de l’exploitation, de l’existence et de l’état des documents comptables. L’avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations qui ne peuvent consister qu’en constatations matérielles. Les opérations d’extraction et de saisie des fichiers du logiciel effectuées par le vérificateur ne constituent pas des traitements informatiques au sens des dispositions du II de l’article L. 47 A du livre des procédures fiscales et de tels traitements ne sont pas irréguliers dès lors qu’ils ne correspondent pas à l’examen au fond des documents comptables. Au demeurant, comme souvent dans ce genre de procédure, il ressort des mentions de l’état contradictoire des constatations matérielles effectuées lors du contrôle inopiné, que ce document est contresigné par le dirigeant de l’entreprise, ce qui ôte ensuite toute possibilité de contestation.
La distinction entre logiciel de gestion et logiciel de résultat. Un deuxième argument mis en avant par l’entreprise reprochait au vérificateur d’avoir procédé au contrôle de son logiciel de gestion d’officine alors que, selon elle, celui-ci n’appartient pas au système comptable informatisé de l’entreprise.
En effet, les recettes sont comptabilisées ultérieurement dans un logiciel comptable distinct, les inventaires annuels des stocks proviennent de relevés physiques réalisés par un prestataire extérieur, aucune écriture de correction du montant des stocks après inventaire n’est enregistrée dans ledit logiciel de gestion et aucune connexion informatique n’existe entre ce logiciel et le logiciel comptable de la société. En tant que tel, le logiciel n’aurait pu faire l’objet d’un contrôle sur le fondement de l’article L. 13 du livre des procédures fiscales.
La Cour note toutefois que ce logiciel concourt à la formation des résultats comptables en soustrayant une partie des recettes payées en espèces sans « concerner des opérations commerciales engageant des tiers et sans perturber les fonctions automatisées de gestion des stocks de marchandises ». Un rapport d’expertise faisant apparaître que le logiciel comportait un module destiné à minorer les bases imposables avait par ailleurs été établi.
La défense consistant à relever des irrégularités prétendues chez un tiers. Un troisième argument faisait état de prétendues irrégularités ayant affecté les saisies de documents non pas dans les locaux de la société requérante, mais dans ceux d’une autre société et dans le cadre d’une instruction pénale dirigée à l’encontre de tiers. L’administration fiscale a obtenu, sur le fondement des articles L. 81, L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, communication auprès de l’autorité judiciaire de ces documents et cela reste sans incidence sur la régularité de la procédure d’établissement des impositions notifiées à la société requérante.
Le respect des droits de la défense. Un quatrième argument n’a pas été retenu non plus quant à l’irrespect du principe d’égalité des armes car la société requérante n’a pas demandé la communication des documents recopiés dans le cabinet du juge d’instruction avant la mise en recouvrement des impositions contestées, documents ayant servi ensuite à établir la fraude logicielle. On peut ici regretter que la Cour se borne à constater ce « manque » de la part du défendeur alors qu’il faudrait sans doute faire reproche à l’administration de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire car cela induit un net désavantage attentatoire en déférence aux principes. A noter que si le vérificateur a bien donné à la société contribuable la possibilité de prendre connaissance des documents utilisés par lui pour procéder aux rehaussements de ses impositions et à l’application de pénalités fiscales, il n’a pas fourni d’office ces documents comme le respect des droits de la défense le demande.
La défense selon les droits de l’homme. Un cinquième argument de la société de pharmacie utilisatrice du logiciel coupable de fraude résidait dans la thèse selon laquelle l’administration l’aurait contrainte à s’auto incriminer, manquement à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Mais la Cour estime qu’il n’y a pas imbrication de la procédure pénale avec la procédure fiscale de nature à conférer un caractère pénal à cette dernière et à la faire rentrer dans le champ des stipulations de la Convention. En demandant au représentant de la société requérante de copier des fichiers de traitement comptable concourant à la formation des résultats de cette société, l’administration ne peut être regardée comme ayant contraint ledit représentant à s’incriminer lui-même.
Conclusion
Puisque la jurisprudence foisonne plutôt en matière de critique du chemin de révision comptable dans le domaine de la restauration et de la pharmacie, on ne quittera pas ce domaine sans évoquer la fraude sociale à laquelle peut se livrer ce dernier secteur par le biais des systèmes informatiques. Si, en effet, le contrôle fiscal semble assez élaboré, le contrôle des pharmacies par l’assurance sociale paraît devoir faire des progrès. On en jugera avec les exemples de surfacturation détectés dans les officines.
Un encadrement fiscal assez complet de l’informatique d’entreprise. Avec les dispositions applicables au 1er janvier 2018, l’administration encadre parfaitement les commerçants. Avec l’article 20 de la loi n° 2013-1117, elle encadrait déjà les professionnels.[32] de l’informatique qui mettent à disposition des logiciels ou systèmes de caisse lorsque les caractéristiques de ces logiciels ou systèmes de caisse ont permis à l’entreprise utilisatrice, par des manœuvres frauduleuses, d’effacer ou de modifier une partie des recettes enregistrées sans en préserver les données originales. Le dispositif est donc maintenant complet pour une surveillance numérique du marché économique travaillant avec des espèces.
L’administration fiscale va aussi dans d’autres directions pour être toujours plus efficace dans la recherche de la fraude avec le « datamining ».[33] et le « datamatching ».[34] pour ne citer qu’un exemple. Tout ceci n’est pas forcément inquiétant en soi sous l’angle de la justice fiscale mais à une époque de pression fiscale forte, il s’en dégage une atmosphère de méfiance généralisée peu propice à l’écoute du discours sur le civisme fiscal et le consentement à l’impôt. Mais il est vrai que la confiance n’exclut pas le contrôle selon l’expression consacrée.
Un encadrement « social » de l’informatique d’entreprise qui reste à parfaire. Il s’agit ici davantage de surfacturation.[35] réclamée à l’assurance maladie lors de la gestion des médicaments remboursés que de ventes sans ticket de caisse. L’assurance maladie rembourse une officine par virements bancaires et on a la faiblesse de penser que rien ne peut se produire qui ne puisse être décelé, lesdits virements étant nécessairement retracés dans la comptabilité de l’entreprise.
Cette séduisante conviction apparaît fondée si on se place strictement sous le prisme des flux financiers : aucun virement n’échappe ni à l’assurance maladie, ni au comptable de l’entreprise, ni à l’administration fiscale. De là, précisément, l’intérêt de la surfacturation/ falsification si aucun versement reçu de l’assurance maladie n’est dissimulé au fisc. Il s’agit de surfacturer (vente en double d’un même bien par exemple), tout en fiscalisant les produits obtenus par ailleurs, y compris sur ordonnance. De la sorte, on s’assure de l’absence de fraude fiscale et de fraude sociale apparentes. La mise en lumière de la surfacturation ne peut reposer sur de simples extractions ou copies de fichiers de données comme la législation fiscale l’impose. Il est indispensable de posséder d’excellentes connaissances en matière de pharmacologie et de pratiques de la profession pour démontrer la surfacturation. Les logiciels en usage dans les officines qui gèrent essentiellement les flux de stocks, la facturation vente et la caisse sont opaques pour les vérificateurs tant fiscaux que sociaux et le référencement des produits est très volatile. Un même produit, y compris réglementé, peut changer de codification (code CIP.[36] ) et/ou de libellé, d’une année sur l’autre, d’un fournisseur à l’autre. La prise en compte des modifications pouvant de plus être intégrée tardivement par l’éditeur du logiciel, il est difficile de mettre en lumière la fraude d’autant que les vérificateurs de l’assurance maladie sont peu nombreux et possèdent davantage une formation juridique que comptable ou informatique. Quand on mesure le poids du budget social par rapport au poids du budget de l’Etat, on comprend l’intérêt qu’il y aurait pour les pouvoirs publics à travailler maintenant dans ce domaine.