Évaluation des biens soumis à l’IFI. L’évaluation des biens immobiliers est un enjeu majeur pour les contribuables soumis à l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). En application de l’article 965 du code général des impôts (CGI), l’assiette de l’IFI est constituée par la valeur nette évaluée au 1er janvier de l’année d’imposition de l’ensemble des biens et droits immobiliers détenus directement ou indirectement par le redevable. Mais comment estimer cette valeur vénale ?
La valeur vénale d’un bien se définit comme le « prix qui pourrait en être obtenu par le jeu de l’offre et de la demande sur un marché réel, compte tenu de la situation de fait et de droit dans laquelle l’immeuble se trouve lors du fait générateur de l’impôt ».[1]
Cette valeur doit donc être appréciée par le contribuable lui-même en retenant des éléments de comparaison portant sur des transactions de biens comparables tenant compte des données du marché et des particularités physiques, juridiques et économiques du bien permettant ainsi d’obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande.
L’exigence d’une évaluation des biens selon leur valeur vénale réelle s’oppose ainsi à la publication par l’administration de barèmes, coefficients ou de prix obligatoires qui conduirait à des estimations forfaitaires.[2].
Entre la difficulté légitime de cet exercice pour les contribuables et la tentation de certains d’eux d’une sous-évaluation, l’administration veille.
Dans le cadre de son pouvoir de contrôle, pour contester la valeur déclarée, si elle l’estime insuffisante, l’administration doit procéder elle-même à des comparaisons tirées de la cession, en nombre suffisant, de biens intrinsèquement similaires.[3] en fait (situation géographique, accès, superficie, état du bien, etc) et en droit (urbanisme, indivision ou non, libre ou loué).
Celle-ci peut néanmoins faire preuve de tolérance ou de paresse, en admettant des décotes lorsque les limites de la méthode par comparaison sont atteintes. Ces décotes sont par nature exceptionnelles et aléatoires, et devront être justifiées.[4]. Elles sont fonction des caractéristiques juridiques spécifiques des biens, et peuvent, selon les cas, être cumulées.
I- L’incidence des contraintes juridiques sur l’évaluation des biens à l’IFI : les principales décotes
A) L’indivision
1) La position de l’administration
Vision restrictive. L’administration adopte une vision restrictive même si elle semble admettre une décote comprise entre 5 et 20% selon les situations. Elle est d’ailleurs peu bavarde sur le sujet mais estime néanmoins que l’indivision n’interdit pas la vente de la totalité d’un immeuble indivis[5]. Pourtant, la nature même de l’indivision pose des difficultés dans la gestion et la disposition du bien, notamment en cas de cession, où l’unanimité des co-indivisaires est en principe requise.
Du cas par cas. Il est difficile de tirer une règle générale de l’application d’une décote tant elle dépend des situations de fait. Si les contraintes juridiques attachées à l’indivision sont réelles, elles se trouvent renforcées ou atténuées par des facteurs difficilement quantifiables, évaluables. Toute la difficulté attachée à cette évaluation donne un contentieux tout aussi nourri que précieux.
2) Panorama de jurisprudence
Contraintes juridiques. Si l’origine[6] de l’indivision est indifférente[7] pour l’application d’une décote, l’importance des contraintes juridiques et de gestion liées à cette indivision conditionne le taux de décote. L’application de cette dernière n’est d’ailleurs pas automatique et la jurisprudence exige l’existence d’une corrélation entre la décote, son taux et les contraintes juridiques liées à l’indivision[8] .
Plus la difficulté de gestion du bien indivis est grande, plus la décote sera importante. Pour apprécier le niveau de décote acceptable, la jurisprudence tient compte de plusieurs facteurs :
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Le nombre de co-indivisaires ;
-
L’entente entre les co-indivisaires ;
-
Le lien familial entre les co-indivisaires ;
Incidences. Tous ces facteurs ont une incidence sur la gestion et la difficulté de cession du bien indivis et sont de nature à faire diminuer ou augmenter la décote. Il a ainsi été retenu qu’une indivision portant sur une maison située à Ramatuelle limitée à un couple de parents très majoritaires (98% des droits indivis) et leur fils minoritaire (1% des droits indivis) n’appelait qu’une décote de 5%[9]. Et même si la jurisprudence a validé une décote de 30% entre deux co-indivisaires d’une même famille sans mésentente[10], elle ne se montre pas toujours aussi favorable. Dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles[11], les juges du fond ont considéré, malgré l’existence d’un blocage au sein d’une indivision faisant suite à la dissolution d’une SCI non immatriculée dont tous les coindivisaires n’étaient pas connus et une recherche d’héritiers en cours, que le montant de la décote à retenir était de 20%. Dans un autre arrêt plus récent, la Chambre commerciale de la Cour de cassation[12] a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris[13] ayant retenu une décote de 5%, considérant que l’indivision simple entre une mère et son fils ne présentait pas de difficultés de gestion.
Exclusion. La jurisprudence, par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation[14], rejette l’application d’une décote à des époux propriétaires de leur résidence principale en indivision. Cette exclusion ne constitue pas une remise en cause systématique de l’application d’une décote dans le cas d’un bien indivis mais semble être fondée sur « l’étroite communauté d’intérêts existants » entre les époux[15]. Une décision similaire a été rendue par la Cour d’appel de Versailles[16] s’agissant d’un couple de concubin notoires.
B) La situation locative
1) La position de l’administration
Contrainte liée au contrat de location. L’évaluation à l’IFI d’un bien loué dépend de la disponibilité de ce dernier[17] . La location entraine une indisponibilité pour le propriétaire plus ou moins forte selon la nature du contrat de location, minorant de fait sa valeur vénale.
Montant de la décote admis. L’administration semble se ranger sur les taux décote retenus par la jurisprudence en fonction de la nature du bail même si elle se refuse à communiquer une grille de lecture au BOFiP.
Exclusion. En revanche, s’agissant des engagements de location longue durée pris dans le cadre de dispositifs de défiscalisation[18], la doctrine administrative semble rejeter toute décote supplémentaire[19], ce qui n’est pas illogique.
2) Panorama de jurisprudence
Position constante. La jurisprudence a adopté une position constante considérant que la location d’un bien amoindrit sa valeur vénale[20]. En effet, lorsque les biens sont donnés en location, il est admis que la valeur vénale reflète cet état par l’application d’une décote, dont le montant varie notamment en fonction de la nature juridique et de la durée du bail restant à courir[21] et s’explique par les caractéristiques du contrat de location et celles du bien loué.
Caractéristiques de la location. L’affectation du bien[22] , ses caractéristiques, le type de location ou encore la durée de la location[23] sont autant de facteurs conditionnant le montant d’une décote[24]. De fait, des disparités particulièrement importantes existent.
Caractéristiques du contrat de location. D’avantage que la nature du contrat de location, c’est principalement la durée de ce dernier qui justifie de l’application et du montant de la décote. Plus le bail est long et protecteur du locataire, plus la décote sera importante. Concernant un logement loué sous l’empire de la loi de 1948, une décote de 40% a été retenue comme recevable par la Cour d’appel d’Agen[25]. Un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse reprend la même décote pour un bien similaire[26], au même titre que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[27]. Une décote de 20% a été admise pour un bien loué[28] nu tandis qu’une décote de 10% retenue par l’administration s’agissant d’un logement loué meublé a été confirmée par la Cour d’appel de Toulouse[29] . Pour les biens loués dans le cadre d’un bail emphytéotique (bail conclu pour une durée de plus de dix-huit ans conférant au preneur un droit réel immobilier) « il est admis que le redevable puisse procéder à une décote dont l’importance sera fonction des contraintes propres au bail, telles que la durée qui reste à courir, le montant des loyers ou l’existence de constructions mises à la charge du preneur et qui seront la propriété du bailleur à l’issue du bail »[30]. Il est précisé que la décote se doit d’être dégressive, en corrélation avec la durée du contrat de location[31] .
Nature de la location | Position de la jurisprudence |
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Logements sous loi de 1948 |
40% (CA Agen, 25 nov. 2015 et CA Toulouse, 16 dec. 2019, sans preuve rapporté de l’application de la loi de 1948) |
Logements loués nus |
20% (Cass. Com., 18 avril 2000) |
Logements loués meublés |
(CA Toulouse, 7 dec. 2020) |
Etat du bien. Un bien loué vétuste peut justifier d’une décote plus importante que la tolérance de principe admise par l’administration[32] , même si elle n’est pas systématique[33]. La jurisprudence pose cependant une limite en admettant la décote à la condition que les travaux de rénovation n’aient pas été programmés par le propriétaire[34]. Si la jurisprudence admet de manière générale une décote tenant compte de l’état de vétusté du bien aucune décote n’est à appliquer lorsque les éléments de comparaison retenus portent ses biens situés dans un état similaire, dans la mesure où la valeur vénale se trouve déjà diminué par l’état du logement.
C) Parts de société immobilière
1) La position de l’administration
Incertitude. Au même titre que l’indivision, les parts de société immobilière peuvent voir leur valeur vénale minorée par la difficulté de gestion[35] à laquelle s’ajoute l’illiquidité des parts sociales. C’est pour ces raisons que l’administration semble tolérer, en principe, une décote de 10% s’agissant des parts de SCI. Elle a d’ailleurs publié en ce sens, un guide relatif à l’évaluation des parts sociales, précisant l’admission de deux décotes cumulatives de 10% liées à l’absence de liquidité et de 10% en cas de détention indirecte de biens immobiliers. Les spécificités particulières de chaque société, telles que le nombre d’associés, le lien familial ou non entre les associés, les clauses statutaires limitant la disposition des parts, sont autant de facteurs influençant le taux de décote.
2) Panorama de jurisprudence
Alignement avec l’administration. La jurisprudence semble s’aligner sur la position de l’administration et de son guide de l’évaluation des parts sociales.
Dans une affaire soumise à la Chambre commerciale de la Cour de cassation[36] , l’administration contestait la justification d’une décote pour l’évaluation de parts de SCI. La juridiction rappelle que les parts sociales d’une société civile ne peuvent être de valeur similaire à celle de l’immeuble dont la SCI est propriétaire[37] . Si cette formulation semble admettre l’application automatique d’une décote en présence de parts de SCI, l’administration semble s’y refuser. Dans la lignée de ce courant jurisprudentiel, un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris[38] a validé l’application d’une double décote de 10% sur des parts de SCI.
Les décotes exclues par l’administration et la jurisprudence |
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Certaines caractéristiques juridiques ne sont pas de nature, selon l’administration et la jurisprudence, à l’application d’une décote ou d’un abattement. Ainsi, il n’est pas tenu compte, pour leur évaluation : - Du démembrement de propriété d’un bien. En effet, le démembrement n’affecte pas la valeur du bien[39]; - L’inaliénabilité d’un bien lorsque celle-ci résulte de l’auteur de la donation[40] (il est en revanche considéré qu’une situation d’inaliénabilité absolue, telle qu’une incessibilité légale, prive le bien de valeur patrimoniale[41]) - Des locations saisonnières ; Il a en outre été confirmé que la résidence principale détenue via une société immobilière n’ouvre pas droit à l’abattement spécifique de 30% applicable au titre de la résidence principale, cette position de l’administration fiscale ayant été jugée constitutionnelle[42]. Dans un arrêt récent la Chambre commerciale tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et valide une décote de 10% s’agissant d’une SCI détenant la résidence principale du couple[43] |
II- La question du cumul des décotes
Cette question, longtemps débattue, nous parait désormais bien balisée … une aubaine pour les contribuables concernés !
La Cour de cassation a en effet admis, dans un arrêt du 16 février 2016 (Cass. com., 16 février 2016, n° 14-23.301, JurisData n° 2016-002772) qu’une décote pour occupation et une décote pour indivision puissent se cumuler (cumul d’une première décote de 20% et d’une seconde décote de 20% soit au total une décote de …36% et non 40%). Rendu dans un cadre général cet arrêt est transposable aux autres décotes.
Il a ainsi été reconnu :
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par le Tribunal de Grande Instance de Paris[44] : le cumul d’un abattement de 10% pour indivision et de 15 % pour occupation du bien.
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par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[45] le cumul d’une décote de 5% pour vétusté et de 5% pour indivision.
Conclusion :
Prudence et conseil. La prudence doit être de mise, la remise en cause par l’administration du taux de la décote appliqué s’accompagne souvent d’une pénalité de 40% en présence d’un manquement délibéré, en sus des intérêts de retard. L’addition peut s’avérer lourde, d’autant que les contribuables ont depuis 2014 accès à PATRIM, le service en ligne d’évaluation par comparaison des biens immobiliers de la DGFiP. Face à une sous-évaluation caractérisée la bonne foi du contribuable devient délicate à justifier ……
A propos des auteurs
François BONTE est Notaire chez Michelez Notaires (Paris) et Florent GACHON est Doctorant en droit fiscal Université Toulouse Capitole I, fiscaliste, Michelez Notaires (Paris).