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Plus-values immobilières

Plus-value immobilière et résidence principale : les pièges d'une stratégie d'optimisation mal préparée

Nouvelle contribution du juge de l'impôt à la jurisprudence relative à la qualification de résidence principale en matière de plus-value immobilière. Cette décision illustre l'exigence probatoire qui pèse sur le contribuable souhaitant bénéficier de l'exonération prévue par l'article 150 U-II-1° du CGI, tout en rappelant les critères d'appréciation retenus par les magistrats pour caractériser une résidence habituelle et effective.

 

Pour mémoire, l'article 150-U-II-1° du CGI prévoit une exonération pour les immeubles qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession. 

La jurisprudence administrative a précisé de longue date que la notion de résidence principale doit s'entendre de la résidence habituelle et effective du propriétaire au jour de la cession. Il ne suffit donc pas d'une occupation sporadique ou d'une simple domiciliation administrative.

L'administration et le juge recherchent une occupation réelle, continue et principale du bien, excluant ainsi les résidences secondaires ou les biens occupés de manière intermittente. La charge de la preuve obéit aux règles classiques du contentieux fiscal : sauf disposition contraire, il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au vu de l'instruction et compte tenu de l'abstention éventuelle d'une partie à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter, si le contribuable remplit les conditions légales de l'exonération.

 

Rappel des faits :

Monsieur C, marié et père de trois enfants, a acquis le 25 avril 2012 une villa à Biarritz, qui est devenue sa résidence principale au cours de la même année. Quelques semaines plus tard, le 29 juin 2012, il a également acquis un appartement dans la même ville. Ce bien était initialement occupé par une locataire âgée.

 

Le 9 janvier 2015, Monsieur C. a cédé l'appartement pour un montant de 545 000 €, réalisant ainsi une plus-value substantielle de 445 000 €. Lors de cette cession, il a déclaré ce bien comme constituant sa résidence principale, bénéficiant en conséquence de l'exonération prévue par l'article 150 U-II-1 du CGI. Selon ses déclarations, la villa de l'avenue de l'Impératrice aurait été sa résidence principale du 1er juillet 2012 au 31 mai 2013, puis du 29 décembre 2014 au 11 octobre 2017. Entre ces deux périodes, soit du 1er juin 2013 au 28 décembre 2014, il soutenait avoir transféré sa résidence principale dans l'appartement vendu.

Cette situation est liée, selon M.C, à la dangerosité du site sur lequel est implantée la villa. En effet, par deux arrêtés des 29 janvier 2001 et 30 novembre 2001, le maire de Biarritz avait ordonné des mesures de sûreté en raison du glissement de terrain de la falaise "Bernain" au droit de la propriété. Monsieur C. expliquait avoir temporairement quitté la villa "le temps d'obtenir les garanties nécessaires sur la sécurité des lieux" et avoir saisi l'opportunité du décès de la locataire de l'appartement, survenu fin 2012, pour y emménager avec ses trois enfants.

 

À la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause l'exonération de la plus-value, considérant que l'appartement ne constituait pas la résidence principale de Monsieur C. au jour de la cession. Le contribuable a saisi le TA de Pau, qui a rejeté sa demande. Il a ensuite fait appel devant la CAA de Bordeaux.

 

Pour justifier que le bien vendu constituait bien sa résidence principale M. C :

  • s'agissant de la dangerosité du terrain, il reproche au tribunal d'avoir considéré qu'elle ne représentait pas un événement spécifique justifiant un déménagement. Il insiste sur la réalité du risque encouru et sur la nécessité d'obtenir des garanties sur la sécurité des lieux avant de pouvoir réintégrer la villa ;
  • soutient avoir effectivement signalé son changement d'adresse, notamment au notaire, et que tous les courriers ont bien été réceptionnés à l'adresse de l'appartement. Il produit une attestation notariale du 3 avril 2023 confirmant que les courriers adressés à cette adresse en juillet et novembre 2014 n'ont jamais été retournés par la poste ;
  • se prévaut de plusieurs attestations de voisinage censées prouver que l'appartement était en état d'être habité et que son nom figurait sur la boîte aux lettres ;
  • invoque des éléments matériels témoignant de sa présence effective à l'adresse du bien vendu: des avis de contravention pour stationnement irrégulier de son véhicule dans la rue entre le 19 mars 2013 et le 22 avril 2014, son assujettissement à la taxe d'habitation pour l'appartement déclaré comme résidence principale au titre de l'année 2014.

 

La Cour vient de rejeter l'appel de M.C

 

Concernant la dangerosité du site d'implantation de la villa

Elle a relevé que : 

  • Monsieur C avait acquis ce bien en pleine connaissance de la situation géologique défavorable, une étude de faisabilité réalisée en janvier 2011 ayant fait état d'éboulements survenus en 1965, 2001 et 2008, et ayant constaté le caractère continu du phénomène de recul de la falaise.
  • qu'aucun événement spécifique ne s'était produit en juin 2013 qui aurait justifié un déménagement pour raisons de sécurité, un peu moins d'un an seulement après l'emménagement dans la villa en juillet 2012.
  • qu'aucun travail de consolidation de la falaise n'avait été entrepris avant le 28 décembre 2014, date du prétendu retour dans la villa, les démarches de consolidation datant au contraire de 2015 selon plusieurs courriels adressés à la municipalité entre 2017 et 2020.

Cette chronologie contredit l'explication fournie par le contribuable.

 

S'agissant de l'habitabilité de l'appartement

La Cour s'est appuyée sur un rapport d'expertise datant de 2015. Il établissait que lors d'un état des lieux du 29 avril 2013, soit la date de libération des lieux par la fille de la locataire décédée, l'appartement n'était manifestement pas en état d'accueillir une famille de quatre personnes. Les juges ont ainsi relevé :

  • l'affaissement du sol dans plusieurs pièces,
  • un dégât des eaux dans la cuisine,
  • des désordres dans la salle de bains dus à des infiltrations par la toiture,
  • et le mauvais état de l'ensemble des équipements sanitaires et de cuisine.

Partant, la  Cour a estimé que Monsieur C. ne pouvait prétendre avoir emménagé dès le 1er juin 2013, d'autant qu'il ne produisait aucun justificatif de travaux de réhabilitation permettant de rendre le logement habitable, hormis un courriel du 14 mars 2017 attestant d'une intervention limitée pour la réfection des sols du 19 au 24 juin 2013.

 

Concernant les éléments de preuve produits par M.C pour établir sa résidence effective dans l'appartement

Elle a jugé que

  • ni les attestations des habitants de l'immeuble ;
  • ni le récapitulatif bancaire de 2014 portant l'adresse de l'appartement en en-tête ;
  • ni l'attestation notariale du 3 avril 2023 confirmant la réception de courriers ;
  • ni les 4 contraventions pour stationnement irrégulier ;
  • ni l'assujettissement à la taxe d'habitation.

ne permettaient d'établir une résidence habituelle et effective durant la période considérée. La Cour a également relevé que si Monsieur C. avait effectué des formalités auprès des services fiscaux pour déclarer l'appartement comme résidence principale, il n'avait signalé aucun changement d'adresse aux fournisseurs d'électricité, de gaz et d'eau, ni même à sa banque.

 

Concernant les données de consommation énergétique obtenues par l'administration dans le cadre de son droit de communication

  • S'agissant de l'électricité, elle a constaté que la consommation à la villa était restée stable durant toute la période litigieuse, tandis que celle de l'appartement n'était manifestement pas compatible avec l'occupation par une famille de quatre personnes dont trois enfants.
  • La cour a écarté l'argument relatif au dysfonctionnement du compteur électrique, relevant qu'il n'était établi qu'à partir du 26 juillet 2014 selon un courriel d'un conseiller EDF du 17 juin 2016.
  • S'agissant du gaz, la Cour a souligné que le compteur n'avait été ouvert que le 18 février 2014, alors que la chaudière fonctionnait au gaz, et que la consommation demeurait très faible sur la période, sans que le contribuable ne produise la moindre facture 

La Cour conclut donc logiquement que l'appartement ne constituait pas la résidence habituelle et effective du cédant au jour de la vente.

 

TL;DR

  • La résidence principale ne peut résulter d'une simple déclaration ou domiciliation administrative formelle ;
  • Les données de consommation d'eau, gaz et électricité constituent des éléments dterminants et difficilement contestables.
  • L'absence de changement d'adresse auprès des organismes essentiels (fournisseurs d'énergie, banque) révèle une incohérence qui discrédite la déclaration.
  • Le bien doit être objectivement en état d'accueillir ses occupants, avec des justificatifs de travaux de réhabilitation si nécessaire ;
  • Les témoignages de voisinage, même de personnes sans lien de parenté, ne suffisent pas face à l'accumulation d'indices matériels contraires.

Publié le dimanche 12 octobre 2025 par La rédaction

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