Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a décidé de consacrer ses travaux de 2017 à la question des prélèvements sur le capital des ménages.
L’institution, dépendant de la Cour des comptes et présidée par son Premier président, Didier MIGAUD, a rendu public le 25 janvier dernier son rapport en la matière. L’objectif est ambitieux : il s’agit « d’étudier l’ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux portant sur la détention, les revenus et la transmission des éléments de capital des ménages », d’examiner si ces prélèvements répondent aux enjeux économiques et sociaux actuels, et de proposer des orientations afin d’améliorer leur adéquation à ces enjeux. Juste après la suppression de l’ISF et la création de l’IFI, cet avis trouve un écho particulier.
Les droits de mutation à titre gratuit : un sujet sensible
La question des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) a fait naturellement l’objet d’une attention toute particulière du CPO.
L’enjeu est de taille pour les finances publiques : parmi les six impôts frappant le patrimoine, les DMTG se placent au troisième rang en termes de rendement pour le Trésor avec des recettes fiscales estimées à 12,8 Md€ (estimation 2016).
A titre de comparaison, il s’agit d’un rendement fiscal comparable à la taxation de l’ensemble des revenus et plus-values du patrimoine mobilier et immobilier (12,7 Md€, prélèvements sociaux non compris) et largement plus que l’ex ISF, lequel générait une recette fiscale limitée à 4,6 Md€ mais surtout que le nouvel IFI qui ne devrait générer selon les avis qu’entre 0,850 Md€ et 1,3 Md€ !
Noir c’est noir
Le CPO dresse un tableau particulièrement sombre de la fiscalité française sur les héritages : elle présenterait tous les défauts ! La fiscalité actuelle ne serait ainsi plus adaptée à l’allongement de la vie et renforcerait « l’accumulation du patrimoine par des générations de plus en plus âgées » (en incitant insuffisamment la transmission de son vivant). Très attaché à limiter la concentration du patrimoine au sein des familles les plus riches (le mot « concentration » apparaît 27 fois dans le rapport), le CPO estime qu’il faut « freiner la part de l’héritage dans la constitution du patrimoine des ménages » et que la hausse des droits de succession en constitue l’instrument le plus adapté. L’organisme considère en effet que les successions, y compris sur les patrimoines les plus élevés, « demeurent faiblement imposées en France ». Pour finir, le CPO reproche au système actuel de taxation des successions, en privilégiant les transmissions en ligne directe (parents-enfants), de ne plus être en phase avec les évolutions de la société et notamment le développement des familles recomposées.
Un traitement de choc
Le CPO propose une série de mesure qui, si elles sont mises en places, conduiraient à une réforme d’ensemble, mais surtout à un sérieux tour de vis fiscal. Nous noterons que le CPO propose de :
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Majorer la taxation des successions afin de favoriser les donations. Les donations (mais peut être uniquement celles aux jeunes générations, semble-t-on lire entre les lignes) conserveraient leur régime fiscal actuel (que le CPO reconnait pourtant peu incitatif) mais l’imposition des successions serait majorée par exemple « en diminuant l’abattement, voire en réservant son application aux donations ». La solution inverse, qui consisterait à maintenir le niveau actuel de taxation des successions tout en allégeant l’imposition des donations (en octroyant des réductions de droits, par exemple) présenterait selon le CPO le double inconvénient d’un «effet négatif sur les finances publiques » et du renforcement de la concentration du patrimoine chez les familles les plus aisées.
La hausse des droits de succession serait ciblée sur les transmissions en ligne directe, et non sur les transmissions en ligne indirecte déjà lourdement taxées (55% de droits pour un neveu et 60% pour un non-parent)
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Réduire l’avantage fiscal de l’assurance-vie « en diminuant le montant de l’abattement spécifique applicable (de 152 500€) et/ou en rapprochant les taux du prélèvement (20% et 31,25%) de ceux du barème », voire, mais plutôt à long terme, supprimer totalement cet avantage fiscal en intégrant l’assurance-vie dans la succession.
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Remettre en cause certaines exonérations. Selon les chiffres cités par le CPO les « dépenses fiscales » générées par les dispositifs dérogatoires ou d’exonération partielle en matière successorale représenteraient un coût de l’ordre de 800 millions d’euros environ. Le CPO suggère de passer en revue leurs effets et leur justification. Le dispositif « Dutreil » ne semble pas directement visé même si le CPO constate, dans la partie de son rapport traitant de la fiscalité comparée en Europe que le pacte Dutreil français semble « plus souple que certains de ses homologues, qui posent une condition de maintien de l’emploi ou de la masse salariale ». En revanche, l’exonération des bois et forêts à hauteur des trois-quarts de leur valeur (loi Sérot) est clairement incriminée, l’objectif poursuivi alors par la loi (éviter le déboisement des forêts par les héritiers pour payer leurs droits de succession ayant selon le CPO a « perdu de sa pertinence » en raison de la progression régulière de la surface forestière).
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Permettre aux transmissions au profit des enfants du conjoint de bénéficier du même barème que celles en ligne directe ou, à défaut, à des conditions plus avantageuses que l’imposition actuelle (taxation au taux de 60%). Enfin, le CPO évoque la possibilité de centrer la fiscalité sur l’héritier en faisant dépendre le taux applicable à la succession au montant des transmissions reçues tout au long de la vie et non plus à chaque transmission. L’idée, déjà formulée dans le rapport France-Stratégie (note d’analyse, janvier 2017, numéro 51) consisterait à déterminer à chaque nouvel héritage le montant à payer en fonction des sommes déjà reçues par l’héritier, y compris de la part d’autres personnes, et non de la somme transmise par le seul défunt. Le CPO ne tranche cependant pas sur l’opportunité de cette réforme et sur sa faisabilité, tant au regard des moyens matériels dont dispose l’administration fiscale et qui devrait faire évoluer sérieusement ses outils informatiques, que de sa conformité à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Alors, comment anticiper un tour de vis fiscal que tout semble dessiner ?
Prévoir, c’est à la fois supputer l’avenir et le préparer ; prévoir, c’est déjà agir disait Henri Fayol.
Face au risque d’augmentation de la pression fiscale sur les successions, il est urgent d’anticiper. Les conseils et leurs clients connaissent bien les vertus d’une transmission choisie, murie et organisée et en parallèle les inconvénients d’une transmission non planifiée et donc subie par les héritiers.
La planification successorale permettra à la fois de réaliser une économie fiscale, mais surtout de prévenir les conflits futurs entre les héritiers en organisant la répartition du patrimoine de son vivant.
En ce début d’année, et face aux incertitudes futures nous conseillerons de jouer la carte du long terme ce qui impliquera :
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de privilégier la transmission du patrimoine de son vivant, au fil de l’eau, par donations successives afin de profiter au maximum des abattements fiscaux et de la progressivité du barème des droits de succession. La prévision de l’évolution de la fiscalité est toujours incertaine, mais l’expérience montre qu’une transmission progressive du patrimoine sera toujours préférable sur le long terme.
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d’organiser des sauts de génération tant que possible, ceci notamment pour la transmission des actifs immobiliers, dont la rentabilité nette après impôt (IRPP, IFI, taxe foncière) sera souvent insuffisante pour se permettre d’assumer la fiscalité de transmissions successives à chaque génération.
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de profiter pleinement des mécanismes d’exonération partielle tant qu’ils existent : les propriétaires de parcelles boisées ou agricoles seront bien avisés d’anticiper leur transmission d’autant plus que le bénéfice des exonérations applicables (bois et forêts, parts de GFA, de groupement forestiers …), sont cumulables. La transmission d’entreprises gagnera également à être anticipée, moins par crainte de resserrement des conditions du dispositif Dutreil, dont nous pensons qu’il sera préservé en raison de son utilité économique, mais surtout pour prendre date pour le respect des engagements fiscaux de conservation.
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d’utiliser raisonnablement l’assurance-vie en multipliant les bénéficiaires : s’il est fort possible que le taux du prélèvement sur le dénouement des contrats d’assurance-vie les plus importants soit majoré à terme, il semble moins probable, en raison de l’impopularité d’une telle mesure, que le législateur modifie de façon drastique le montant de l’abattement dont bénéficie chacun des bénéficiaires sur la part des capitaux investis avant 70 ans.
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et pour l’avenir, d’associer ses héritiers à la constitution du patrimoine, solution évidente mais pas assez pratiquée : plutôt que de constituer un patrimoine en vue de le transmettre (et subir deux fois la fiscalité !), mieux vaudra le constituer directement avec ses proches par exemple, pour les actifs immobiliers locatifs, en les faisant acquérir directement par une société constituée entre les parents et les enfants.
En conclusion pour ne pas subir de façon trop abrupte un durcissement de la taxation des héritages, il faut travailler à réduire le montant de l’héritage restant à transmettre au décès. Mais la planification devra être réalisée sans précipitation excessive et en conservant une vision globale et sur le long terme (quels seront les besoins futurs du donateur et de ses enfants ?). L’ensemble de la famille en profitera et notamment les générations futures, qui pourront faire fructifier un patrimoine et en disposer à un âge où elles en auront véritablement besoin.