Par une décision du 26 juin 2018, le Tribunal administratif de Versailles a jugé que sont contraires au principe communautaire de libre circulation des capitaux, les dispositions combinées des articles 244 bis A II 1° et 150 U II 2° du Code général des Impôts, CGI, qui conduisent à priver d’une exonération intégrale, la plus-value de cession de la résidence principale d’un contribuable qui, ayant déménagé hors de France, est devenu non-résident fiscal français au jour de la cession de la résidence principale qu’il occupait alors qu’il était encore résident fiscal français.
Les faits :
En 2013, un contribuable résident fiscal français a été nommé, par son employeur en France, dans de nouvelles fonctions au sein d’une filiale en Chine. Celui-ci a alors déménagé en Chine et a mis en vente sa résidence principale en France, qu’il occupait depuis plus de 10 ans.
La vente de la résidence principale est intervenue quelques mois plus tard alors que le contribuable était devenu résident fiscal chinois et donc non-résident fiscal français.
En conséquence, la plus-value de cession a été soumise aux dispositions de l’article 244 bis A du CGI applicables aux non-résidents fiscaux français, lequel ne renvoie pas au régime d’exonération de la résidence principale (codifié à l’article 150 U II 1° du CGI).
Le contribuable a pu bénéficier du régime d’exonération de l’article 150 U II 2° du CGI applicable aux non-résidents fiscaux français, mais ce régime prévoyant un plafond d’exonération (150.000 € pour une personne seule, 300.000 € pour un couple), la plus-value de cession de sa résidence n’a pas été intégralement exonérée (comme ceci aurait été le cas si le régime d’exonération de la résidence principale avait été appliqué).
L’argumentation soulevée : la non-conformité au principe communautaire de libre circulation des capitaux
Selon l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex article 56 § 1 du Traité CE), « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ».
Cependant, les articles 64 et 65 (ex articles 57 et 58 du Traité CE) reconnaissent aux États membres le droit d’appliquer :
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des restrictions existant le 31 décembre 1993 (clause dite de gel), laquelle n’est cependant applicable qu’aux investissements relevant d’une activité économique, ce qui n’est pas le cas d’un investissement immobilier de type patrimonial.
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des dispositions fiscales qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation au regard, notamment, de leur résidence, à condition qu’une telle distinction ne constitue ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.
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des dispositions fiscales comportant une restriction à la libre circulation des capitaux répondant à une raison impérieuse d’intérêt général.
En l’espèce , le régime d’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale (article 150 U-II-1 du CGI) a été refusé au contribuable par l’Administration fiscale dans la mesure où celui-ci avait déménagé hors de France et était donc devenu non-résident fiscal français.
Comme indiqué ci-avant, la plus-value a alors été soumise aux dispositions combinées des articles 244 bis A II 1° et 150 U II 2° du CGI, dont il n’a pas résulté pas une exonération totale de la plus-value de cession (compte tenu du plafond de 300.000 € précité).
Pour justifier sa position, l’Administration fiscale a invoqué le fait que le régime d’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale résulte de la volonté du Législateur de favoriser le marché immobilier français en contribuant à sa fluidité, l’exonération permettant aux cédants de réemployer l’intégralité du prix de cession pour l’acquisition d’une autre résidence principale en France. Ainsi, selon l’Administration fiscale, le fait que les non-résidents fiscaux français ne puissent bénéficier du même avantage est fondé sur des critères en rapport direct avec l’objet de la loi, dès lors que, dans leur cas, disparaît la perspective d’un réinvestissement du prix de cession dans l’acquisition d’une nouvelle résidence en France.
Pour sa part, le contribuable a réaffirmé son argumentation selon laquelle subordonner l’application du régime d’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale à la condition que le cédant demeure résident fiscal français était manifestement contraire au principe communautaire de libre circulation des capitaux.
En outre, cette condition de résidence fiscale en France constitue une restriction à la libre circulation des capitaux non couverte par les cas d’exception autorisés.
La décision du Tribunal administratif de Versailles
Par sa décision du 26 juin 2018 (n° 1503365), le Tribunal administratif de Versailles a accueilli favorablement le moyen du contribuable selon lequel les dispositions combinées des articles 244 bis A II 1° et 150 U II 2° du CGI constituent une restriction au principe communautaire de libre circulation des capitaux garanti par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
En effet, ce dernier juge que ces dispositions fiscales qui limitent à 150.000 € l’exonération de la plus-value de cession de la résidence principale « peuvent être de nature à dissuader un résident fiscal de France qui devient résident fiscal d’un pays tiers de céder sa résidence principale et, dans cette mesure, restreindre la circulation du produit de cette vente à destination de son nouveau pays de résidence ».
Le Tribunal relève ensuite :
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Que cette restriction aux mouvements de capitaux n’est pas couverte par la clause de gel, puisque la cession de la résidence en cause n’a pas été effectuée en vue de l’exercice d’une activité économique.
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Que l’Administration fiscale ne justifie pas que le contribuable se trouvait « dans une situation objectivement différente de celle d’un résident français au regard de la seule disposition entravant la libre circulation des capitaux ».
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Que l’Administration fiscale ne fait pas état d’une raison impérieuse d’intérêt général.
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Que l’Administration fiscale « ne conteste pas que le bien, cédé le 21 février 2014, devait être regardé, au regard notamment du délai et des conditions dans lesquels il est demeuré inoccupé puis a été vendu, comme ayant conservé, au regard du droit à exonération, le caractère de résidence principale ».
Des conséquences de la décision du Tribunal administratif de Versailles au-delà de la situation du seul contribuable en cause
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Un contribuable qui déménage hors de France peut bénéficier du régime d’exonération intégrale de la plus-value de cession de sa résidence principale alors même qu’au jour de la cession il est devenu non-résident fiscal français, sous réserve que la cession intervienne dans un délai normal à compter du déménagement et que le logement soit demeuré inoccupé.
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Selon l’Administration fiscale, ce délai normal est d’un an sauf circonstances particulières. En pratique, au-delà du délai d’un an, il demeurera possible de bénéficier de l’exonération à condition de pouvoir justifier des difficultés de vente de la résidence en raison par exemple des particularités du bien au regard du marché local. Dans tous les cas, il conviendra de justifier des diligences accomplies pour vendre le bien dans les meilleurs délais.
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Pour les contribuables ayant acquitté l’impôt (IR et contributions sociales) sur la plus-value de cession de leur résidence principale après avoir déménagé hors de France, il demeure possible d’obtenir le dégrèvement de cette imposition par voie de réclamation, sous réserve que le paiement de l’impôt ne soit pas antérieur à 2016 (sauf cas particuliers).
Reste également à suivre la position que prendront l’Administration fiscale, à savoir faire appel ou non de ce jugement, et le législateur dans le cadre des lois de finances de fin d’année (modification ou non des dispositions jugées contraires au principe communautaire de libre circulation des capitaux).