Dans une récente décision le juge de l'impôt nous rappelle les règles de l'assujettissement à la TVA des dépôts de garantie conservés par un bailleur.
Le litige s'inscrit dans le cadre général de l'application de la TVA aux opérations réalisées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. L'article 256 du CGI pose le principe selon lequel sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux. La notion de « prestation de services » est large et englobe, notamment, « le fait de s'obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation ».
Il résulte de ces dispositions que pour être imposées à la TVA, les indemnités doivent correspondre à des sommes qui constituent la contrepartie d’une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse. A l’inverse, une indemnité qui a pour objet exclusif de réparer un préjudice commercial, fut-il courant, n’a pas à être soumise à cet impôt dès lors qu’elle ne constitue pas la contrepartie d’une prestation de services. Pour déterminer les règles de TVA applicables à une indemnité, il convient donc, dans chaque situation de fait, d’analyser les conditions de son versement.
Si la somme représente, pour la personne qui la verse, la contrepartie d’un service qui lui est rendu, il conviendra de conclure au caractère taxable de cette somme indépendamment du fait qu’elle résulte de l’application du contrat ou de la loi. Il en va de même lorsqu’elle est fixée par le juge. Source : BOI 3 B-1-02, n°60
A cet égard, pour la détermination du régime applicable, il est rappelé que l’administration n’est pas liée par la qualification juridique donnée à l’indemnité par les parties.
Rappel des faits :
La SCI P avait loué des locaux industriels à la société A, optant pour l'assujettissement de ses loyers à la TVA. Le contrat de bail prévoyait le versement d'un dépôt de garantie de 115 000 €, qualifié de « nantissement » et destiné à garantir l'exécution des obligations du preneur. Une clause stipulait expressément qu'en cas de résiliation du bail par suite d'inexécution imputable au preneur, ce dépôt resterait acquis au bailleur « à titre de premiers dommages et intérêts ».
La société A ayant été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, une partie des loyers est restée impayée. Dans le cadre d'un protocole d'accord, la créance de loyers de la SCI P a été ramenée à zéro en contrepartie de la conservation du dépôt de garantie et de l'absence de remise en état des lieux.
L'administration fiscale, à l'issue d'une vérification de comptabilité, a considéré que la conservation de ce dépôt de garantie s'analysait comme la rémunération d'une prestation de service soumise à la TVA. Elle a estimé que cette conservation compensait les loyers antérieurs dus et les travaux de remise en état du bien, et a, en conséquence, assujetti la SCI P à des rappels de TVA pour la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017.
La SCI P a contesté ce redressement, demandant au Tribunal administratif la décharge des rappels de TVA.
Elle soutient que la conservation du dépôt de garantie était de nature purement indemnitaire, destinée à compenser une perte de revenus et une dépréciation du bien. Elle insistait sur le fait qu'elle n'agissait pas en tant qu'opérateur économique mais en tant que victime d'une atteinte à son droit de propriété. Pour la SCI, l'administration n'avait pas identifié de prestation de service individualisée justifiant l'assujettissement à la TVA.
Le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand vient de rejeter la requête de la SCI P
Le juge a considéré que la conservation du dépôt de garantie par le bailleur, en cas d'inexécution des obligations contractuelles du preneur, était en lien direct avec la prestation de location et l'obligation de remise en état des locaux.
Pour le Tribunal, peu importent les termes du contrat de location qualifiant cette conservation de « premiers dommages et intérêts » et la circonstance que le montant du dépôt de garantie ne soit pas équivalent au coût des prestations.
L'essentiel réside dans le lien fonctionnel entre le dépôt de garantie et l'exécution du contrat de bail. Le juge a ainsi validé l'analyse de l'administration selon laquelle la somme de 115 000 € correspondait à la rémunération d'une prestation de service, et devait par conséquent être soumise à la TVA en application de l'article 256 du CGI.
Cette décision nous rappelle qu'il faut être vigilant quant à la qualification et au traitement fiscal des dépôts de garantie et des indemnités contractuelles. La volonté des parties, exprimée dans les clauses contractuelles, ne lie pas l'administration fiscale dans son appréciation de l'assujettissement à la TVA.
La substance économique de l'opération prévaut toujours. Il est donc impératif, lors de la rédaction de contrats prévoyant de tels mécanismes, d'anticiper les potentielles implications en matière de TVA et de s'assurer que la qualification retenue correspond à la réalité économique de l'opération.