Le juge de l'impôt rend une nouvelle décision concernant la dispense de TVA prévue à l'article 257 bis du CGI dans le cadre d'une cession par le crédit-preneur de l'immeuble suite à la levée d'option d'achat prévue dans le cadre du crédit-bail immobilier.
L'article 257 bis du CGI, interprété à la lumière de l'article 5§8 8 de la sixième directive européenne et de l'arrêt de la CJCE du 27 novembre 2003 (affaire C-497/01, Affaire Zita Modes), prévoit une dispense de TVA lors de la transmission, à titre onéreux, gratuit ou sous forme d'apport, d'une universalité totale ou partielle de biens. Cette dispense s'applique au transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'entreprise si le bénéficiaire a l'intention d'exploiter le fonds ou la partie d'entreprise transmis, et non de liquider immédiatement l'activité.
L’article 257 bis du CGI est ainsi libellé :
Les livraisons de biens et les prestations de services, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens. Le bénéficiaire est réputé continuer la personne du cédant, notamment à raison des régularisations de la taxe déduite par ce dernier, ainsi que, s’il y a lieu, pour l’application des dispositions du e du 1 de l’article 266, de l’article 268 ou de l’article 297 A.
Les deux conditions posées par ce texte sont donc les suivantes :
- un vendeur et un acquéreur tous deux redevables de la TVA de plein droit ou sur option,
- une mutation portant sur une universalité totale ou partielle de biens.
La doctrine fiscale a étendu l’application de la dispense aux cessions d’immeubles réalisées par des bailleurs ayant soumis les baux à la TVA lorsque l’immeuble loué est cédé à un acquéreur qui poursuit ces baux en prenant lui-même l’option prévue à l’article 260 2°du CGI (Rescrit fiscal n°2006/58 (TCA) du 26 décembre 2006).
Le Conseil d’État a jugé dans deux arrêts du 23 novembre 2015 ( CE, arrêts du 23 novembre 2015, n° 375054 et n° 375055 ). que les dispositions de l’article 257 bis du CGI sont également applicables à la revente, dès son acquisition, d’un immeuble par un crédit preneur ayant préalablement levé l’option d’achat auprès du crédit bailleur, lorsque le nouvel acquéreur poursuit l’activité de location des locaux. L’administration a dans le cadre d’une mise à jour de la base BOFIP-Impôt en date du 3 janvier 2018 tiré les conséquences de ces deux arrêts relatifs à la mise en oeuvre de l’article 257 bis en présence d’un crédit-bail.
Rappel des faits :
La SCI S, dont l'objet social porte sur l'acquisition, la mise en valeur, l'entretien, l'aménagement et la vente de tous immeubles et terrains, était titulaire d'un contrat de crédit-bail portant sur un ensemble immobilier situé à Brie-Comte-Robert en Seine-et-Marne. Cet ensemble immobilier était sous-loué par la SCI S à deux sociétés, L et SO, qui occupaient les locaux dans le cadre de leur activité commerciale.
La situation s'est dégradée à partir de 2016 en raison de l'absence de paiement des loyers par les sous-locataires. Face à ces impayés, la SCI S a engagé une procédure de résiliation des baux qui a abouti à la libération juridique des locaux au 31 mai 2019. À cette date, les contrats de sous-location ont été résiliés pour non-paiement et la SCI n'était donc plus locataire principale de l'ensemble immobilier vis-à-vis du crédit-bailleur.
Le 29 octobre 2019, la SCI S a procédé à une double opération en une seule journée. Elle a d'abord exercé la levée d'option anticipée du contrat de crédit-bail qu'elle avait conclu avec la société F, acquérant ainsi l'ensemble immobilier pour un montant total de 824 463 €, incluant 147 410 € de TVA. Immédiatement après cette acquisition, elle a revendu le même jour cet ensemble immobilier à la société N pour un montant total d'un 1,9M€, incluant 330 000€ de TVA qu'elle a facturée sur option.
Les actes notariés relatifs à ces deux transactions mentionnaient expressément que le bien immobilier était libre de toute occupation à la date des opérations. Toutefois, la situation était plus complexe, puisqu'il ressort du dossier que les anciennes sous-locataires L et SO s'étaient maintenues illégalement dans les locaux malgré la résiliation des baux. Ces sociétés ont ultérieurement cédé leurs fonds de commerce le 15 juin 2020 à de nouvelles sociétés qui ont poursuivi l'exploitation des locaux.
La SCI S a demandé le remboursement du crédit de TVA 147 410€ correspondant à la taxe acquittée lors de la levée d'option, considérant qu'elle pouvait bénéficier de la dispense de TVA prévue à l'article 257 bis du CGI. Parallèlement, elle a opté pour l'assujettissement à la TVA lors de la revente à N en facturant 330 000 de TVA, somme qu'elle n'a toutefois pas déclarée dans ses déclarations de TVA.
Par une proposition de rectification du 14 septembre 2020, l'administration a refusé le remboursement du crédit de TVA au motif que les conditions d'application de l'article 257 bis n'étaient pas remplies. Considérant que la SCI SOLOG avait volontairement et définitivement cessé son activité de location à compter du 31 mai 2019 et que les locaux n'étaient plus occupés au moment des transactions, l'administration a estimé qu'il n'y avait pas eu transmission d'une universalité de biens ni intention de poursuivre l'exploitation locative.
Suite au rejet de sa réclamation la SCI S a saisi le TA de Nantes
- Elle soutient que les locaux n'étaient pas vacants au 29 octobre 2019 puisque les anciennes sous-locataires L et SO s'y maintenaient de fait malgré la résiliation des baux intervenue en mai 2019. Cette occupation matérielle démontre selon elle une exploitation locative effective devant primer sur la situation juridique formelle mentionnée dans les actes notariés.
- Elle conteste ensuite l'exigence administrative de démontrer une recherche active de nouveaux locataires, estimant que l'occupation effective des locaux suffisait à caractériser l'intention d'exploiter exigée par la jurisprudence européenne. Elle invoque subsidiairement avoir communiqué à l'administration un mandat de recherche de locataire daté du 26 septembre 2018.
- Enfin, sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF, la SCI se prévaut de plusieurs rescrits fiscaux, de deux réponses ministérielles et d'une fiche administrative qui comportent selon elle une interprétation plus favorable de l'article 257 bis du CGI que celle retenue par l'administration.
Le TA de Nantes vient de rejeter la requête de la SCI S
Les juges ont rejeté la demande de la SCI S en se fondant sur une analyse stricte de l'article 257 bis du CGI et de la jurisprudence européenne précitée (arrêt Zita Modes).
- Le tribunal a d'abord rappelé que la dispense de TVA ne s'applique qu'en cas de transmission d'une entreprise ou d'une partie autonome d'activité, à condition que l'acquéreur ait l'intention de poursuivre l'exploitation et non de liquider les actifs.
En l'espèce, le tribunal a constaté que l'exploitation locative avait cessé bien avant la vente du 29 octobre 2019 :
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- Les baux des sous-locataires avaient été juridiquement résiliés dès le 30 mai 2019.
- Les actes notariés de la vente mentionnaient explicitement que l'immeuble était libre de toute occupation.
Par conséquent, la cession ne portait pas sur une "universalité de biens" (une activité locative en cours) mais sur un simple actif immobilier. L'intention de poursuivre l'exploitation était absente, d'autant que la SCI a revendu le bien le jour même de son acquisition.
- Pour le tribunal, l'occupation illégale des lieux par les anciens locataires après la résiliation des baux est jugée sans incidence.
- Enfin, le tribunal a écarté les autres arguments :
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La prétendue recherche de nouveaux locataires n'a pas été prouvée par la SCI.
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Les doctrines administratives (L. 80 A) invoquées n'étaient pas en contradiction avec l'interprétation de la loi retenue par le juge.
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Décision rigoureuse au regard de la jurisprudence précédente et de la doctrine. Rappelons, en effet, que dans le cadre d'une réponse ministérielle Bernard Gérard du 8 mars 2016, le Gouvernement a précisé :
Une cession intervenant entre deux assujettis à la TVA d’un immeuble provisoirement vacant au moment de la cession bénéficie de la dispense posée à l’article 257 bis du CGI dès lors que le cédant est en mesure de démontrer qu’il recherche activement un locataire.
La vacance des locaux cédés peut se justifier notamment par la conjoncture du marché immobilier, un changement de locataire, par des travaux ou à l’issue d’un sinistre, sans que l’intention de louer le bien en TVA n’ait été remise en cause .
En conséquence, la durée de la période de vacance ne constitue pas un critère d’appréciation au sens de l’article 257 bis du CGI, seule l’intention démontrée de louer le bien étant retenue en cas de vacance.