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Impôt sur les sociétés

Créances douteuses détenues par un associé IS sur une SCI (IR) : le juge de l'impôt réaffirme le droit à provision

Le juge de l'impôt distingue le régime de translucidité fiscale des sociétés civiles (imposition des associés sur leur quote-part de résultat) du régime des provisions pour créances douteuses. Un associé peut ainsi provisionner une créance sur une société civile dont il est membre, indépendamment de l'imputation des déficits de cette société

 

Pour mémoire, l'article 8 du CGI prévoit que les membres des sociétés civiles n'ayant pas opté pour l'impôt sur les sociétés sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. Par ailleurs et conformément aux dispositions de l'article 218 bis du CGI, les sociétés ou personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, en vertu de l'article 206 du CGI (à l'exception de celles désignées au 5 de l'article 206 du CGI) sont personnellement soumises à cet impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu'elles détiennent dans des sociétés de personnes et assimilées relevant de l'impôt sur le revenu.

L'article 39-1-5° du CGI, applicable en matière d'impôt sur les sociétés par renvoi de l'article 209, autorise de son côté la déduction des :

provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice.

L'article 39-13 du CGI, applicable aux exercices clos à compter du 4 juillet 2012, exclut des charges déductibles les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l'exception des aides à caractère commercial.

 

Enfin, l'article 39-4 du CGI exclut des charges déductibles celles résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences.

 

Rappel des faits :

La SC L, qui a opté pour l'imposition de ses bénéfices à l'impôt sur les sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2013 et 2014. À l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a remis en cause la déduction de diverses provisions, notamment :

  • Des provisions pour créances douteuses détenues sur la SCI AS et la SCI du FP, sociétés dont la société L était associée
  • Des provisions pour dépréciation de la participation détenue dans la SCEA 2J
  • Des provisions pour créances douteuses détenues sur cette même SCEA 2J

Selon l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Nancy, la SC L a accordé à la SCI AS, dans le capital de laquelle elle détient la moitié des parts, des avances en compte courant qui se sont élevées à 467 793 € au 31 décembre 2014. Elle a constitué des provisions pour dépréciation de cette créance pour 55 000 € au 31 décembre 2012 et 227 462,50 € au 31 décembre 2014.

 

De même, la SC L a accordé à la SCI du FP, dans le capital de laquelle elle détient 88,74% des parts, des avances en compte courant qui se sont élevées à 1 150 414,51 € au 31 décembre 2013 et 1 169 789,19 € au 31 décembre 2014. Elle a provisionné la totalité de cette créance au 31 décembre 2014.

 

La SCEA 2J, quant à elle, a été créée en 2006 sous forme de SCI puis transformée en SCEA en 2010. Son objet social est l'exploitation d'un domaine présenté comme agricole de plus de 55 ha attenant à la résidence principale de ses associés, M. B. et Mme A qui étaient initialement associés à parts égales avant que la SC L se substitue, en 2009, à M. B. La SC L a constitué des provisions pour dépréciation des titres détenus dans cette société pour 600 000 € en 2013 et 1 400 000 € en 2014, ainsi qu'une provision de 323 000 € pour créance douteuse à la clôture de l'exercice 2014.

 

Le tribunal administratif de Nancy, par un jugement du 23 décembre 2020, a rejeté la demande de décharge des impositions supplémentaires présentée par la société L. La cour administrative d'appel de Nancy, par un arrêt du 6 avril 2023, a confirmé ce jugement.

 

L'administration fiscale soutient :

  • Pour les provisions concernant les SCI AS et FT :
    • Que le risque de perte des créances était indissociable des pertes constatées dans les écritures des SCI, dont la société L, en tant qu'associée, pouvait déjà imputer la part correspondant à sa participation
    • Que le caractère douteux des créances n'était pas justifié, faute d'établir que l'autre associé n'était pas en capacité de faire face au paiement des dettes sociales
    • Que les avances consenties constituaient des aides à caractère financier non déductibles en application de l'article 39-13 du CGI
  • Pour les provisions concernant la SCEA 2J :
    • Que cette société avait servi à constituer au profit de la résidence personnelle de ses associés et pour leur usage personnel un important parc d'agrément
    • Que les provisions y afférentes n'étaient donc pas déductibles en application de l'article 39-4 du CGI

 

La société L s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.

 

Le Conseil d'État annule l'arrêt de la cour administrative d'appel en identifiant trois erreurs de droit :

 

Sur les provisions pour créances douteuses détenues sur les SCI :

Le Conseil d'État rappelle d'abord le principe selon lequel les associés des sociétés civiles doivent prendre en compte, à la clôture de leurs propres exercices, la part qui leur revient dans les résultats bénéficiaires ou déficitaires de la société civile. Il précise toutefois que cette règle...

...ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'associé d'une société civile immobilière constitue, dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 de ce code, une provision pour tenir compte du risque de perte d'une créance qu'il a consentie à cette société.

La cour avait considéré que le risque de perte des créances était "indissociable des pertes" qui avaient vocation à être constatées dans les écritures des SCI. Pour le Conseil d'État, cette position constitue une erreur de droit. La cour aurait dû rechercher si ces provisions satisfaisaient aux conditions de l'article 39-1-5° du CGI, sans exclure par principe leur déductibilité du fait de la qualité d'associé du créancier.

 

Sur l'obligation des associés aux dettes sociales :

Le Conseil d'État censure également l'argument selon lequel le caractère douteux des créances n'était pas justifié, faute qu'il soit établi que l'autre associé de la SCI n'était pas en capacité de faire face au paiement des dettes sociales. Il précise que..

...l'obligation aux dettes des associés d'une société civile prévue par l'article 1857 du code civil (...) ne vaut, en tout état de cause, que pour les dettes à l'égard des tiers et non des associés.

Cette responsabilité ne peut donc être invoquée pour contester le caractère douteux d'une créance détenue par un associé.

 

Sur la qualification d'aides entre entreprises :

Le Conseil d'État rejette la qualification d'aides à caractère financier entrant dans le champ de l'article 39-13 du CGI retenue par la cour pour les avances accordées aux SCI. Il rappelle...

qu'eu égard à la nature et au fonctionnement du compte courant d'associé, les sommes inscrites au crédit d'un tel compte présentent la caractéristique essentielle, en l'absence de convention particulière ou statutaire régissant ce compte, d'être remboursables à tout moment.

Sur les provisions relatives à la SCEA 2J :

Enfin, le Conseil d'État censure la position de la cour qui avait validé la réintégration des provisions relatives à la SCEA 2J au motif que cette société aurait permis de constituer un parc d'agrément assimilable à une résidence de plaisance. Il précise que les dispositions de l'article 39-4 du CGI...

...si elles font obstacle à la déduction par une société qui dispose d'une telle résidence des charges qui lui sont afférentes, ne permettent pas par elles-mêmes de remettre en cause les provisions constituées par l'associé de cette société

 

Publié le jeudi 13 mars 2025 par La rédaction

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