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Dividendes chiliens et neutralisation de la QPFC : le Conseil d'État étend les effets des clauses conventionnelles d'égalité de traitement

Nouvel éclairage sur l'articulation entre le régime fiscal des groupes de sociétés et les conventions fiscales internationales. À l'occasion d'un litige portant sur la neutralisation de la quote-part de frais et charges (QPFC) sur des dividendes versés par des filiales chiliennes, la Haute juridiction administrative développe une analyse qui pourrait avoir des répercussions importantes sur le traitement fiscal des distributions internationales. Cette décision s'inscrit dans le prolongement de la jurisprudence "Raymond" sur la nature de la QPFC, tout en ouvrant de nouvelles perspectives quant à la portée des clauses d'égalité de traitement contenues dans les conventions fiscales.

 

Pour mémoire l'évolution législative et jurisprudentielle de la QPFC illustre l'interaction ( que l'on peut qualifier de complexe) entre le droit fiscal interne, le droit de l'UE et les conventions fiscales internationales.

 

Chronologiquement, on observe trois étapes majeures. Avant 2016, le régime distinguait clairement entre une neutralisation totale de la QPFC de 5% pour les dividendes intragroupe fiscal et l'application de la QPFC de 5% pour tous les autres dividendes, y compris ceux provenant de filiales européennes.

 

L'arrêt Steria (Décision du 2 septembre 2015 la CJUE - Aff. C-386/14, Groupe Steria SCA) a constitué un tournant majeur en jugeant cette différence de traitement contraire à la liberté d'établissement. Cette décision a forcé le législateur français à adapter le dispositif. La réforme de 2016 a ainsi instauré un nouveau régime plus équilibré avec une QPFC réduite à 1% pour les dividendes intragroupe et ceux provenant de filiales européennes qui auraient pu être intégrées, tout en maintenant la QPFC à 5% dans les autres cas.

 

La loi de finances 2019 (Art 32) commentée au BOFIP le 15 avril 2020 a encore étendu le bénéfice du taux de 1% aux situations où une société mère ne dispose pas de filiales françaises éligibles à l'intégration, tout en excluant explicitement les cas de non-option volontaire pour le régime.

 

Dans ce contexte, l'arrêt du Conseil d'État du 18 février 2025 sur les dividendes chiliens ouvre une nouvelle perspective en étendant potentiellement le bénéfice de la neutralisation à certains pays tiers sur le fondement des conventions fiscales comportant des clauses d'égalité de traitement.

 

Rappel des faits :

La société anonyme (SA) L, membre d’un groupe fiscalement intégré, a perçu en 2015 des dividendes provenant de filiales établies au Chili. Au titre du régime des sociétés mères (articles 145 et 216 du CGI), L a exclu ces dividendes de son bénéfice net, sauf pour une quote-part de frais et charges de 5 %. Estimant que cette réintégration forfaitaire excédait le montant réel de charges exposées, la société a demandé la restitution de la fraction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés correspondante, soit 1 029 472 €.

 

Après le rejet d’une réclamation amiable, le tribunal administratif de Montreuil avait fait droit à la demande de restitution (jugement du 3 décembre 2020). Le Tribunal a constaté que les filiales chiliennes remplissaient plusieurs critères importants : elles sont soumises au Chili à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés français, leurs exercices comptables durent 12 mois et se clôturent à la même date que L France et L, enfin, elles sont détenues à plus de 95% par Legrand. Pour le Tribunal, du fait de ces caractéristiques, ces sociétés doivent être considérées comme étant dans une situation équivalente à celle d'une filiale intégrée au groupe L SA au sens de l'article 223 A du CGI. Par conséquent, leurs dividendes versés à L France doivent être exonérés d'impôt dans les mêmes conditions que ceux versés par toute autre filiale du groupe, qu'elle soit française ou européenne.

 

Toutefois, sur appel du ministre de l’économie, des finances et de la relance, la CAA de Paris a annulé partiellement ce jugement (Arrêt du 10 novembre 2023) et remis à la charge de la société la somme en cause. Elle a estimé que les dispositions conventionnelles ne permettaient pas la neutralisation de la quote-part en application du régime d’intégration fiscale.

 

  • Le contribuable soutient que la convention franco-chilienne, qui prévoit une exonération des dividendes chiliens "dans les mêmes conditions" que si la société distributrice était française ou européenne, impose la neutralisation de la quote-part comme pour les dividendes intragroupe.
  • L'administration considère que la convention n'a pas pour objet d'étendre les mécanismes spécifiques de l'intégration fiscale aux sociétés chiliennes.

 

Le Conseil d'Etat vient de faire droit à la demande de la société L.

 

Il commence par analyser la nature de la QPFC au point 2, en soulignant son caractère hybride : au-delà d'une simple neutralisation des charges déduites, elle constitue une véritable imposition partielle des dividendes lorsqu'elle excède les frais réels.

Soulgnons que cette qualification n'est pas nouvelle, puisqu'elle figurait déjà dans la décision Raymond (Arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 2023, n°462709) Le Conseil d'État reprend explicitement cette qualification, qui devient un élément central de son raisonnement.

Cette qualification permet au Conseil d'État de faire le lien avec la clause d'égalité de traitement de la convention franco-chilienne. En effet, si la QPFC est une forme d'imposition, elle entre dans le champ de la convention fiscale qui vise explicitement l'impôt sur les sociétés.

 

Le Conseil analyse ensuite la portée de la clause conventionnelle qui prévoit une exonération "dans les mêmes conditions" que pour une société française ou européenne. Il en tire une conséquence logique : puisque les dividendes intragroupe français et européens bénéficient d'une neutralisation de la QPFC, les dividendes chiliens doivent pouvoir en bénéficier également, sous réserve que la filiale chilienne remplisse les conditions d'appartenance au groupe fiscal (hormis la condition de résidence).

Selon l'article 22 de la convention, les dividendes versés par une société établie au Chili doivent bénéficier, aux mains de la société bénéficiaire, d’une exonération d’impôt comparable à celle qui serait applicable en cas de distribution par une société française ou d’un État membre de l’UE.

 

Partant, le Conseil d'État reproche à la CAA d'avoir adopté une lecture trop restrictive de la convention, en considérant qu'elle ne pouvait pas avoir d'effet sur les mécanismes de l'intégration fiscale. Pour la haute juridiction dès lors que la QPFC constitue une imposition partielle du dividende, la convention impose sa neutralisation.

 

Publié le mercredi 19 février 2025 par La rédaction

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