Le juge de l'impôt a tranché la question relative à la déductibilité des malis de fusion dans le cadre du régime des sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC). Cette décision, qui donne satisfaction au demandeur, clarifie les contours de l'application du régime de faveur des fusions aux SIIC et rejette le principe de symétrie défavorable invoqué par l'administration fiscale.
Le régime des sociétés d’investissement immobilier cotées (SIIC), prévu à l’article 208 C du CGI, est un dispositif fiscal dérogatoire qui permet à ces sociétés et à leurs filiales de bénéficier d’une exonération d’impôt sur les sociétés pour la fraction de leur bénéfice provenant de la location d’immeubles et des plus-values sur la cession d’immeubles ou de participations, sous certaines conditions de distribution. Ce régime vise à favoriser le développement des foncières cotées en France.
Les opérations de fusion-absorption sont, en principe, régies par les articles 210 A et suivants du CGI, qui prévoient un régime de neutralité fiscale. Ce régime permet notamment l'exonération des plus-values nettes dégagées sur les éléments d'actif apportés, ainsi que de la plus-value éventuellement dégagée par la société absorbante lors de l'annulation des titres de son propre capital qu'elle reçoit ou qui correspondent à ses droits dans la société absorbée (article 210 A, 1 du CGI). Toutefois, l'inscription à l'actif de la société absorbante du mali technique de fusion consécutif à l'annulation des titres de la société absorbée ne peut donner lieu à aucune déduction ultérieure.
La distinction entre « mali technique » et « vrai mali » est ici fondamentale.
- Le mali technique correspond à la différence négative entre la valeur nette des titres de la société absorbée figurant à l'actif de la société absorbante et l'actif net comptable apporté. Il est généralement lié à des plus-values latentes non comptabilisées de l'absorbée.
- Le vrai mali (ou mali financier), au-delà du mali technique, représente un complément de dépréciation de la participation détenue dans la société absorbée et est, en principe, comptabilisé dans le résultat financier de la société absorbante de l'exercice au cours duquel l'opération est réalisée (paragraphe 4.5.2 de l’annexe au règlement n° 2004-01 relatif au traitement comptable des fusions). Ce vrai mali est, en droit commun, déductible du résultat imposable de la société absorbante en tant que charge, en application de l’article 39, 1° du CGI.
L'article 208 C bis du même code, introduit par la LF pour 2005, a étendu aux SIIC le bénéfice du régime de neutralité fiscale des fusions prévu aux articles 210 A et suivants. Cette extension visait à faciliter les opérations de restructuration patrimoniale des sociétés immobilières cotées en leur appliquant les mêmes règles favorables que celles du droit commun des fusions.
Rappel des faits :
La société G, SIIC ayant opté pour le régime d'exonération de l'article 208 C du CGI, détenait intégralement sa filiale P, société à prépondérance immobilière non cotée ayant également opté pour le régime SIIC. Le 31 décembre 2012, G a procédé à la fusion-absorption de P, opération qui a généré un mali de fusion de 37 370 907 € correspondant à la différence négative entre la valeur comptable des titres détenus et l'actif net reçu.
À l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2012 et 2013, l'administration fiscale a procédé à la réintégration de ce mali dans le résultat imposable de G, entraînant un rehaussement d'impôt sur les sociétés de 5 694 646 € au titre de l'exercice 2012.
G a contesté ce rehaussement devant le TA de Montreuil, demandant la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés pour l'année 2012, à hauteur de 5 694 646 €. Pour ce faire elle...
- ...fait valoir qu'elle est fondée à déduire le vrai mali de fusion de son résultat imposable, car il s'agit d'une opération entre sociétés liées, expressément exclue du régime d'exonération des plus-values de cession à des personnes non liées prévu par l'article 208 C II du CGI (Elle se prévaut de rescrits de l'administration fiscale reconnaissant que les plus-values et moins-values d'annulation de titres entre sociétés liées relèvent du secteur imposable).
- ...fait valoir que la moins-value constatée lors de l'annulation des titres, résultant de l'absorption de la filiale sous le régime de faveur de l'article 210 A, est déductible du résultat imposable de la société absorbante, comme le confirment les commentaires administratifs (BOI-IS-FUS-10-50-20).
- ...conteste l'existence même du principe de symétrie invoqué par l'administration, soulignant l'absence de fondement législatif et jurisprudentiel de ce principe.
De son côté, l'administration a développé une argumentation fondée sur un prétendu principe de symétrie. Selon cette logique, si les plus-values résultant de l'annulation des titres lors d'une fusion entre sociétés SIIC relèvent du secteur exonéré, alors symétriquement, les moins-values correspondantes ne sauraient être déduites du résultat imposable au taux de droit commun. L'administration invoque également le principe d'affectation totale et exclusive des charges, considérant qu'il appartenait à Gecina de justifier de la rattachement de cette charge au secteur imposable plutôt qu'au secteur exonéré.
Le Tribunal a donné raison à la société G et prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.
- Il a d'abord précisé le périmètre exact du régime d'exonération SIIC, rappelant que celui-ci ne s'applique qu'aux plus-values sur cession à des personnes non liées ou, dans certaines conditions, aux plus-values sur cession entre sociétés liées d'immeubles et droits réels immobiliers. En l'espèce, la moins-value résultait de l'annulation de titres de participation dans une société liée, opération qui ne relève pas du champ d'application du régime d'exonération.
- Puis, le tribunal a ensuite analysé l'articulation entre les articles 208 C bis et 210 A du CGI. Il a souligné que l'article 208 C bis avait précisément pour objet d'étendre aux SIIC le principe de neutralité fiscale des fusions, permettant ainsi aux sociétés immobilières cotées de bénéficier des mêmes avantages que le régime général des fusions pour leurs opérations de restructuration.
- La juridiction administrative a ensuite rejeté le principe de symétrie invoqué par l'administration, estimant qu'un tel principe ne reposait sur aucun fondement législatif ou jurisprudentiel. Elle a souligné que l'application de ce principe aurait eu pour effet pervers de priver les sociétés optant pour le régime SIIC du droit à déduction des moins-values applicable en droit commun des fusions, créant ainsi un régime moins favorable que celui de droit commun. Une telle restriction serait contraire aux objectifs poursuivis par le législateur, qui visait précisément à créer un cadre plus favorable pour encourager les opérations de restructuration des sociétés immobilières cotées.
- S'agissant de la qualification de la moins-value, le tribunal a précisé que celle-ci, résultant de l'annulation de titres d'une société à prépondérance immobilière non cotée détenus depuis plus de deux ans, ne pouvait bénéficier du régime des moins-values à long terme en application de l'article 219 du CGI. Cette moins-value revêt donc le caractère d'une perte déductible du résultat imposable au taux de droit commun.
Le Tribunal rejette également l'argument subsidiaire de l'administration concernant le principe d'affectation totale et exclusive des charges au secteur exonéré ou imposable. Il réitère que permettre à la société absorbante de déduire la moins-value uniquement du secteur exonéré la placerait dans une situation moins favorable que celle découlant du régime général des fusions, ce qui est contraire à l'esprit du régime SIIC.
Partant, le Tribunal estime que G était fondée à déduire le vrai mali de fusion de son résultat imposable.
Le juge confirme la déductibilité du « vrai mali » de fusion pour les sociétés SIIC, même lorsque l'opération concerne une filiale elle-même soumise à ce régime.
-
Il réaffirme que la distinction entre le secteur exonéré et le secteur imposable des SIIC ne doit pas conduire à une interprétation défavorable du régime de neutralité des fusions, notamment en ce qui concerne la déductibilité des pertes.
-
Il rejette explicitement l'idée d'un principe de symétrie non fondé en droit qui empêcherait la déduction d'une moins-value là où une plus-value aurait été exonérée. Le Tribunal insiste sur le fait que le régime SIIC est un régime de faveur et que son application ne doit pas aboutir à une situation plus défavorable que le droit commun.