L'engagement de caution souscrit par un dirigeant au profit de sa société est un acte de gestion courant, mais dont les conséquences fiscales, en cas de mise en jeu, sont encadrées par une jurisprudence constante. Le juge de l'impôt vient ainsi nous rappeler les limites de la déductibilité des sommes versées par ce dirigeant-caution. En validant la méthode de plafonnement retenue par l'administration, le juge confirme que lorsque l'engagement est jugé disproportionné par rapport aux revenus du dirigeant, la déduction des paiements effectués doit être limitée. Loin de révolutionner notre pratique fiscale, cette décision n'en constitue pas moins une piqûre de rappel sur l'importance d'apprécier ce risque de disproportion au moment même de la souscription de l'engagement.
Le droit fiscal, dans une construction purement prétorienne, admet qu'un dirigeant salarié puisse déduire de ses revenus imposables les sommes qu'il est amené à verser en exécution d'un engagement de caution pris au profit de son entreprise. Ces versements sont considérés comme des frais professionnels, déductibles en application de l'article 83, 3° du CGI. Toutefois, il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, arrêt du 12 décembre 1990, nos 113038 et 82071 et CE, arrêt d'assemblée plénière du 6 janvier 1993, n° 78729) que cette déductibilité est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives rigoureuses :
- L'engagement doit se rattacher directement à la qualité de dirigeant et non à celle d'associé.
- Il doit avoir été pris dans l'intérêt de l'entreprise.
- Il ne doit pas être hors de proportion avec les rémunérations allouées au dirigeant ou celles qu'il pouvait raisonnablement escompter au moment où il a contracté son engagement.
C'est cette dernière condition qui est la plus délicate et la plus souvent source de contentieux. Si le juge estime que l'engagement est disproportionné, la déduction n'est pas totalement refusée, mais elle est plafonnée. La jurisprudence a fixé ce plafond au triple du montant des rémunérations annuelles perçues par le dirigeant au cours de l'année de souscription de l'engagement de caution.
Rappel des faits :
En l'espèce, M. A, président et associé de la SAS HB, asouscrit en 2005 un engagement de caution de 585 000 € pour garantir les dettes de sa société. Suite à la liquidation judiciaire de cette dernière, il a été appelé en garantie et a commencé à effectuer des paiements. Au titre des années 2015, 2016 et 2017, lui et son épouse ont déduit de leurs revenus la somme de 9 600 € par an.
À la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause le caractère intégral de cette déduction. Elle a constaté qu'en 2005, année de la souscription de l'engagement, les salaires cumulés de M. et Mme A (également salariée de la société) s'élevaient à 72 034 €. Jugeant l'engagement de 585 000 € manifestement disproportionné par rapport à ces revenus, l'administration a appliqué le plafond de déductibilité. Elle a calculé un montant total déductible de 216 102 euros (soit 3 x 72 034 €). Ce plafond représentant 70,03 % de la dette de caution réellement mise à la charge du dirigeant, l'administration n'a admis en déduction que 70,03 % des versements annuels, soit 6 723 € au lieu des 9 600 €déclarés, réintégrant ainsi 2 877 € au revenu imposable de chaque année.
Déboutés sur ce point par le TA de Dijon, les époux A ont fait appel de la décision.
La Cour administrative d'appel de Lyon vient de rejetter l'appel des contribuables validant ainsi le raisonnement de l'administration.
Après avoir écarté rapidement les moyens de procédure jugés non fondés, la Cour a rappelé le principe et les conditions de la déductibilité, et confirmé que l'appréciation de la proportionnalité de l'engagement doit se faire à la date de sa souscription, soit en 2005.
La Cour a ensuite balayé un par un les arguments des époux A visant à échapper au plafonnement.
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L'invocation des salaires de 2006 : irrecevable, car seule l'année de l'engagement (2005) compte.
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L'argument selon lequel M. A pouvait "escompter" une rémunération supérieure : La Cour le rejette faute de preuve. Se référer à un article de presse sur la rémunération moyenne des dirigeants n'est pas suffisant. Le contribuable doit apporter des éléments concrets et propres à sa situation et à celle de son entreprise à l'époque.
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La justification de la faiblesse de sa rémunération par sa pension d'invalidité : Inopérant, elle est sans incidence sur l'application de la règle du triple dès lors que les pensions ne sont pas versées par la société.
La Cour note au passage que les faits postérieurs à 2005, comme la baisse du salaire de M. A en 2006 et la liquidation de la société en 2007, viennent même contredire l'idée qu'il pouvait raisonnablement espérer une augmentation de ses revenus.
Partant, la disproportion de l'engagement étant avérée, c'est à bon droit que l'administration a fait application du plafond du triple de la rémunération et a limité la déduction annuelle en conséquence.
Cet arrêt, qui s'inscrit dans une lignée jurisprudentielle bien établie (Conseil d'Etat, Plénière, du 6 janvier 1993, 78729), confirme qu'au moment de signer un engagement de caution, une analyse est indispensable.
La question n'est pas seulement de savoir si la société pourra rembourser, mais aussi de s'assurer que l'engagement du dirigeant reste dans des proportions raisonnables par rapport à sa rémunération effective et à des perspectives d'augmentation réalistes et, si possible, documentées.