Le juge de l'impôt vient de rendre une décision sur les conditions de remise en cause de l'imposition commune des époux. En annulant le redressement opéré par l'administration fiscale, il rappelle avec fermeté que la preuve de la séparation de résidence doit être établie de manière incontestable à la date précise du 31 décembre de l'année d'imposition.
Le régime d'imposition des couples mariés obéit aux dispositions de l'article 6 du CGI, qui pose le principe de l'imposition commune. Chaque contribuable est imposable tant en raison de ses revenus personnels que de ceux de son conjoint et des personnes à charge. Ce principe d'imposition commune constitue la règle de droit commun applicable aux personnes mariées.
Toutefois, l'article 6-4 a du CGI prévoit une exception : les époux font l'objet d'impositions distinctes lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit. Ces deux conditions sont cumulatives. La séparation de résidence doit en outre présenter un caractère durable, les séparations temporaires n'entraînant pas d'imposition distincte.
L'article 196 bis du même code précise que la situation à prendre en compte est celle existant au 31 décembre de l'année d'imposition lorsqu'intervient la réalisation ou la cessation de l'un des événements mentionnés à l'article 6 susvisé.
Rappel des faits :
M. B a déclaré ses revenus de l'année 2017 en imposition commune avec son épouse. La situation familiale s'est détériorée en fin d'année, Mme B ayant signé le 27 novembre 2017 un bail pour une maison d'habitation prenant effet au 4 décembre 2017.
L'administration fiscale, informée de cette séparation, a remis en cause l'imposition commune par une proposition de rectification du 29 janvier 2019, ramenant le quotient familial de M. B à une seule part au lieu de deux. Cette modification a entraîné une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu de 51 829 € au titre de l'année 2017, mise en recouvrement le 30 juin 2020.
La question centrale était de déterminer si, au 31 décembre 2017, date d'appréciation légale de la situation, les époux résidaient encore sous le même toit ou si Mme B avait effectivement déménagé dans son nouveau logement.
L'administration s'appuyait sur un faisceau d'indices pour établir que Mme B avait quitté le domicile conjugal avant le 31 décembre 2017 :
- Elle produit le bail signé le 27 novembre 2017 pour une prise d'effet au 4 décembre 2017, démontrant la volonté formelle de séparation.
- Les factures de gaz et d'eau transmises par Mme B elle-même faisaient état de consommations à partir des 5 ou 6 décembre 2017, attestant d'une occupation effective du nouveau logement dès le début du mois.
- L'administration disposait également d'une attestation de témoin indiquant avoir aidé Mme B à déménager les 26 et 27 décembre 2017, soit avant la date du 31 décembre.
Pour l'administration, ces éléments constituaient la preuve suffisante que les époux ne vivaient plus sous le même toit au 31 décembre 2017, justifiant la remise en cause de l'imposition commune.
M. B conteste cette analyse en s'appuyant sur des éléments matériels :
- Il produit le calendrier de paiement EDF dont il ressort qu'aucune consommation d'électricité n'a été facturée au titre du mois de décembre 2017
- La facture EDF du 15 octobre 2018, produite par l'administration elle-même, révéle que si le contrat de gaz a été ouvert le 6 décembre 2017, le contrat d'électricité n'a été ouvert que le 5 janvier 2018.
- M. B verse également au dossier une attestation d'un proche indiquant avoir aperçu son épouse devant la télévision du domicile commun le 1er janvier 2018 à deux heures du matin, suggérant qu'elle y résidait encore à cette date.
- Il soutient enfin que son épouse n'a annoncé partir vivre dans la maison louée que le 5 janvier 2018, soit postérieurement à la date d'appréciation du 31 décembre 2017.
Le TA de Châlons-en-Champagne a, le13 avril 2023, rejeté la demande de M. B, validant ainsi l'analyse de l'administration fiscale. Les juges du fond ont considéré que les éléments produits par l'administration établissaient suffisamment la séparation de résidence au 31 décembre 2017.
La Cour administrative d'appel de Nancy vient de censurer la décisions des juges du fond.
La Cour rappelle d'abord qu'il appartient à l'administration, dès lors qu'elle remet en cause une déclaration souscrite par un contribuable selon la procédure contradictoire, d'apporter la preuve du bien-fondé de sa rectification. Ce n'est donc pas au contribuable de prouver qu'il vivait encore avec son épouse, mais à l'administration de prouver qu'ils vivaient séparément.
Puis, la Cour se livre à une appréciation "in concreto" de la situation. Elle pèse les éléments apportés par l'administration et les met en balance avec l'argument du contribuable.
Sa conclusion est pleine de bon sens :
En l'absence d'électricité dans le logement loué par Mme B... avant le 5 janvier 2018, celle-ci ne peut être regardée comme y résidant déjà le 31 décembre 2017.
Le juge considère qu'il n'est pas crédible qu'une personne puisse avoir établi sa résidence principale dans un logement non alimenté en électricité surtout en période hivernale.
Pour la Cour, la signature d'un bail, la consommation d'eau ou de gaz et même le déplacement de meubles ne suffisent pas à établir une résidence effective, alors que l'absence d'électricité la rend matériellement improbable.
Pour la Cour, l'administration ne peut être regardée comme ayant établi que les époux résidaient sous des toits séparés au 31 décembre 2017.