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Rejet d'un REP contre les commentaires BOFIP relatifs aux règles de TVA applicables aux offres composites

Pour mémoire, le 23 août dernier Bercy a soumis à consultation publique ses commentaires de l'article 44 de la Loi de Finances pour 2021 qui a repris les principes dégagés par la jurisprudence européenne relatifs au traitement des offres commerciales constituées de plusieurs éléments qui relèvent de régimes de TVA différents. 

 

Les dispositions de l'article 257 ter du CGI  instituées par l'article 44 de la LF pour 2021, reprennent dans la législation fiscale française les principes dégagés par la CJUE pour établir le traitement, en matière de TVA, des offres commerciales constituées de plusieurs éléments pouvant isolément relever de règles de territorialité, d'exonération ou de taux différentes (offres dites « composites » ou « complexes »).

 

Ainsi, en principe, chaque opération imposable à la TVA est considérée comme étant distincte et indépendante et suit son régime propre déterminé en fonction de son élément principal ou de ses éléments autres qu'accessoires, notamment en matière de qualification (livraison de biens ou prestation de services, la qualification étant essentielle pour apprécier la territorialité) et d'éligibilité à une exonération ou un taux réduit.

 

Toutefois, relèvent d'une seule et même opération les éléments qui sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel. Dans une telle hypothèse, l'opération doit recevoir un traitement fiscal unique, sans qu'il soit possible de procéder à une ventilation entre les différents éléments relevant de règles différentes. Dans ce cadre, un taux réduit ou une exonération n'ouvrant pas droit à déduction sera écarté si au moins un des éléments non accessoires n'y est pas éligible, même s'il n'est pas majoritaire. En outre, si plusieurs taux sont susceptibles de s'appliquer, l'article 278-0 du CGI issu de l'article 44 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, précise que le taux retenu est le plus élevé.

 

A ainsi été créée au BOFIP-Impôts une nouvelle subdivision dédiée au traitement des offres composites, c'est-à-dire aux règles permettant de savoir si une telle offre doit être considérée comme une opération unique ou décomposée en plusieurs opérations distinctes.

 

Cette subdivision comprend quatre documents et une annexe :

  • le BOI-TVA-CHAMP-60-10 reprend les principes et les définitions applicables aux offres composites et précise les articulations avec d'autres concepts ;
  • le BOI-TVA-CHAMP-60-20 précise la méthode d'analyse à retenir pour déterminer si, dans un cas particulier, différents biens ou services doivent être regroupés dans une même opération, soit que certains sont accessoires, soit qu'ils soient étroitement liés entre eux sur le plan économique ;
  • le BOI-TVA-CHAMP-60-30 précise comment identifier le bon régime de TVA lorsqu'une opération comprend des éléments relevant de règles différentes ;
  • le BOI-TVA-CHAMP-60-40 expose certains cas spécifiques où l'analyse des offres composites présente un enjeu particulier ;

 

Par une requête la société Groupe Canal + SA a demandé au Conseil d'Etat d'annuler ces commentaires administratifs publiés  sous les références BOI-TVA-CHAMP-60-20, BOI-TVA-CHAMP-60-40 et BOI-TVA-LIQ-30-20-100.

 

La société Canal + SA soutient 

  • que les commentaires méconnaissent la notion de "consommateur moyen" et restreignent la méthode d'analyse des prestations.
  • que les commentaires imposent une qualification de "droits d'accès" pour les prestations du secteur audiovisuel.
  • que les commentaires présument le caractère accessoire de certains services non linéaires de manière trop restrictive.
  • que les commentairesméconnaissent le principe de sécurité juridique.

 

L'administration défend de son côté la légalité de ses commentaires, estimant qu'ils sont conformes à la directive TVA 2006/112/CE et à la jurisprudence de la CJUE sur les opérations complexes.

 

Le Conseil d'État vient de rejetter l'intégralité de la requête de la société Groupe Canal +, considérant que :

 

  • Les commentaires sur la notion de "consommateur moyen" n'imposent pas une méthode subjective contraire à la jurisprudence.

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, en énonçant que " le consommateur est le destinataire de l'opération, c'est-à-dire celui qui prend la décision économique de l'achat ", ce qui " inclut nécessairement la perception des personnes qui, dans son entourage, peuvent influer sur cette décision ", ce paragraphe des commentaires administratifs attaqués, qui précise à son deuxième alinéa que le consommateur moyen n'est jamais un " consommateur réel ", mais le " destinataire typique, selon une appréciation qualitative de l'opération ", n'a pas pour effet de prescrire, en méconnaissance des dispositions dont il a pour objet d'éclairer la portée, l'adoption d'une méthode subjective pour apprécier le point de vue d'un tel consommateur, contraire à celle qui découle des principes d'analyse fixés par la jurisprudence de la cour. 

En second lieu, le même paragraphe précise, à son troisième alinéa, qu'il " ne s'agit pas ", pour déterminer le point de vue du consommateur moyen, " d'analyser les intentions réelles de chaque client ou l'usage effectif qu'il a des biens ou services, ni a fortiori d'établir une statistique sur ces comportements, laquelle ne pourrait d'ailleurs être réalisée qu'après le fait générateur et la liquidation de la taxe ". Une telle indication qui ne concerne en rien la possibilité, pour le juge, de recourir le cas échéant à des données statistiques ou à des expertises, ne méconnaît pas, contrairement à ce que soutient la requérante, la règle, qui fait au demeurant l'objet des paragraphes n° 100 et suivants de ces mêmes commentaires, selon laquelle chaque opération est appréciée au vu de l'ensemble des circonstances dans lesquelles elle se déroule. Il en va de même de l'indication selon laquelle est exclue, pour la détermination de ce qui est principalement recherché par le consommateur moyen, la prise en compte des " événements ultérieurs pouvant nécessiter une enquête ou un suivi particulier ". 

  • Les paragraphes relatifs aux "droits d'accès" ne sont pas de nature à produire des effets notables et sont donc irrecevables.

Les commentaires en cause, qui se bornent à présenter certaines pratiques commerciales, dont celles que l'administration qualifie de " droits d'accès à des services ", et à faire état des questions que ces pratiques sont susceptibles de soulever au regard de la mise en oeuvre des principes régissant la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations complexes uniques, ne sauraient toutefois, compte tenu de leur généralité et de leur caractère purement indicatif, être regardés comme de nature à produire des effets notables, notamment sur les conditions de détermination du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations de la requérante. Celle-ci n'est, par suite, pas recevable à en demander l'annulation.

  • Les commentaires sur les services non linéaires n'édictent pas de critères exclusifs et permettent une appréciation au cas par cas.

En premier lieu, le paragraphe n° 65 de ces commentaires, précise notamment que, pour apprécier le caractère dissociable de certaines prestations de services, des offres semblables du point de vue du consommateur et commercialisées par des opérateurs différents doivent être traitées de manière identique. En énonçant que " ne présentent qu'un caractère circonstanciel et indirect dans l'analyse des offres proposées, outre l'activité principale de l'opérateur, la dénomination commerciale employée pour qualifier les services, celle utilisée en amont dans le cadre des rapports juridiques par lesquels le fournisseur acquiert les droits de diffusion ou encore la catégorie juridique dont ils relèvent au regard de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 " et en renvoyant sur ce point aux développements du § 200 du BOI-TVA-CHAMP-60-40, ces commentaires n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire l'examen des éléments caractéristiques de l'opération en cause en se plaçant du point de vue du consommateur moyen, ni même au demeurant, et en tout état de cause, d'exclure de cette analyse certains éléments revêtant un caractère circonstanciel. 

 

En deuxième lieu, les paragraphes n° 80, 90 et 105 mentionnent diverses configurations dans lesquelles un service de télévision non linéaire, au sens et pour l'application des dispositions précitées de la loi du 30 septembre 1986, peut être regardé non comme un service en tant que tel, mais comme une simple fonctionnalité de rattrapage destinée à permettre au spectateur de visionner un contenu et, dès lors, comme présentant un caractère accessoire. 

 

Si, d'une part, les énonciations des paragraphes n° 80 et n° 90 de ces commentaires présument accessoires, pour la détermination du taux de taxe sur la valeur ajoutée qui leur est applicable, les services non linéaires offerts par les fournisseurs de services de télévision lorsque les durées de disponibilité des programmes proposés dans le cadre d'une fonctionnalité de rattrapage n'excèdent pas un mois ou, au-delà d'une telle durée, en fonction des caractéristiques intrinsèques des programmes concernés, elles n'édictent pas pour autant, ainsi que cela résulte du reste des énonciations du paragraphe n° 85, un quelconque critère exclusif qui ferait obstacle à ce qu'au-delà d'une telle durée de diffusion, le caractère accessoire de fonctionnalités de rattrapage puisse être admis pour l'application des dispositions de l'article 257 ter du code général des impôts, qu'elles n'ont, au demeurant, pas pour objet de commenter. 

 

D'autre part, en précisant qu'un service non linéaire ne revêt pas un caractère accessoire lorsque le contenu mis à disposition " peut être placé sur le même plan que le contenu linéaire ", le second alinéa du paragraphe n° 90 des mêmes commentaires n'a, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet d'exclure que la finalité du service non linéaire et sa valeur au regard du service linéaire soient appréciées, pour déterminer son caractère accessoire, du point de vue du consommateur moyen, la prise en compte de la valeur des contenus mis à disposition revêtant, à cet égard, au même titre que celle de la durée de la mise à disposition, un caractère pertinent. 

 

En troisième lieu, le paragraphe n°105 des commentaires en cause énonce que " la présence de contenus diffusés avec des fonctionnalités de rattrapage plus étendues, ou même en tant que services à la demande indépendamment de toute diffusion en linéaire, peut aussi présenter un caractère accessoire lorsque la valeur économique de ces contenus pour le consommateur est négligeable. Tel sera notamment le cas lorsque les droits de diffusion des oeuvres en cause sont de faible valeur et qu'elles ne sont pas, en tant que telles, mises en avant dans les documents commerciaux de l'opérateur ou alors qu'elles le sont significativement moins que les autres contenus. À cet égard, la valeur est appréciée, non pas oeuvre par oeuvre, mais globalement par type de contenu présentant une cohérence au regard de leurs modalités de diffusion et de la manière dont ils sont présentés au consommateur ". La méthodologie d'analyse des prestations ainsi préconisée, qui n'implique de tenir compte des types de contenus qu'en tant qu'ils constituent un élément pertinent, du point de vue du consommateur, pour apprécier la finalité de la prestation et, au support de cette analyse, la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération économique, ne repose pas, contrairement à ce que soutient la requérante, sur des critères étrangers à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ni n'ajoute illégalement à la loi dont ils ont pour objet d'éclairer la portée.

 

Enfin, la société Groupe Canal + SA n'est pas fondée à soutenir, au soutien de sa contestation de l'ensemble de ces trois paragraphes, que les services de télévision de rattrapage constitueraient, en toute hypothèse, au regard de leur lien nécessaire et indissociable avec les services de télévision linéaires, un élément accessoire de ces services devant bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu'il résulte des principes mêmes qu'elle invoque que la qualification de service accessoire ne peut résulter que de l'appréciation de l'ensemble des circonstances dans lesquelles l'opération se déroule. 

  • Les commentaires ne méconnaissent pas le principe de sécurité juridique car ils se bornent à réitérer la loi sans y ajouter.

Publié le mercredi 24 juillet 2024 par La rédaction

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