Décision en matière de fiscalité des restructurations internes de groupes, posant des limites aux velléités de requalification de l'administration fiscale concernant les indemnités versées dans ce contexte.
Cette décision s'inscrit dans le cadre du régime de détermination du résultat fiscal prévu par l'article 38 du CGI, qui définit le bénéfice net comme la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période d'imposition.
Dans ce cadre, une dépense qui ne trouve pas sa contrepartie dans l'entrée d'un nouvel élément à l'actif du bilan est, en principe, une charge déductible, pour autant qu'elle soit engagée dans l'intérêt de l'entreprise. À l'inverse, une dépense qui a pour contrepartie l'acquisition d'un élément identifiable, porteur d'avantages économiques futurs et contrôlé par l'entreprise, doit être inscrite à l'actif immobilisé. Elle ne sera pas déduite immédiatement mais pourra, le cas échéant, faire l'objet d'un amortissement sur sa durée d'utilité.
La qualification des actifs incorporels obéit aux dispositions des articles 211-1 et 211-5 du PCG. Un actif est défini comme "un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité", générant une ressource contrôlée par l'entité et dont elle attend des avantages économiques futurs. Une immobilisation incorporelle doit quant à elle être identifiable, soit par sa séparabilité (susceptible d'être vendue, transférée, louée ou échangée), soit par son origine contractuelle ou légale.
Rappel des faits :
L'affaire concernait une restructuration au sein du groupe S. La société française S BS, qui se fournissait en pièces détachées auprès de sa sœur italienne S Si, a modifié son mode d'approvisionnement pour traiter directement avec les fournisseurs. Par ailleurs, elle a repris la fonction de vente de machines, auparavant assurée par la société italienne. En contrepartie de cette réorganisation, qui privait la société italienne de sources de revenus, la société française lui a versé une indemnité de 8 M€. Cette somme, calculée selon la méthode des flux futurs de trésorerie actualisés, représentant la différence entre le potentiel de profits escompté par Sidel SpA avant et après la réorganisation, a été comptabilisée en charge déductible par la société française.
L'administration fiscale a contesté cette déduction, estimant que cette indemnité constituait en réalité le prix d'acquisition d'un actif incorporel. Elle a donc réintégré la somme au résultat fiscal de la société française, ce qui a également eu un impact sur le calcul de sa CVAE.
Cette position a été validée par le TA de Montreuil, puis par la Cour administrative d'appel de Paris qui a estimé que l'indemnité ayant pour objet de compenser la perte d'une activité bénéficiaire chez le bénéficiaire, elle devait nécessairement avoir pour contrepartie l'acquisition d'un élément générateur de profits futurs, et donc un actif, chez le payeur.
Selon la cour d'appel, le fait que l'activité l'activité d'approvisionnement en pièces soit porteuse d'avantages économiques futurs pour Sidel Blowing suffisait à caractériser l'acquisition d'un élément d'actif incorporel, même en l'absence d'apport de clientèle nouvelle. Cette analyse conduisait à considérer que l'indemnité ne pouvait être déduite en charges, ni pour le calcul du résultat fiscal, ni pour celui de la valeur ajoutée.
la société Sidel Blowing et Services a intégré dans son activité d'achats et de revente de pièces détachées, l'activité d'approvisionnement de ces pièces auparavant exercée par son fournisseur, la société Sidel SpA. L'acquisition de cette activité qui était bénéficiaire pour la société Sidel SpA doit être regardée comme porteuse d'avantages économiques futurs valorisant l'actif incorporel de la société Sidel Blowing et Services, alors même qu'elle n'apporterait dans ce secteur aucune clientèle nouvelle. Si la société requérante fait valoir que l'activité transférée de vente de machines à des tiers était quant à elle déficitaire et que la clientèle dans ce secteur était volatile et faisait déjà partie de la clientèle du groupe, il est constant que le caractère déficitaire de cette activité a été pris en compte dans le calcul de l'indemnité litigieuse, la valeur négative de ce secteur ayant été portée en déduction de la somme due au titre du transfert de l'activité excédentaire de vente de pièces détachées. C'est par suite à tort que l'indemnité en cause a été déduite par la société Sidel Blowing et Services, d'une part de son résultat pour la détermination du résultat du groupe intégré et d'autre part de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. La doctrine référencée BOI-BIC-CHG-20-20-20-12/09/2012 ne fait pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède et n'est par suite pas invocable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Les sociétés S (BS et Si) contestaient cette analyse, soutenant que l'indemnité constituait une charge déductible ne correspondant à aucune acquisition d'actif identifiable. Elles demandaient le rétablissement de leur résultat fiscal et la décharge des impositions supplémentaires.
Le Conseil d'État vient de censurer l'arrêt de la cour administrative d'appel pour erreur de droit, en posant un considérant de principe :
Le seul constat qu'une somme compense, pour la partie qui la reçoit, la disparition d'une source pérenne de profits ne saurait suffire à caractériser, du point de vue de la partie versante, l'acquisition d'un nouvel élément d'actif.
En conséquence, la seule circonstance qu'une société escompte, dans le cadre d'une réorganisation des fonctions au sein d'un groupe, améliorer la profitabilité de son activité en s'approvisionnant directement auprès de fournisseurs qui ne lui vendaient auparavant leurs produits que par l'intermédiaire d'une autre société du groupe, ne saurait suffire à considérer que toute indemnité versée dans le cadre de cette réorganisation aurait pour contrepartie, pour la partie versante, l'acquisition d'un élément d'actif incorporel, c'est-à-dire un élément identifiable ayant une valeur économique positive pour cette entité.
Le Conseil d'État reproche à la cour d'appel de s'être arrêtée à mi-chemin. En se fondant sur le fait que la société française allait améliorer sa profitabilité en internalisant une fonction d'approvisionnement auparavant exercée par sa sœur italienne, la cour a déduit l'existence d'un actif.
Il estime que ce raisonnement est insuffisant. Il ne caractérise pas en quoi cette amélioration du processus d'exploitation se matérialise par l'entrée dans le patrimoine de la société française d'un nouvel élément de patrimoine, identifiable et ayant une valeur économique positive pour elle.
L'amélioration de la profitabilité d'une activité existante n'est pas synonyme de l'acquisition d'un actif.
Pour la haute juridiction, la CAA de Paris aurait dû rechercher si la société française avait acquis un droit, une clientèle nouvelle, un savoir-faire formalisé ou tout autre élément séparable de son activité préexistante, ce qu'elle n'a pas fait.