Cette décision s'inscrit dans la continuité de l'avis Pharmacie de Bracieux du Conseil d'État et confirme l'orientation restrictive de la jurisprudence administrative en matière d'amortissement fiscal des fonds commerciaux.
Lorsqu'il n'y a pas de limite temporelle aux avantages économiques d'un actif, la durée de l'utilisation de cet actif est considérée comme non limitée et « l'actif concerné ne fait pas l'objet d'un amortissement ». Ainsi, au titre de l'article 214-3 du PCG, le fonds commercial « est présumé avoir une durée d'utilisation non limitée » et à ce titre ne peut a priori faire l'objet d'amortissements comptables.
Toutefois, un tempérament à la règle comptable de non amortissement des fonds commerciaux a été apporté à compter du 1 er janvier 2016, pour les petites entreprises visées à l'article L.123-16 du code de commerce) en leur permettant d'amortir comptablement sur dix ans la totalité de leurs fonds commerciaux. Cette mesure est issue du règlement n° 2015-06 du 23 novembre 2015 adopté par l'Autorité des normes comptables (ANC) suite à la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013. Cette innovation comptable s'est inscrite dans une démarche de simplification des obligations des petites entreprises, mais elle est entrée en tension avec les principes fiscaux établis. En effet, l'article 38 sexies de l'annexe III au CGI maintient le principe selon lequel les fonds de commerce, immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, ne peuvent donner lieu qu'à des provisions et non à des amortissements, sauf circonstances particulières.
Saisi pour avis par le juge de l'impôt, le Conseil d'État a conclu qu'une petite entreprise qui choisirait d'appliquer l'option d'amortissement prévue par le Plan comptable général ne pourrait pas s'en prévaloir pour calculer son résultat fiscal, celui-ci devant être déterminé selon les règles fiscales spécifiques qui régissent l'assiette de l'impôt. ( Avis du Conseil d'État du 8 septembre 2021, n° 453458)
Attention, l'article 23 de la loi de finances pour 2022 a ouvert la possibilité, à titre temporaire, d'amortir fiscalement les fonds commerciaux lorsque l'amortissement comptable est possible. Cette possibilité est ouverte, à titre dérogatoire et temporaire, pour les fonds commerciaux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025. Bercy a commenté cet aménagement au BOFIP-Impôts
Puis l'article 7 de la LFR pour 2022 du 16 août 2022 a limité la possibilité d'amortir les fonds de commerce en instituant une clause anti-abus excluant du champ du dispositif les fonds acquis auprès d’une entreprise liée au sens de l’article 39-12 du CGI, ou auprès d’une entreprise placée sous le contrôle de la même personne physique que l’entreprise qui acquiert le fonds. Bercy a commenté au BOFIP la mesure anti-abus attachée au dispositif d'amortissement fiscal temporaire des fonds de commerce.
La possibilité d'amortir fiscalement les fonds de commerce prend normalement fin au 31 décembre prochain...reste à savoir si cette mesure temporaire fera l'objet d'une reconduction dans le cadre des débats suir le budget 2026
Rappel des faits :
La SELARL Pharmacie N, exploitant une officine de pharmacie à, a fait l'objet d'un contrôle fiscal portant sur les exercices clos les 30 novembre 2019 et 2020. L'administration fiscale a remis en cause la déduction de l'amortissement du fonds commercial pratiqué par la société, procédant à des rehaussements de bénéfices industriels et commerciaux.
Pour mémoire, c'est sur la base de la nouvelle règle comptable sus-visée et en invoquant le principe de connexion fiscalo-comptable que la SELARL Pharmacie N a pratiqué un amortissement de son fonds et l'a déduit de son résultat fiscal, s'exposant ainsi à une rectification de l'administration.
La proposition de rectification du 17 mai 2020, maintenue par la réponse aux observations du 27 septembre 2021, a donné lieu à la mise en recouvrement de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés le 14 janvier 2022.
Après le rejet de sa réclamation la société a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande de décharge des impositions supplémentaires
- Elle invoque d'abord le principe de connexion fiscalo-comptable, soutenant que les nouvelles règles comptables applicables à l'amortissement du fonds commercial des petites entreprises devraient automatiquement produire des effets similaires pour la détermination du résultat fiscal.
- Elle conteste également la pertinence de l'avis susvisé du Conseil d'État du 8 septembre 2021, estimant qu'il crée une contradiction artificielle entre règles comptables et fiscales.
Sur le fond, la pharmacie développe un argumentaire économique, soulignant la réalité difficile du secteur pharmaceutique marqué par une recrudescence des fermetures d'officines. Cette situation démontrerait, selon elle, le caractère non immuable de la clientèle des pharmacies et une durée d'utilisation nécessairement limitée de leurs fonds commerciaux.
Enfin, la société invoque une atteinte aux principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de loyauté de l'administration, estimant que l'application de l'avis du 8 septembre 2021 porterait préjudice à ces principes fondamentaux.
Le Tribunal vient de rejeter la requête de la SELARL
S'agissant du conflit de normes
Il constate que la règle comptable, qui autorise un amortissement forfaitaire sur 10 ans, et la règle fiscale, qui subordonne tout amortissement à la preuve d'une durée de vie limitée et prévisible, sont incompatibles. Par conséquent, l'option comptable exercée par la pharmacie est jugée inopérante pour la détermination de son résultat fiscal.
Les dispositions du cinquième alinéa de l’article 214-3 du plan comptable général permettent à une petite entreprise au sens de l’article L. 123-16 du code de commerce d’amortir sur 10 ans l’ensemble des fonds commerciaux inscrits à l’actif de son bilan. Toutefois, ces dispositions ne subordonnent pas l’exercice de l’option qu’elles prévoient à la condition, prévue par la loi fiscale, que les effets bénéfiques sur l’exploitation du fonds commercial dont il s’agit prennent fin à une date déterminée. Compte tenu de l’incompatibilité de cette règle comptable avec la règle législative, propre à la détermination de l’assiette de l’impôt, rappelée au point 2, une petite entreprise qui met en œuvre l’option prévue à l’article 214-3 du plan comptable général ne saurait en conséquence s’en prévaloir pour la détermination de son résultat fiscal.
Le tribunal écarte également l'argumentation fondée sur les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, relevant qu'aucun texte ni doctrine administrative n'avait laissé entendre que les entreprises pourraient tirer des conséquences fiscales de la nouvelle règle comptable.
Concernant l'argument selon lequel son fonds de commerce aurai une durée de vie limitée en raison des difficultés économiques du secteur des officines
Le juge rejette cet argument en raison de son caractère général. Il rappelle que la preuve d'une dépréciation irréversible doit s'apprécier au regard de la situation particulière de l'entreprise et non des tendances générales d'un secteur. La société, en se bornant à invoquer la crise du secteur pharmaceutique sans apporter d'éléments spécifiques à son propre fonds, ne démontre pas qu'il était prévisible, lors de son acquisition, que ses effets bénéfiques prendraient fin à une date déterminée.
TL;DR
- Confirmation de la non-déductibilité fiscale de l'amortissement comptable du fonds de commerce pour les petites entreprises.
- L'amortissement constaté en comptabilité doit faire l'objet d'une réintégration extra-comptable pour la détermination du résultat imposable.