Le juge de l'impôt apporte des précisions sur les conditions d'éligibilité des travaux de développement de nouvelles versions d'un logiciel déjà commercialisé au crédit d'impôt innovation (CII). Cette décision mérite l'attention car elle éclaire la notion de "nouveau produit" applicable dans le domaine du logiciel et souligne que l'origine des améliorations (demandes des clients) et leur modèle économique (facturation spécifique) ne sont pas pertinents pour apprécier l'éligibilité au dispositif.
Le CII a été instauré par la loi de finances pour 2013 et codifié à l'article 244 quater B-II-k du CGI. Il constitue une extension du crédit d'impôt recherche (CIR) spécifiquement dédiée aux dépenses d'innovation engagées par les PME.
La disposition prévoit que peuvent bénéficier de ce dispositif, au taux de 20%, certaines dépenses exposées par les PME (au sens de la définition européenne) pour la conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits. Ces dépenses comprennent notamment les dotations aux amortissements des immobilisations affectées à ces opérations, les dépenses de personnel directement et exclusivement affecté à leur réalisation, ainsi que certaines dépenses de fonctionnement.
Le texte précise qu'est considéré comme "nouveau produit" un bien corporel ou incorporel qui remplit deux conditions cumulatives :
- il n'est pas encore mis à disposition sur le marché ;
- il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités.
Par ailleurs, le "prototype" ou "l'installation pilote" d'un nouveau produit est défini comme un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit.
Pour mémoire, l'article 56 de la LF pour 2025 a apporté deux modifications significatives à l'article 244 quater B-I-k du CGI qui régit le Crédit d'Impôt Innovation.
Tout d'abord, il a modifié le taux du crédit d'impôt pour les dépenses visées au k du II de l'article 244 quater B, en le ramenant de 30% à 20%. Pour rappel, ces dépenses concernent spécifiquement les PME et couvrent notamment :
- Les dotations aux amortissements des immobilisations pour la conception de prototypes
- Les dépenses de personnel affecté à ces opérations
- Les frais de brevets et de propriété intellectuelle liés à ces innovations
En revanche les taux majorés de : 60 % pour les dépenses mentionnées au même k exposées dans des exploitations situées dans un DOM, 35 % pour les moyennes entreprises et à 40 % pour les petites entreprises pour les dépenses mentionnées audit k exposées dans des exploitations situées en Corse n'ont pas été modifiés
Puis il a prorogé le dispositif du CII jusqu'en 2027, alors qu'il devait initialement prendre fin en 2024.
Rappel des faits :
La société E qui exerce une activité de conseil en systèmes logiciels et d'édition d'applications métiers à Toulouse, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause le crédit d'impôt innovation dont elle avait bénéficié pour un projet dénommé "Ulysse" au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Ce projet concernait un progiciel métier destiné à la gestion des contrats d'assurance et des sinistres. Une première version de ce logiciel avait été commercialisée dès janvier 2013, mais la société avait poursuivi des travaux de développement en 2013 et 2014 pour créer de nouvelles versions intégrant des fonctionnalités supplémentaires et des améliorations ergonomiques.
Ces travaux complémentaires avaient été déclarés au titre du crédit d'impôt innovation pour les exercices 2014 et 2015. À la suite du redressement, la société a contesté la position de l'administration devant le tribunal administratif de Nîmes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 23 novembre 2022.
La société a fait appel devant la Cour administrative d'appel de Toulouse.
L'administration fiscale fondait son redressement sur deux arguments principaux :
- Le progiciel "Ulysse" avait déjà fait l'objet d'une commercialisation dès le début de l'année 2013 et ne pouvait donc être considéré comme un prototype au sens de l'article 244 quater B du CGI, qui exige que le produit "ne soit pas encore mis à disposition sur le marché".
- Les nouvelles versions développées en 2013 et 2014 correspondaient uniquement à des "mises à jour applicatives" sollicitées par les clients ayant acquis la version originale, donnant lieu à une facturation spécifique, et étaient directement destinées à être mises sur le marché.
La société Equadex soutenait quant à elle :
- Que les travaux menés en 2013 et 2014 avaient conduit à des améliorations substantielles du produit initial, constituant ainsi de nouveaux produits au sens de la législation fiscale.
- Que les maquettes et approches non mises à disposition du marché constituaient des prototypes ouvrant droit au crédit d'impôt.
La Cour administrative d'appel de Toulouse vient d'annuler le jugement de première instance accordant à la société la décharge des impositions contestées.
Tout d'abord, la Cour a examiné examine si les nouvelles versions du logiciel pouvaient constituer des "nouveaux produits" malgré la commercialisation préalable de la première version. Elle a répondu positivement, en précisant que :
la circonstance que la première version du progiciel a été commercialisée au cours de l'année 2013 ne faisait pas obstacle à ce qu'une ou plusieurs nouvelles versions ultérieures puissent être regardées comme des produits nouveaux au sens des dispositions précitées, pourvu qu'elles en remplissent les conditions
Puis, elle a vérifié si les conditions pour qualifier ces nouvelles versions de "nouveaux produits" étaient remplies, en analysant les améliorations apportées. Elle a constaté que les travaux réalisés en 2013 ont permis d'intégrer...
...de nouvelles fonctionnalités de prévisualisation, de modules de saisie des contrats, de dessin et d'améliorer sensiblement le module de chiffrage de l'application,
tandis que ceux menés en 2014 ont permis...
...d'intégrer un module de chiffrage spécifique au vol, d'assurer la transmission automatique des chiffrages effectués dans le cadre d'une visio-expertise et d'améliorer sensiblement l'ergonomie du produit
La Cour s'est également appuyée sur l'avis favorable du comité consultatif du CIR, qui avait reconnu que "les améliorations apportées ne relèvent pas d'une simple mise à jour mineure du produit".
Par ailleurs, elle a répondu à l'argument de l'administration selon lequel ces améliorations résulteraient de demandes des clients et auraient été facturées, en précisant que cette circonstance...
...n'est pas de nature, par principe, à faire obstacle à ce que les nouvelles versions du progiciel intégrant ces améliorations puissent être qualifiées de produit nouveau
dès lors qu'il n'est pas démontré que des produits concurrents comportant de telles fonctionnalités existaient sur le marché.
Enfin, concernant la notion de prototype ou d'installation pilote, la Cour a relevé que la société a produit "des exemples de maquettes réalisées au cours des années 2013 et 2014, destinées à servir de modèles pour le développement de certaines fonctionnalités et de l'ergonomie du produit" et a justifié "que le processus itératif de test mis en place avec les experts désignés par son client Adenes a nécessité des mises à jour destinées à être testées avant validation ultérieure". Ces éléments permettent de qualifier les travaux menés respectivement de prototypes et d'installations pilotes.
TL;DR
- Une nouvelle version d'un produit déjà commercialisé peut être considérée comme un "nouveau produit" au sens de l'article 244 quater B du CGI, à condition qu'elle se distingue significativement de la version antérieure par ses performances techniques, son ergonomie ou ses fonctionnalités.
- L'ajout de nouveaux modules fonctionnels (prévisualisation, saisie des contrats, chiffrage spécifique) et les améliorations sensibles de l'ergonomie ont été jugés suffisants pour caractériser un "nouveau produit".
- L'origine des améliorations (demandes des clients) et leur modèle économique (facturation spécifique) ne sont pas pertinents pour apprécier l'éligibilité au dispositif. Ce qui compte, c'est le résultat objectif des travaux et l'absence de solutions équivalentes sur le marché.