Nouvelle contribution à la jurisprudence en matière de fiscalité internationale. Cette décision nous rappelle les conditions d'application de la notion de résidence fiscale au sens des conventions internationales, en exigeant un assujettissement effectif et non seulement formel à l'impôt de l'État de résidence.
L'article 182 B du CGI institue un mécanisme de retenue à la source sur certains revenus versés par des débiteurs exerçant une activité en France à des personnes ou sociétés n'ayant pas d'installation professionnelle permanente dans ce pays. Ce dispositif vise à assurer l'imposition en France de revenus de source française versés à des bénéficiaires non-résidents. Le champ d'application de cette retenue couvre notamment les produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et les sommes payées en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. Cette large définition permet de capter la plupart des flux financiers vers l'étranger susceptibles d'échapper à l'imposition française.
L'article 4 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 de cette convention définit le résident d'un État contractant comme toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, y est assujettie à l'impôt en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue. Cette définition exclut expressément les personnes qui ne sont assujetties à l'impôt que pour les revenus de sources situées dans cet État. L'article 13 de la convention prévoit que les redevances provenant d'un État contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre État contractant ne sont imposables que dans cet autre État. Cette règle vise à éviter la double imposition des revenus de propriété intellectuelle. Enfin, l'article 7 dispose que les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, sauf exercice d'activité par l'intermédiaire d'un établissement stable.
Enfin, rappelons que l'article L. 76 B du LPF instaure une garantie fondamentale pour les contribuables en obligeant l'administration à informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements obtenus de tiers sur lesquels elle se fonde pour établir l'imposition. Cette obligation s'accompagne du droit pour le contribuable d'obtenir communication d'une copie de ces documents avant la mise en recouvrement.
Rappel des faits :
L'EURL M, société française exploitant un centre d'appel téléphonique à Strasbourg, avait versé des sommes importantes à une société de droit britannique, A Ltd, au titre de diverses prestations. Ces versements s'effectuaient dans le cadre d'une convention de prestations de services du 30 mars 2015 concernant la location de logiciels et la maintenance de systèmes informatiques, d'une licence de base de données du 1er avril 2015, et d'un contrat de sous-traitance du 15 mai 2014 pour le traitement des appels téléphoniques.
La particularité de cette affaire résidait dans le statut particulier de la société britannique A Ltd. Cette dernière s'était déclarée en sommeil (dormant company) auprès de l'administration britannique chargée des sociétés commerciales et n'avait déposé aucune déclaration de bénéfice au titre des années 2014, 2015 et 2016, jusqu'à sa radiation en avril 2017.
Le statut de dormant company implique une exonération totale d'impôt et dispense de toute obligation comptable ou fiscale. Cette situation créait une interrogation sur l'application de la convention fiscale franco-britannique, la société prétendant à la qualité de résident britannique tout en étant exonérée d'impôt dans ce pays.
En cours de contrôle fiscal de l'EURL M, la société A Ltd a révoqué sa radiation et déposé des déclarations rectificatives pour obtenir un certificat de résidence de l'administration fiscale britannique, tentant ainsi de régulariser a posteriori sa situation.
L'administration française a engagé une vérification de comptabilité de l'EURL M pour la période du 25 janvier 2014 au 31 décembre 2016. Par propositions de rectification des 7 décembre 2017 et 31 juillet 2018, elle a notifié des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés, des rappels de retenue à la source et des droits supplémentaires de TVA.
La société a accepté les rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de TVA mais contesté les rappels de retenue à la source, estimant bénéficier d'exonérations prévues par le droit interne et la convention franco-britannique.
L'administration a maintenu les rectifications après diverses entrevues et échanges contradictoires, conduisant à la mise en recouvrement des impositions le 15 mars 2019. La réclamation préalable du 9 mai 2019 a été implicitement rejetée.
Un incident procédural notable était survenu concernant la communication de documents obtenus des autorités britanniques dans le cadre de l'assistance administrative internationale. La société avait demandé ces documents le 27 décembre 2018, mais l'administration avait refusé de les communiquer le 9 janvier 2019.
L'EURL M a demandé au TA de Strasbourg de prononcer la décharge des impositions auxquelles il a été assujettie. Par un jugement du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
L'EURL M a fait appel de la décision. Elle :
- invoque un vice de procédure lié au refus de communication des documents obtenus des autorités britanniques. Elle soutient que cette privation de la garantie de l'article L. 76 B du LPF entachait d'irrégularité l'intégralité de la procédure, pas seulement les impositions liées à la retenue à la source.
- conteste l'analyse de l'administration concernant le statut de résident de la société A Ltd. Selon elle, c'était à l'administration d'établir qui avait été le bénéficiaire effectif des revenus distribués, et la société britannique était bien établie au Royaume-Uni, ayant perçu les sommes sur son compte bancaire et obtenu un certificat de résidence.
- soutient que les sommes litigieuses ne relevaient pas de l'article 23 de la convention mais de son article 7 en tant que bénéfices d'entreprise, et ne devaient en conséquence être imposables qu'au Royaume-Uni.
La Cour vient de rejeter l'appel de l'EURL M
Concernant la régularité de la procédure d'imposition
Pour l'année 2014, les juges ont constaté que l'administration n'avait pas utilisé de nouveaux documents obtenus de tiers dans sa réponse aux observations du contribuable. La proposition de rectification initiale mentionnait déjà la mise en œuvre de l'assistance administrative sans que la réponse ne s'appuie sur les résultats de cette procédure.
Pour les années 2015 et 2016, la Cour a relevé que l'administration s'était effectivement appuyée sur des documents obtenus des autorités britanniques pour établir que la société A ne pouvait être regardée comme résidente du Royaume-Uni. Cependant, les juges ont appliqué la jurisprudence selon laquelle lorsque l'administration fonde ses rectifications sur plusieurs motifs distincts et autonomes, le défaut de communication concernant l'un d'eux n'entache pas d'irrégularité l'ensemble de la procédure.
La Cour a identifié deux motifs autonomes justifiant les rectifications : d'une part, l'absence de résidence britannique de la société Algaron, d'autre part, le fait qu'elle n'était pas le bénéficiaire effectif des sommes litigieuses. S'agissant de ce dernier motif, l'administration ne s'était pas fondée sur les documents britanniques, préservant ainsi la régularité de la procédure.
Concernant l'application de la retenue à la source
La Cour a confirmé que les sommes versées par l'EURL M à ALtd avaient bien la nature de redevances et de rémunérations de prestations de services, justifiant l'application de l'article 182 B du CGI. L'absence d'installation professionnelle permanente de la société britannique en France était non contestée.
Concernant l'application de la convention fiscale franco-britannique
- La notion de résidence fiscale
La Cour a développé une interprétation stricte de la notion de résidence au sens de l'article 4 de la convention franco-britannique. Elle a rappelé que cette notion, conforme à l'objet principal de la convention qui est d'éviter les doubles impositions, exclut les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt dans l'État concerné à raison de leur statut ou de leur activité.
Les juges ont précisé qu'une personne exonérée d'impôt à raison de son statut ou soumise à une imposition forfaitaire modique ne peut être regardée comme assujettie au sens de la convention.
- L'analyse du statut de dormant company
La Cour a établi que le statut de dormant company en droit britannique implique une absence totale d'assujettissement à l'impôt, y compris forfaitaire, et une dispense de toute obligation comptable ou fiscale.
Les juges ont considéré que dans ces conditions, la société A Ltd ne pouvait être regardée comme résidente du Royaume-Uni au sens de la convention.
12. L'administration a établi qu'au titre des années 2014, 2015 et 2016, la société Algaron Info Ltd s'était déclarée en sommeil (dormant company) auprès de l'administration chargée des sociétés commerciales et n'y avait déposé aucune déclaration de bénéfice, jusqu'à sa radiation en avril 2017. Le statut de dormant company implique que la société en sommeil n'est plus soumise à aucune imposition, fut-elle forfaitaire, et n'est tenue à aucune obligation en matière comptable ou fiscale. Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'administration fiscale a estimé que la société Algaron Info Ltd n'était pas résidente du Royaume Uni au sens de la convention. La circonstance qu'en cours de contrôle fiscal de la société Mak 7 la société Algaron Info Ltd a révoqué sa radiation, a déposé des déclarations de bénéfices rectificatives au titre des années 2014, 2015 et 2016, comportant l'indication des sommes reçues en rémunération de ses services et à titre de redevances, pour obtenir un certificat de résidence de l'administration fiscale britannique, ne saurait utilement remettre en cause le statut de non assujettissement aux impôts qui était le sien au cours des années litigieuses.
TL;DR
- le statut de "dormant company", en exonérant totalement la société d'impôt et d'obligations déclaratives, est incompatible avec la qualité de résident au sens des conventions fiscales.