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Evasion fiscale

Retenue à la source sur distributions d'établissements stables de sociétés étrangères : rejet d'une QPC contre l'article 115 quinquies du CGI

Le juge de l'impôt a refusé de transmettre au Conseil d'État une QPC visant le mécanisme de retenue à la source applicable aux bénéfices des établissements stables (ayant opté pour le régime des SIIC) de sociétés étrangères, codifié à l'article 115 quinquies CGI.

 

Pour mémoire, l'article 115 quinquies du CGI instaure un mécanisme de retenue à la source sur les bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères. Ce dispositif repose sur une fiction juridique : les bénéfices de l'établissement stable français sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, à des associés n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France. Cette présomption  vise à éviter que les bénéfices réalisés en France par une société étrangère échappent totalement à l'impôt français lorsqu'ils ne font pas l'objet d'une distribution effective.

 

Le taux de cette retenue à la source, fixé par les article 187 et 119 bis du CGI, est de 25 % pour les produits distribués au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022.

 

Toutefois, l'article 115 quinquies prévoit des mécanismes correcteurs, notamment la possibilité de restitution lorsque les bénéficiaires des distributions ont leur domicile fiscal ou leur siège en France, ou lorsque les sommes soumises à retenue excèdent les distributions effectives.

 

Le 10 juillet 2019, et se fondant sur un arrêt de la CJUE de 2017 (Affaire C‑68/15) le Conseil d’Etat a jugé le dispositif de restitution de la retenue à la source prévu par l'article 115 quinquies du CGI contraire à la liberté d'établissement, dès lors qu'une société ayant son siège dans un État membre de l'UE ou partie à l'accord sur l'EEE n'est pas autorisée à apporter la preuve que les bénéfices qu'elle a réalisés en France n'ont pas été désinvestis hors de France. Cette situation conduit, selon la jurisprudence nationale, à traiter de façon moins avantageuse la société non-résidente
 
L'article 12 de la LF pour 2020 a tiré les conséquences de cette décision du 10 juillet 2019 en modifiant l'article 115 quinquies du CGI. Depuis cette date une société étrangère peut demander la liquidation de la retenue à la source conduisant à la restitution de l'excédent de perception sous réserve de deux conditions cumulatives :

  • son siège se situe dans un État membre de l'UE ou dans un État partie à l'accord sur l'EEE ;
  • les bénéfices ayant fait l'objet de la retenue à la source n'ont pas été désinvesties hors de France.

Ce second critère qui reprend le sens de la décision du Conseil d'État permet de prendre en compte la possibilité que les bénéfices réalisés en France par une société étrangère via un établissement stable soient, en tout ou partie, mis en réserve ou investis et n'aient, de la sorte, pas à être soumis à la retenue à la source.
 

 

Rappel des faits :

La société SP, de droit britannique, bénéficie au Royaume-Uni du régime des Real Estate Investment Trust (REIT), qui exonère d'impôt les revenus locatifs, les plus-values immobilières et, depuis 2009, les dividendes de filiales étrangères. Cette société a créé en 2006 un établissement stable en France, lequel détient les titres de sa filiale française SH France, qui détient elle-même les titres de filiales immobilières opérationnelles.

En 2007, l'établissement stable français et ses filiales ont opté pour le régime d'exonération des SIIC prévu à l'article 208 C du CGI. Ce régime permet l'exonération d'impôt sur les sociétés sous condition de distribution des bénéfices exonérés. Les bénéfices de l'établissement stable français de SP étaient exclusivement constitués des dividendes perçus de sa filiale française, exonérés sous le régime SIIC.

L'administration fiscale a considéré que ces bénéfices exonérés devaient être réputés distribués à des associés non-résidents en application de l'article 115 quinquies, déclenchant l'application de la retenue à la source prévue aux articles 119 bis et 187 du CGI. L'administration a estimé que la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 ne faisait pas obstacle à cette imposition, au regard des stipulations combinées de son article 11 § 5 et de l'article 6 du protocole annexé.

Face aux mises en demeure des 31 mars et 18 juin 2021 restées sans effet, l'administration a assigné à SP des rappels de retenue à la source pour un montant total de 18 824 678 €, assortis des intérêts de retard et de la majoration de 40 % prévue par l'article 1728 du CGI.

La société a contesté ces impositions en soulevant une QPC dirigée contre les articles 115 quinquies et 187 du Code général des impôts, qu'elle estime contraires aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la DDHC de 1789.

 

Pour démontrer l'inconstitutionnalité des dispositions contestées, la société SP :

  • soutenait que ces dispositions instauraient une différence de traitement injustifiée créant une double imposition. Selon elle, les investisseurs résidents d'un véhicule d'investissement immobilier coté résident sont imposés à leur niveau dans les conditions de droit commun, tandis que les investisseurs résidents d'un véhicule d'investissement immobilier coté non-résident disposant d'un établissement stable en France subissent d'abord une retenue à la source, puis sont taxés une seconde fois dans les conditions de droit commun.
  • se prévalait d'une discrimination entre les investisseurs non-résidents selon qu'ils détiennent des participations dans un véhicule d'investissement résident ou non-résident. Elle estime que ceux détenant moins de 10 % du capital d'un véhicule non-résident avec établissement stable français supportaient une retenue au taux de 25 %, contre 15 % seulement pour ceux détenant une participation équivalente dans un véhicule résident.

 

Le TA de Montreuil vient d'écarter les deux arguments soulevés par le contribuable et de juger. qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d’Etat la QPC soulevée par la société SP

 

Concernant le risque de double imposition

Le juge a rappelé que l'article 115 quinquies prévoit expressément, en son paragraphe 2, que la retenue à la source doit être restituée lorsque le bénéficiaire des distributions a son domicile ou son siège social en France. Ce mécanisme correcteur permet d'éviter la double imposition dénoncée par la société.

 

Concernant la prétendue discrimination entre investisseurs non-résidents

Le juge a souligé  que les dispositions législatives contestées n'instauraient par elles-mêmes aucune distinction de taux de retenue à la source. La différence de traitement critiquée par SP procédait exclusivement de l'application des stipulations de la convention fiscale franco-britannique, et non des articles 115 quinquies et 187 du CGI.

Publié le mercredi 24 septembre 2025 par La rédaction

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