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Evasion fiscale

Management fees et interposition d’une holding luxembourgeoise : le piège de l'article 155 A du CGI

Le juge de l'impôt vient de confirmer l'application de l'article 155 A du CGI à un schéma d'interposition d'une société luxembourgeoise destinée à facturer des prestations de direction effectivement rendues par un dirigeant résident fiscal français

 

L'article 155 A du CGI constitue un dispositif anti-évasion permettant d'imposer en France les rémunérations de services perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France, lorsque ces services sont en réalité rendus par une personne domiciliée en France. Plus précisément, l'article 155 A-I prévoit trois situations alternatives dans lesquelles les rémunérations perçues à l'étranger peuvent être imposées au nom du prestataire français :

  • lorsque ce dernier contrôle directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération ;
  • lorsqu'il n'est pas établi que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de services ;
  • lorsque la personne qui perçoit la rémunération est domiciliée dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI.

Il s'agit d’éviter que des contribuables français, prestataires de services, ne contournent l’imposition en France par l’interposition d’entités établies à l’étranger, notamment dans des pays à fiscalité plus avantageuse, sans que ces entités n’apportent une réelle plus-value opérationnelle. Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif sous réserve, notamment, de l’absence de double imposition en France (Décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010).

Soulignons, que l'article 10 de la LF pour 2024 a étendu le champ d'application de ce dispositif aux sommes perçues en contrepartie de l'exploitation commerciale de droits attachés à l'image, au nom ou à la voix d'une ou de plusieurs personnes, de l'usage de droits d'auteurs ou de droits voisins ou de la propriété industrielle ou commerciale ou de droits assimilés.

 

Rappel des faits :

Un dirigeant résident fiscal français, M. A, assurait la présidence d'une SAS française. Les prestations de direction assurées par M. A... au profit de la SAS A étaient facturées par la société J2M, société de droit français dont M. A était le président. Ces prestations étaient imposées entre les mains de la société J2M en tant que bénéfices d'entreprise, et M. A déclarait les salaires versés par la société J2M pour la rémunération de ses fonctions de président de cette société.

 

En 2015, une restructuration est opérée : une SARL de droit luxembourgeois, dénommée J2MI, est constituée par apport des titres J2M. Le capital social de la SARL J2MI était détenu par M. A qui détenait la quasi-intégralité des parts sociales, sa fille détenant le solde. La SARL J2MI était dirigée par M. A, sa fille et d'autres personnes dont l'identité n'est pas précisée dans le jugement.

 

Le 12 mai 2015, une convention de dirigeance et d'animation a été conclue entre la SARL J2MI et la SAS A afin de confier la supervision du management et la direction de la SAS A à la SARL J2MI. Cette convention prévoyait qu'en contrepartie de ces missions, la SARL J2MI percevrait une rémunération calculée sur la base du temps passé par son dirigeant et les membres de son personnel. La convention était signée pour la SARL J2MI par M. A en sa qualité de cogérant, et pour la SAS A par M. A en tant que seul signataire pour cette société, alors même qu'il se présentait comme le président de la SAS A.

 

Conformément aux stipulations de cette convention, la SAS A a comptabilisé en charges des prestations de direction et management facturées par la SARL J2MI au titre des années 2015, 2016 et 2017. Ces prestations correspondaient aux fonctions de directeur général exercées concrètement par M. A au sein de la SAS A. Il n'était pas contesté que M. A résidait fiscalement en France au cours de la période en litige et qu'il n'avait déclaré aucun revenu de source luxembourgeoise dans ses déclarations de revenus françaises.

 

À l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration a considéré que ces sommes rémunéraient en réalité l'activité personnelle de dirigeant de M. A et a mis en œuvre l'article 155 A du CGI pour réintégrer ces montants dans ses revenus imposables en France, dans la catégorie des traitements et salaires.

 

Les époux A ont contesté ces rectifications devant le TA de Montpellier, invoquant la réalité de la prestation fournie par la société luxembourgeoise et la protection de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.

 

Le Tribunal vient de rejeter la requête des époux A

 

Concernant l'application de l'article 155 A du CGI

L'article 155 A du CGI permet à l'administration d'imposer directement le prestataire réel (la personne physique) sur les sommes perçues par le prestataire apparent (la société étrangère), dès lors que le premier contrôle le second ou que la société étrangère n'a pas d'activité industrielle ou commerciale distincte prédominante. La jurisprudence administrative impose une méthodologie en deux temps :

  • l'administration doit d'abord prouver que le contribuable a réalisé les prestations et contrôle la structure étrangère ;
  • la charge de la preuve bascule ensuite sur le contribuable qui doit démontrer que la structure étrangère a fourni une contrepartie réelle et distincte.

 

Au cas particulier, pour le tribunal, le contrôle de la structure étrangère par le contribuable ne faisait aucun doute, M. A détenant le capital de la SARL luxembourgeoise avec sa fille.

 

D'autre part, le tribunal a relevé que la prestation de direction ne pouvait être matériellement exécutée que par M. A lui-même.

Le juge souligne la continuité de l'activité : avant l'interposition de la structure luxembourgeoise, M. A était déjà rémunéré pour ces mêmes fonctions par une société française. La délocalisation de la structure qui facture n'a modifié ni la nature de la prestation ni l'identité de l'intervenant.

 

L'argumentation des requérants, fondée sur l'existence de personnel au sein de la structure luxembourgeoise, est écartée faute de preuve de l'affectation effective de ces salariés à la mission de direction de la SAS A.

 

Partant, pour le juge, la facturation émise par le Luxembourg ne trouvait aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette société, permettant de regarder le service comme ayant été rendu pour son compte. C'est bien M. A, résident français, qui assurait la direction, la société J2MI n'étant qu'un écran de facturation.

 

L'inopposabilité de la convention fiscale en l'absence de double imposition

Les époux A soutenaient que l'imposition en France de ces sommes violait la convention fiscale franco-luxembourgeoise, la société J2MI n'ayant pas d'établissement stable en France et ses bénéfices étant imposables au Grand-Duché.

 

Le Tribunal a écarté ce moyen

  • Il a rappelé que l'article 155 A du CGI a pour effet d'imposer la personne physique résidente de France. Or, M. A n'avait déclaré aucun revenu de source luxembourgeoise correspondant à ces prestations (les seuls revenus déclarés étant des tantièmes sans lien avec les honoraires litigieux). En l'absence d'imposition personnelle de M. A au Luxembourg sur ces mêmes sommes, il ne pouvait y avoir de double imposition. 

 

Publié le vendredi 12 décembre 2025 par La rédaction

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