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Plus-values mobilières

Apport de titres avec soulte et abus de droit : de l'imposition intégrale de la soulte en cas de remise en cause du report d'imposition

S'agissant des modalités de calcul de la base imposable en cas de remise en cause du report d'imposition (Art. 150-0 B ter du CGI), le juge de l'impôt précise que la méthode proportionnelle, consistant à n'imposer que la quote-part de plus-value correspondant au rapport entre le montant de la soulte et la valeur globale des titres apportés, doit être écartée. La soulte doit être imposée pour son montant intégral, après application des abattements pour durée de détention prévus par la loi.

 

L'article 150-0 B ter du CGI, prévoit un report d'imposition automatique pour les plus-values réalisées par des particuliers lors de l'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés qu'ils contrôlent. L'objectif de ce dispositif est de favoriser les restructurations d'entreprises en assurant une neutralité fiscale, l'imposition n'intervenant que lors de la cession ultérieure des titres reçus en échange.

 

Pour mémoire, dans le cadre des débats sur le PLF2026 (En première lecture à l'AN) les députés ont adopté un amendement visant à restructurer le régime de l'apport-cession.

Voir notre article : PLF2026, les députés réforment l'apport-cession (150-0 B ter) : durcissement des conditions et fin de la purge fiscale au décès

 

Le législateur, dans la version applicable aux faits, avait prévu que ce report s'appliquait y compris en présence d'une soulte, à condition que celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

 

C'est précisément l'utilisation de cette tolérance légale qui est au cœur du litige, l'administration fiscale y voyant un montage abusif sur le fondement de l'article L. 64 du LPF.

 

Rappel des faits :

M.B a en 2016, apporté les titres de la SCI A à sa société holding, la SARL F. Cette opération a généré une plus-value conséquente de 1 567 751 €. En rémunération, il a reçu des titres de la SARL Fi ainsi qu'une soulte de 383 104 €, inscrite au crédit de son compte courant d'associé. Se prévalant d'une soulte inférieure au seuil de 10 %, le contribuable a placé l'intégralité de la plus-value, y compris la fraction correspondant à la soulte, sous le régime du report d'imposition de l'article 150-0 B ter du CGI.

À l'issue d'un contrôle, l'administration fiscale a remis en cause ce schéma. Elle a estimé que le versement de la soulte n'avait d'autre but que de permettre au contribuable d'appréhender des liquidités en franchise d'impôt immédiate, en détournant l'esprit du texte. Elle a donc mis en œuvre la procédure de l'abus de droit (L. 64 LPF), écarté le report d'imposition sur la partie de la plus-value afférente à la soulte et, dans un premier temps, imposé cette dernière comme un revenu distribué sur le fondement de l'article 109-1-2° du CGI, assortissant le tout de la majoration de 80 % pour abus de droit.

Devant le TA de Grenoble, l'administration a sollicité et obtenu une substitution de base légale. Reconnaissant l'erreur de qualification initiale, elle a demandé que la soulte soit imposée non comme un revenu distribué, mais comme une plus-value de cession de valeurs mobilières immédiatement taxable selon l'article 150-0 A du CGI. Le tribunal a accepté cette substitution, validant par ailleurs le principe de l'abus de droit.

Ils ont également estimé que la base imposable devait être déterminée au prorata du montant de la soulte par rapport à la valeur globale des titres apportés, conduisant à une plus-value imposable de 30 736 € selon la formule suivante : 368 829 € de plus-value réalisée après abattement, multipliée par 383 104 € de soulte, le tout divisé par 4 597 248 € de valeur globale des titres apportés. Cette méthode proportionnelle intégrait le prix de revient des titres dans le calcul, au contraire de la proposition de l'administration qui se bornait à appliquer l'abattement pour durée de détention au montant de la soulte.

 

Le ministre a fait appel de ce jugement s'agissant de la base imposable, tandis que le contribuable, a, à nouveau, contesté le principe même de l'abus de droit.

  • L'administration fiscale soutient que la remise en cause du report d'imposition entraîne l'imposition immédiate de l'intégralité de la soulte (383 104 €). Après application de l'abattement pour durée de détention (249 018 €), la base imposable devrait donc être de 134 086 €, et non le montant proportionnel retenu en première instance.
  • De son côté, M.B conteste l'abus de droit en affirmant n'avoir reçu aucune liquidité lors de l'opération. À titre subsidiaire, il défend le calcul du tribunal (une plus-value imposable de 30 736 €) et soutient que, même imposable, cette plus-value devrait rester en report d'imposition (selon l'article 150-0 B ter), car la soulte était inférieure au seuil légal de 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

 

La CAA de Lyon a fait entièrement droit aux prétentions du ministre et rejeté l'appel incident du contribuable.

 

  • Concernant l'existance d'un abus de droit fiscal :

La Cour a rappelé que le législateur, en instituant le mécanisme de report d'imposition, a entendu favoriser les restructurations d'entreprises en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter l'impôt, fasse obstacle à la réalisation de l'opération.

 

Les juges d'appel ont précisé que le but poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans une telle hypothèse, l'administration est fondée à considérer que les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du CGI à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales normalement supportées.

 

Pour la Cour, au cas particulier, le but exclusivement fiscal étant patent, l'abus de droit par fraude à la loi est caractérisé. 

 

  • Sur la détermination de la base imposable

La Cour a censuré l'analyse du TA. Les premiers juges avaient validé un calcul au prorata, considérant que la soulte ne représentait qu'une partie de la contrepartie totale et qu'il fallait donc lui affecter une fraction seulement de la plus-value totale, en tenant compte du prix de revient. La Cour a rejeté ce raisonnement écartant ainsi la méthode proportionnelle retenue par le TA. Elle a jugé que la remise en cause du bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport à concurrence du montant de la soulte entraîne l'imposition immédiate du montant intégral de cette soulte avec application de la règle d'assiette relative à l'abattement prévu à l'article 150-0 D-1 quater du CGI. En l'espèce, cela conduisait à retenir une base imposable de 134 086 €, correspondant au montant de la soulte de 383 104 € diminué de l'abattement pour durée de détention de 249 018 €.

La remise en cause du bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport à concurrence du montant de la soulte entraîne l'imposition immédiate du montant intégral de cette soulte avec application de la règle d'assiette relative à l'abattement prévu au A du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôt, soit en l'espèce, un montant de 134 086 euros (383 104 euros - 249 018 euros d'abattement pour durée de détention) de plus-value de cession de titres dans la base imposable à l'impôt sur le revenu de M. B... au titre de l'année 2016.

Par suite, le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a réduit la base de son imposition à l'impôt sur le revenu au montant de 30 736 euros au titre de l'année 2016.

 

Cette solution parait logique dans la mesure où, dès lors que l'abus de droit est caractérisé et que la soulte est réintégrée dans le champ de l'imposition immédiate, elle doit être traitée comme une cession de titres ordinaire soumise au régime de l'article 150-0 A du CGI. Le calcul proportionnel défendu par le contribuable aurait conduit à maintenir partiellement le bénéfice du report d'imposition alors même que l'opération avait été requalifiée.

 

La Cour a également écarté comme inopérant le moyen tiré de l'absence de mise à disposition effective de la somme en litige, considérant qu'au regard du fondement légal de l'imposition, l'inscription comptable de la soulte au crédit du compte courant d'associé suffisait à caractériser son appréhension par le contribuable.

 

Publié le mercredi 12 novembre 2025 par La rédaction

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