Nouvel exemple de la complexité de la qualification fiscale des travaux immobiliers et de la subtilité de l'analyse que doivent mener les juges pour déterminer la déductibilité des charges foncières dans le cadre de projets de restauration d'ensembles immobiliers anciens.
La déductibilité des charges foncières est encadrée par l'article 31 du CGI qui opère une distinction entre plusieurs catégories de travaux. Les dépenses de réparation et d'entretien, visées au a) du 1°, sont déductibles sans restriction particulière dès lors qu'elles ont pour objet de maintenir ou de remettre un immeuble en bon état sans en modifier la consistance, l'agencement ou l'équipement initial. Les dépenses d'amélioration, prévues au b) du 1°, ne sont déductibles que si elles sont afférentes à des locaux d'habitation et n'équivalent pas à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement.
Cette distinction, apparemment claire en théorie, se révèle particulièrement délicate à appliquer dans des opérations complexes de transformation d'immeubles anciens.
La jurisprudence a progressivement précisé que constituent des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d'habitation ou qui affectent substantiellement le gros œuvre, tandis que les travaux d'agrandissement sont ceux qui accroissent le volume ou la surface habitable.
L'enjeu réside dans la dissociation des dépenses, l'administration pouvant refuser la déduction de dépenses d'entretien ou d'amélioration si elles sont indissociables de travaux de reconstruction non déductibles.
Rappel des faits :
M. et Mme A ont acquis en juin 2019 un appartement au sein d'un ensemble immobilier situé à Oléron, anciennement utilisé comme centre de vacances puis partiellement comme lycée jusqu'en 2012. Cet ensemble faisait l'objet d'une vaste opération de restauration menée par une association syndicale libre, visant à transformer les bâtiments existants en logements. Les contribuables ont versé la somme de 475 405 € pour financer leur quote-part des travaux réalisés tant dans les parties privatives de leur lot que dans les parties communes de l'ensemble.
Cette somme a été intégralement déduite de leurs revenus fonciers 2019, générant un déficit foncier de 108 442 € qu'ils ont souhaité reporter sur l'année 2020. L'administration fiscale a contesté cette déduction, considérant que les travaux relevaient de la construction, reconstruction ou agrandissement et n'ouvraient donc pas droit à déduction. L'administration a notifié des propositions de rectification en septembre 2020 et septembre 2021, remettant en cause respectivement la déduction des charges 2019 et le report du déficit foncier sur 2020.
L'administration ayant rejeté leur réclamation, les contribuables ont saisi la juridiction administrative.
- Ils soutiennent que les travaux constituaient soit des dépenses de réparation et d'entretien déductibles sans restriction, soit des dépenses d'amélioration afférentes à des locaux d'habitation ne relevant pas des exclusions prévues par la loi. Ils mettaient en avant le caractère de restauration des travaux sur un ensemble immobilier préexistant.
- L'administration fiscale de son côté estime que les travaux ne pouvaient être regardés comme de simples réparations ou améliorations mais constituaient des opérations de construction, reconstruction ou agrandissement par nature non déductibles. Elle souligne également que certains travaux ne portaient pas sur des locaux affectés à l'habitation et que l'ensemble des dépenses était indissociable des travaux non déductibles.
Le juge vient partiellement de faire droit à la demande des époux A.
Concernant les travaux de réparation et d'entretien, le tribunal a admis la déductibilité de ceux portant sur la restauration des escaliers et toitures des parties communes ainsi que sur les planchers des parties privatives. Ces travaux, ayant pour seul objet de maintenir les immeubles en bon état sans modification de leur consistance, correspondent effectivement à la définition jurisprudentielle de cette catégorie.
S'agissant des travaux d'amélioration, l'analyse s'est révélée plus nuancée. Le tribunal a reconnu que certains travaux, notamment ceux portant sur les murs, façades, menuiseries, cloisons et équipements des parties privatives, constituaient bien des améliorations déductibles. En revanche, il a refusé la déduction des travaux d'amélioration des parties communes, considérant que les contribuables n'établissaient pas que l'ensemble des bâtiments était affecté à l'usage d'habitation, condition nécessaire pour la déductibilité des dépenses d'amélioration. Le tribunal a également exclu de la déduction les dépenses relatives aux voiries, réseaux divers, démolition-reconstruction d'un bâtiment annexe et création d'un parking, qu'il a qualifiées de travaux de construction, reconstruction ou agrandissement.
L'application des règles de dissociabilité
Le tribunal a considéré que les travaux déductibles étaient dissociables des travaux non déductibles, y compris pour les parties communes où l'enveloppe était globale et répartie au prorata des quotes-parts.
En revanche, les travaux relatifs aux parties privatives du lot n° 51 et les autres dépenses d'entretien et de réparation réalisées dans les parties communes sont dissociables des travaux d'amélioration de locaux à usage d'habitation et des travaux de construction, de reconstruction et d'agrandissement réalisés au sein de l'ensemble immobilier en cause alors même que, pour les parties communes, l'enveloppe est globale et le coût des travaux réparti au prorata de la quote-part de chaque propriétaire, sans distinction entre les bâtiments dans lesquels les travaux sont réalisés.
Cette solution s'inscrit dans une jurisprudence qui tend à admettre la dissociabilité dès lors que les travaux peuvent être individualisés et ne participent pas d'une opération d'ensemble indivisible. Le tribunal a ainsi refusé de considérer que la globalité de l'enveloppe financière faisait obstacle à cette dissociation.
En définitive, le tribunal a accordé une décharge partielle, admettant la déduction de 277 632 € de dépenses auxquels s'ajoutent 23 849 € d'honoraires de maîtrise d'œuvre proportionnels aux travaux déductibles, soit un total de 301 481 €.