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Impôt sur le revenu

Maître de l'affaire et revenus distribués : la preuve de l'appréhension...un fardeau quasi insurmontable pour le dirigeant

En confirmant l'imposition entre les mains du gérant de l'intégralité des bénéfices non déclarés de son entreprise, au motif qu'il en était le "seul maître", cette décision, certes classique sur le fond, nous rappelle la force de la présomption d'appréhension et le rôle déterminant de la charge de la preuve dans le contentieux des revenus distribués. 

 

Cette décision s'inscrit dans le cadre classique du contentieux des revenus distribués, régi par les articles 109 et 111 du CGI. Ces dispositions établissent une présomption de distribution des bénéfices non mis en réserve ou incorporés au capital, ainsi que des rémunérations et avantages occultes accordés par une société à ses dirigeants ou associés.

 

Toute la difficulté réside dans l'identification du bénéficiaire. Face à des flux financiers dissimulés, la jurisprudence a développé la théorie du "seul maître de l'affaire". Selon cette construction prétorienne, le dirigeant qui, en droit ou en fait, dispose des pouvoirs les plus étendus au sein de la société et peut user sans contrôle de ses biens comme des siens propres, est présumé avoir appréhendé l'intégralité des revenus distribués. Cette présomption repose sur un faisceau d'indices (détention du capital, signature bancaire unique, rôle opérationnel central, etc.).

 

Une fois cette qualité établie par l'administration, il appartient au contribuable de renverser la présomption, soit en prouvant qu'il n'a pas été le bénéficiaire des sommes, soit en désignant le véritable bénéficiaire. La charge probatoire qui pèse alors sur lui est particulièrement lourde.

 

 

Rappel des faits :

L'affaire concerne M. et Mme A dont le mari était gérant de la société W, société exerçant des activités d'installation de téléphonie, de travaux immobiliers et de location de matériels de loisirs nautiques. Une vérification de comptabilité de cette société pour la période 2014-2015 a révélé des minorations de recettes significatives et des déductions injustifiées de charges, notamment des dépenses personnelles du gérant et de sa famille déduites indûment.

Parallèlement, les époux A ont fait l'objet d'un ESFP révélant des crédits bancaires importants non déclarés. L'administration a établi un lien entre ces crédits et les irrégularités constatées dans la comptabilité de la société W, conduisant à imposer des revenus distribués d'un montant considérable au titre des années 2014 et 2015.

Les rehaussements s'élevaient à 192 477 € pénalités incluses, ce qui témoigne de l'ampleur des dissimulations constatées.

 

Après le rejet de leur réclamation, les époux A ont saisi le TA d'Amiens, qui a rejeté leur demande. Ils ont alors fait appel devant la Cour administrative d'appel de Douai, en contestant tant la régularité de la procédure que le bien-fondé des impositions Sur le fond, ils contestent la qualité de "maître de l'affaire" attribuée à M. A, faisant valoir qu'il n'était plus associé de W et qu'en tant que gérant, il demeure sous le contrôle des associés. Ils soutiennent également que les revenus distribués ont été surestimés par la prise en compte d'éléments non imposables.

 

La Cour administrative d'appel de Douai vient de rejetter l'ensemble des moyens des époux A.

 

Sur la question centrale du "maître de l'affaire", la cour confirme la pertinence des indices retenus par l'administration.

 

Elle retient que M. A :

  • était gérant de droit ;
  • prenait effectivement part à la gestion administrative et comptable ;
  • était l'interlocuteur unique vis-à-vis des tiers ;
  • signait l'ensemble des documents commerciaux ;
  • et détenait seul le pouvoir d'engager financièrement la société.

La cour écarte l'argument tiré de l'absence de qualité d'associé, observant que les autres bénéficiaires de prélèvements étaient tous des tiers à la société, y compris l'épouse et la fille du gérant, ce qui révèle l'absence de contrôle effectif des associés.

 

La présomption d'appréhension a donc été jugée pleinement applicable.

 

Enfin, la Cour confirme le bien-fondé de la majoration de 40 % pour manquement délibéré. Elle estime que l'administration apporte la preuve de l'intentionnalité en soulignant que les revenus dissimulés constituaient l'essentiel des ressources du foyer fiscal (atteignant 77 % et 87 % du total des revenus sur les deux années). L'importance et la récurrence de ces omissions, sur une période de deux ans, ne pouvaient, selon le juge, relever d'une simple négligence mais révélaient une intention manifeste d'éluder l'impôt.

 

Publié le lundi 1 septembre 2025 par La rédaction

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