Contexte : L’article 76 (I) de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 dispose que « le Gouvernement présente au Parlement, au plus tard le 1er octobre 2016, les modalités de mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu à compter de 2018, en précisant les types de revenus concernés, le traitement des dépenses fiscales correspondant à l’année d’imposition annulée en cas d’année blanche et le coût de la réforme pour l’Etat, les tiers payeurs et, le cas échéant, les contribuables. La mise en œuvre du prélèvement à la source respecte les principes de progressivité, de conjugalisation et de familialisation de l’impôt sur le revenu, par l’application du mécanisme de quotient conjugal et familial. Le Gouvernement présente également au Parlement, au plus tard le 1er octobre 2016, les réformes alternatives au prélèvement à la source permettant de supprimer le décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt correspondant. »
Ce rapport du gouvernement au Parlement relatif au prélèvement à la source a été mis en ligne début octobre : consulter le rapport
Prolongeant l’entretien qu’il nous avait accordé le 18 avril dernier, M. Marc Wolf commente l’analyse des principales réformes alternatives écartées par le Gouvernement dans le cadre de ce rapport.
Quelques commentaires sur l’analyse des principales réformes alternatives écartées par le Gouvernement (3ème partie : points 4 à 6, pages 280 à 284)
Avec le dépôt d’un projet de mise en œuvre du PAS de l’IR, le Gouvernement s’était engagé (LFI pour 2016) à présenter « les réformes alternatives permettant de supprimer le décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt correspondant ». Le plaidoyer développé à ce titre dans l’évaluation préalable du projet d’article 38 de la LFI relève malheureusement plus du domaine de la désinformation que de la discussion loyale des politiques publiques.
En effet, là où l’on pouvait attendre une comparaison lucide des avantages et inconvénients entre les options aujourd’hui en débat, force est de constater que le rapport s’inspire plutôt des ficelles les plus grossières de la polémique politicienne : caricature (voire dénaturation) des variantes proposées et incohérence des réponses au regard des choix retenus.
On s’en tiendra ici aux alternatives qui ont été explicitées par les organisations professionnelles ou dans les publications spécialisée, et qui prennent en compte les avancées les plus actuelles de la problématique, notamment les perspectives ouvertes par les nouveaux circuits de transmission des données fiscales autour de la DSN (déclaration sociale nominative).[1] .
4. – L’administration fiscale comme alternative à la collecte de la retenue à la source par les tiers payeurs des revenus (page 280).
Bel exemple de dénaturation : les défenseurs de cette solution.[2] ne proposent évidemment pas que les nouveaux acomptes soient calculés avec le taux historique, mais bien en appliquant chaque mois le barème sur l’ensemble des revenus du foyer (prorata temporis). L’alternative permettrait ainsi de cumuler les effets « base » et « assiette » (dans le sens de ces notions dégagées par le rapport de 2012 du Conseil des prélèvements obligatoires – CPO.[3]) et d’obtenir au fil de l’année un degré de synchronisation quasi complet (d’autant que tous les changements de situation familiale pourraient être intégrés dès le mois suivant).
Elle s’impose donc comme la forme nouvelle de la « mensualisation contemporaine ».[4] , et le tronc commun de tout système de paiement de l’IR en temps réel (sans préjudice de la possibilité de lui greffer en variante un dispositif de retenue par les TP : voir ci-dessous en 5).
Ce schéma permettrait même de résoudre la controverse sur le décalage de trésorerie quant au remboursement des RI/CI puisque dès janvier, il serait possible d’imputer sur le prélèvement de ces acomptes contemporains les crédits à valoir au titre de n-1, sans attendre l’avis d’imposition de l’été. Au lieu d’acter ces avantages, l’évaluation se borne à dénoncer le fait que « le prélèvement afférent au revenu versé ne serait effectué qu’a posteriori, plusieurs semaines après que le revenu a été encaissé par le contribuable ».
Elle se garde évidemment de mettre en balance ce décalage d’un mois avec, d’une part, le décalage de 12 à 18 mois dû au taux historique du projet gouvernemental.[5] et, d’autre part, le fatras de complexité qu’il implique pour le contribuable (modulation, individualisation, option pour le taux neutre).
5. - L’application par l’employeur d’un taux de prélèvement s’ajustant immédiatement aux revenus du contribuable (page 281).
Les nombreux exemples qui ont été donnés par les auteurs de cette solution.[6] montrent au contraire qu’elle permet d’ajuster de mois en mois la retenue au plus près de la situation d’ensemble du contribuable.
Au déni (faisant semblant d’oublier que cette option ne s’entend que comme complément des acomptes contemporains analysés ci-dessus).[7], la critique de Bercy ajoute ici une suite d’incohérences par rapport à son propre schéma :
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« … il implique que le contribuable dont le taux moyen d’imposition est supérieur au taux instantané en raison de la présence … d’autres revenus soit sous-prélevé ». Tout faux : toutes les situations de revenu multiples (revenus mixtes patrimoine, multiplicité des employeurs, emplois familiaux) verraient le PAS ajusté exactement et automatiquement dans l’acompte du mois suivant, évitant l’autoliquidation aberrante exigée des contribuables (en complément de l’application du taux dit « neutre ») par le projet dans la même hypothèse ;
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« ou un foyer composé d’un couple dont l’un des membres dispose de revenus plus élevés. En effet, dans ces situations, l’administration fiscale ne transmettrait pas le taux personnalisé et le collecteur appliquerait un taux plus faible que le taux réel ». On atteint ici au comble de la caricature puisque l’alternative prévoit précisément le contraire, i.e. une transmission du coefficient de réduction vers les employeurs des deux conjoints, permettant à ceux-ci de se partager le bénéfice du quotient dans des conditions plus équitables et sécurisées que le schéma d’individualisation prévu par le projet ;
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« À l’inverse, le taux de référence pourrait entraîner pendant deux ou trois mois des prélèvements trop importants pour des contribuables aux revenus modestes… délai minimum pour que les échanges entre le collecteur et l’administration fiscale permettent à cette dernière de calculer et de transmettre un nouveau taux de prélèvement personnalisé ». C’est encore ignorer que cet effet (limité) de décalage serait largement lissé par l’ajustement récurrent du calcul sur l’ensemble de la période écoule depuis le début de l’année qui est proposé.[8]. La critique ne manque pas de sel au regard des interminables délais d’ajustement annoncés dans l’application de l’article 38 (répercussion des changements demandés par les contribuables, renvoi à n+1 de la régularisation du « taux neutre »…) ;
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« Le mode de calcul complexe du taux de prélèvement conduira ce dernier à … varier tous les mois sans que le contribuable ait pu prévoir de telles modifications au cours de l’année… » Incohérence : n’est-ce pas le propre d’un PAS en temps réel dès lors que les revenus du contribuable varient au cours de l’année (ainsi d’ailleurs que s’en flatte le projet gouvernemental lui-même) ? Par ailleurs, tous les éléments de calcul seront disponibles immédiatement et explicités sur le compte fiscal en ligne du contribuable. À mesure que l’année avancera, celui-ci pourra donc voir son taux effectif de PAS préfigurer son taux d’imposition finale de l’année courante (hors RI/CI).
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« le dispositif serait particulièrement lourd en gestion pour l’employeur qui devrait calculer chaque mois un taux … en fonction de la rémunération contractuelle du mois de son salarié, des salaires qu’il a déjà versés et des prélèvements qu’il a déjà effectués ». Incohérence au regard de ce que soutient le ministère s’agissant de la capacité de gestion par les logiciels de paye des taux historique ou neutre dans son projet, et alors que de tels enchainements sur le cumul annuel y sont implémentés depuis longtemps.
6. - La montée en puissance progressive de la retenue à la source (page 283).[9].
Sauf que la citation du CPO (pages 206 et 214 du rapport) est honteusement tronquée : « Le problème posé par la double imposition serait résolu sans entrainer de difficultés s’agissant du paiement des dépenses fiscales ou des risques d’abus. » Le rapport se garde ainsi de noter que cet étalement permettrait de faire l’économie de l’insécurité juridique et des dispositions anxiogènes nécessitées par la neutralisation des effets pervers du « Big bang » .
Quant aux inconvénients présumés de « la coexistence des deux systèmes », ils résultent soit d’un malentendu, soit de la simple mauvaise foi. Dès lors, en effet, qu’il n’est envisagé par personne d’abandonner l’avis d’imposition de n+1, la coexistence de deux recouvrements à contenus distincts est inhérente à la réforme (les acomptes ou la retenue en n, puis la régularisation en n+1). Pendant la transition, ces anciens acomptes (en extinction progressive) ne constitueraient donc pour les contribuables rien d’autre que l’accessoire de ce recouvrement du solde de l’impôt dû au titre de n-1. Ainsi est-il permis de soutenir à l’inverse que la progressivité du basculement serait un levier puissant de pédagogie de la réforme.
En ce sens, les autres critiques formulées dans le rapport ne valent pas mieux :
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« le risque d’incompréhension du dispositif … pourrait également être provoqué par l’augmentation progressive, chaque année, du taux de prélèvement sur le bulletin de salaire ou de pension, induisant chez les contribuables un sentiment de hausse de la pression fiscale considérable ». On soutiendra à l’inverse qu’un transition progressive, évitant le choc brutal sur le bulletin de paye de janvier 2018, aidera beaucoup à l’acceptation du nouveau régime, notamment en faisant apparaitre clairement l’effet de transvasement entre la nouvelle RAS et la diminution des anciens acomptes ;
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« Plus encore, cette méthode priverait les contribuables du bénéfice immédiat et total de la mise en place d’un PAS pleinement contemporain … retardant d’autant les effets bénéfiques attendus ». Sauf qu’il est établi que la voie du « Big bang ».[10] condamne le projet gouvernemental à l’échec car celui-ci est la négation de tous les standards de la conduite du changement dans le domaine informatique. La montée en régime progressive offre au contraire la garantie de la réussite en permettant, d’étape en étape, réglages et tests « en vrai » ;
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« Par ailleurs, un tel dispositif serait susceptible d’atténuer le caractère incitatif des RI/CI lors de la période de transition ». Incohérence encore : le basculement progressif permet de ne jamais remettre en cause l’imputation dès janvier des RI/CI acquis au titre de n-1, au contraire des contorsions et effets de trésorerie pénalisants du projet gouvernemental ;
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« Enfin, la coexistence de deux modes de paiement de l’impôt pour les mêmes revenus et la même année … nécessiterait en effet que les systèmes d’information (SI) de l’administration fiscale soient doublés, avec le maintien de l’ancien SI … et le développement d’un nouveau … Son coût pour les finances publiques - développements, maintenance, capacité de stockage - serait inadapté ». Peut-on à ce point prendre les lecteurs du rapport pour des naïfs : les coûts de développement seraient nuls puisqu’il se s’agirait que de perpétuer quatre ou cinq ans le dispositif existant. Quant aux coûts de stockage, ils ne seraient pas différents puisque chaque utilisateur d’impot.gouv sait que le SI de la DGFiP conserve déjà en ligne les données des années antérieures.
Conclusion :
A l’opposé de ce que devrait être une expertise de gestion publique, il ne reste donc de l’évaluation contradictoire développée par Bercy qu’un discours de cabinet, au service d’une opération « d’intox politique ».[11]. Mais il n’est pas sans intérêt de souligner que ces trois solutions alternatives que l’évaluation gouvernementale s’emploie à discréditer pour mieux protéger les choix insensés de son projet gagnent encore en pertinence quand on s’emploie à les articuler dans un amendement global. Au prix d’un effort d’écoute transpartisane, il y a donc là matière d’une reconstruction qui sauverait la réforme d’un immense gâchis.[12].