Cette décision précise les conséquences fiscales d'une réévaluation libre d'un actif immobilier situé en France par une société étrangère, notamment pour le calcul ultérieur de la plus-value de cession imposable.
Le sujet de cette affaire porte sur la détermination du prix d'acquisition à retenir pour le calcul d'une plus-value immobilière réalisée par une société étrangère, lorsque l'immeuble situé en France a fait l'objet d'une réévaluation libre avant sa cession.
Plusieurs dispositions entrent en ligne de compte dans le cadre de ce litige :
- L'article 38-2 du CGI qui définit le bénéfice net comme "la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période" ;
- L'article 209-I du CGI qui prévoit que les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte "uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions" ;
- L'article 164 B du CGI qui classe notamment comme revenus de source française les revenus d'immeubles situés en France et les plus-values relatives à des biens immobiliers situés en France ;
- L'article 244 bis A du CGI qui prévoit un prélèvement sur les plus-values immobilières réalisées par des non-résidents.
Le Conseil d'État précise au point 3 de sa décision un principe important : le profit résultant de la réévaluation libre d'un bien immobilier situé en France par une société non résidente constitue, en l'absence d'exploitation d'une entreprise en France, un revenu d'immeuble au sens du a du I de l'article 164 B, passible de l'impôt sur les sociétés en France sous réserve des conventions fiscales.
Rappel des faits :
La société de droit danois 63 boulevard des Batignolles Paris VIII APS a acquis, par voie d'apport, un ensemble immobilier situé à Paris le 17 juillet 2008 pour un montant de 22,6 M€. En décembre 2008, elle a procédé à une réévaluation libre de cet immeuble, portant sa valeur à 37 M€, et l'a affecté à sa succursale française nouvellement créée. Le 13 décembre 2017, soit près de neuf ans plus tard, la société a cédé ce bien pour 38 M€.
À la suite d'un contrôle fiscal portant sur l'exercice clos le 30 septembre 2018, l'administration a remis en cause le montant de la plus-value de cession déclarée par la société. L'administration a considéré que le prix d'acquisition à retenir pour le calcul de la plus-value devait être la valeur d'apport initiale (22,6 M€) et non la valeur réévaluée inscrite au bilan de la succursale française (37 M€).
Cette rectification a entraîné l'assujettissement de la société au prélèvement prévu par l'article 244 bis A du CGI, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, ainsi qu'à diverses pénalités.
La société a contesté ces impositions devant le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande le 18 octobre 2022. La cour administrative d'appel de Paris a confirmé ce jugement par un arrêt du 28 juin 2023, contre lequel la société a formé un pourvoi en cassation.
La cour administrative d'appel de Paris a considéré que l'administration fiscale était fondée à retenir la valeur d'apport initiale (22,6 M€) et non la valeur réévaluée (37 M€) pour le calcul de la plus-value imposable. Son raisonnement reposait sur le fait qu'il n'était pas établi que le profit résultant de la réévaluation libre effectuée en 2008 avait été compris dans les bénéfices imposables de la société danoise déclarés au Danemark. La cour avait donc validé la position de l'administration fiscale fondée sur la nécessité d'une imposition effective du profit de réévaluation pour pouvoir en tenir compte dans le calcul ultérieur de la plus-value.
6. Dès lors que le profit résultant de la libre réévaluation comptable d’une immobilisation n’a pas été compris dans les bénéfices imposables de la société à la clôture de l’exercice au cours duquel elle l’a pratiquée, et n’a ainsi pas accru l’actif net de son bilan fiscal, celle-ci n’est pas fondée à revendiquer la prise en compte de la valeur résultant de cette réévaluation comme valeur d’origine retenue pour l’inscription de l’immobilisation à son bilan.
- Dans le cadre de son pourvoi, la société danoise soutient que la valeur comptable résultant de la réévaluation libre effectuée en 2008 constituait le prix d'acquisition à retenir pour le calcul de la plus-value imposable, indépendamment de la question de savoir si le profit de réévaluation avait été effectivement imposé.
- L'administration fiscale de son côté estime que la société danoise ne pouvait pas opposer la valeur réévaluée de l'immeuble pour le calcul de la plus-value de cession imposable en France. Elle considère que, pour pouvoir retenir cette valeur réévaluée comme prix d'acquisition, il aurait fallu que le profit résultant de la réévaluation ait été effectivement imposé, soit en France, soit au Danemark.
Le Conseil d'État a censuré le raisonnement de la CAA en considérant qu'elle avait commis une erreur de droit.
Selon la Haute juridiction, même si le profit de réévaluation n'avait pas été imposable en France du fait de l'application des stipulations de la convention fiscale franco-danoise alors en vigueur (jusqu'au 31 décembre 2008), ni même imposé au Danemark, la société requérante était fondée à opposer à l'administration fiscale la valeur comptable réévaluée du bien.
Le Conseil d'État établit ainsi un principe clair : la valeur comptable résultant d'une réévaluation libre régulièrement inscrite dans les comptes d'une société est opposable à l'administration fiscale pour le calcul d'une plus-value ultérieure, indépendamment de l'imposition effective du profit de réévaluation lors de sa constatation comptable.