Nouvelle illustration de la rigueur avec laquelle le juge de l'impôt applique le régime dérogatoire de l'article 1115 du CGI et apprécie l'exception de force majeure invoquée par les contribuables qui n'ont pas revendus le bien dans le délai de 5 ans prévu par la loi.
L'article 1115 du CGI prévoit une régime d'exonération des droits et taxes de mutation pour les acquisitions d'immeubles réalisées par des personnes assujetties à la TVA, à condition que l'acquéreur s'engage à revendre le bien dans un délai de cinq ans. Le non-respect de cet engagement entraîne la déchéance du régime de faveur et le rappel des droits de mutation au taux de droit commun, assortis d'intérêts de retard.
Une exception à cette déchéance est admise en cas de force majeure, dont la définition est reprise à l'article 1218 du Code civil : un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées.
La doctrine BOFIP précise à cet égard :
Toutefois, il y aurait lieu de prendre en compte la force majeure invoquée par un acquéreur qui serait en mesure d'établir qu'à raison d'une circonstance présentant les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité, il a été dans l'impossibilité insurmontable de vendre pendant toute la durée de son obligation.
Rappel des faits :
La SCI A, une société immobilière, a acquis un ensemble immobilier à Grasse le 21 août 2013. Concernant une partie de ces biens, elle a déclaré vouloir bénéficier du régime spécial de l'article 1115 du CGI, s'engageant ainsi à les revendre dans un délai de cinq ans (soit avant le 21 août 2018).
La SCI a fait l'objet d'une vérification de comptabilité de septembre 2020 à février 2021, couvrant la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019. Au cours de ce contrôle, l'administration a constaté que la SCI n'avait pas respecté son engagement de revente pour certains des biens ayant bénéficié de l'exonération. En conséquence, l'administration lui a adressé une proposition de rectification distincte pour un rappel de droits de mutation, s'élevant à 25 261 €, y compris les intérêts de retard.
Après une réclamation contentieuse rejetée par l'administration, la SCI A a assigné l'administration fiscale devant le TJ de Grasse pour contester ce redressement.
Sur le fond elle se prévaut de la force majeure qui l'aurait empêchée de respecter son engagement de revente. La SCI a notamment mis en avant des difficultés financières ayant conduit à une saisie-attribution et un changement d'affectation des biens dû à des retards de travaux sur une autre partie de l'ensemble immobilier.
Le Tribunal Judiciaire de Grasse a intégralement débouté la SCI A de l'ensemble de ses demandes.
Sur le bien-fondé du rappel d'imposition et l'invocation de la force majeure, le Tribunal a rejeté les arguments de la SCI. Après avoir rappelé les conditions cumulatives de la force majeure (événement extérieur, imprévisible et irrésistible), le juge a analysé les arguments de la SCI :
- Les difficultés financières et la saisie-attribution n'ont pas été considérées comme des événements extérieurs et imprévisibles pour la SCI, qui devait s'assurer de la solvabilité de son opération. De plus, ces difficultés n'empêchaient pas une revente amiable ou judiciaire dans le délai imparti.
Il sera constaté d'une part que les difficultés financières invoquées ne constituent pas un événement extérieur et imprévisible pour la SCI débitrice du prêt, laquelle devait s'assurer au préalable de la solvabilité de son opération d'acquisition, et que, d'autre part, ces difficultés n'empêchaient nullement l'acquéreur de revendre amiablement ou à la barre le bien en cause dans le délai imparti.
- Le changement d'affectation des biens, motivé par des retards de travaux sur une autre propriété et la volonté des associés de conserver les biens exonérés comme résidence principale, n'a pas été jugé comme un événement extérieur requis par la loi. Les retards de travaux n'ont pas non plus été caractérisés comme imprévisibles ou irrésistibles au regard des preuves fournies.
Ce changement et permutation d'affectation des biens immobiliers acquis résultant de la seule volonté des associés ne peut constituer l'événement extérieur requis par la loi, pas plus en outre que le retard ou difficultés de travaux affectant l'un des biens acquis ne peut, en l'état des explications et preuves fournies par la SCI, être valablement tenu comme imprévisible et irrésistible.
En conséquence, le Tribunal a conclu que la SCI n'avait pas démontré la force majeure qui l'aurait empêchée de respecter son engagement de revente.