Nouvelle illustration des difficultés rencontrées par les contribuables souhaitant se prévaloir de la force majeure pour échapper aux sanctions liées au non-respect d'un engagement de construire.
Le régime d'exonération prévu à l'article 1594-0 G A du CGI permet aux acquéreurs de terrains nus d'être exonérés de TPF ou de droits d'enregistrement lorsque l'acquisition donne lieu au paiement de la TVA. Cette exonération est subordonnée à un engagement ferme de l'acquéreur d'effectuer dans un délai de quatre ans les travaux nécessaires à l'édification d'un immeuble, l'acte devant préciser le nombre, la nature et la destination des immeubles dont la construction est projetée.
Ce dispositif permet une économie non négligeable pour les acquéreurs, les droits d'enregistrement représentant généralement 5,81 % du prix d'acquisition. En contrepartie, le législateur exige un engagement précis et contraignant, assorti de sanctions en cas de non-respect.
L'article 1840 G ter du CGI organise ces sanctions en prévoyant qu'en cas de non-respect de l'engagement, les droits dont la mutation a été exonérée deviennent exigibles, majorés de l'intérêt de retard.
La doctrine administrative précise les modalités d'application de ces dispositions. Elle admet traditionnellement que la force majeure peut constituer une cause exonératoire, mais encadre strictement cette notion :
En cas de défaut de production de la justification de l’exécution des travaux de construction prévue au 1er alinéa du II du A de l'article 1594-0 G du CGI, les droits d’enregistrement sont dus par le seul fait qu'une construction n'a pas été achevée, sur le terrain acquis, avant l'expiration du délai de quatre ans, sauf le cas de force majeure empêchant toute construction de façon absolue et définitive (BOI-ENR-DMTOI-10-40 au II § 140).
Rappel des faits :
La SCI S a acquis en novembre 2016 une parcelle située dans le périmètre d'une zone d'aménagement concerté sur la commune de Veurey-Voroize. Cette acquisition a été réalisée auprès d'un aménageur public.
L'engagement pris par la SCI était précis : construire dans un délai de quatre ans "un bâtiment à usage d'atelier et de bureaux d'une superficie d'environ 1 300 m² sur un seul niveau".
Toutefois, cet engagement a été contrariée par une modification du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) adoptée par délibération du conseil métropolitain le 20 décembre 2019, soit plus de trois ans après l'acquisition. Cette modification a eu pour effet de placer les parcelles dans une zone soumise à des prescriptions particulières liées aux risques naturels, rendant plus complexe la réalisation du projet initial.
N'ayant pas réalisé la construction promise dans le délai imparti, la SCI s'est vue notifier un rappel des droits de plus de 35 000 €.
La SCI S a saisi la juridiction judiciaire. Par jugement du 27 novembre 2023, le TJ de Grenoble a rejeté sa demande. La SCI S a fait appel de la décision.
- Son argumentation principale repose sur la qualification de force majeure de la modification du PLUI. Elle soutient que cette modification l'a empêchée de réaliser le bâtiment projeté tel que décrit dans l'acte d'acquisition, rendant impossible l'exécution de son engagement dans les termes contractuels initiaux. Elle s'appuie sur la doctrine administrative précitée reconnaissant ce type d'exonération tout en tentant d'en élargir l'interprétation.
- Subsidiairement, la SCI affirme avoir néanmoins édifié un autre bâtiment sur le terrain, dénommé "Bois Ronds", en 2017.
- Enfin, elle sollicite l'application de la doctrine administrative prévoyant une réduction de l'assiette de calcul des droits et une modification du point de départ des intérêts lorsque l'abandon de l'engagement résulte d'une modification des documents d'urbanisme :
Dans le cas où l'engagement doit être abandonné du fait que des constructions ne sont plus autorisées par suite d'une modification des documents d'urbanisme, il est admis que les droits soient liquidés sur la base de la valeur vénale du bien telle qu'elle résulte de cette modification et que l'intérêt de retard soit décompté du premier jour du mois suivant la date d'effet de celle-ci.
La Cour d'appel de Grenoble vient de rejetter les prétentions de la SCI S.
Concernant la force majeure
- D'une part, la Cour rappelle que la doctrine administrative exige que l'événement invoqué empêche « toute construction de façon absolue et définitive ». Or elle a constate que l'événement invoqué n'avait pas le caractère irrésistible requis, la modification du PLUI n'ayant pas rendu le terrain « totalement inconstructible » mais ayant seulement soumis les constructions à de nouvelles prescriptions.
- d'autre part, elle a considéré que pour constituer un cas de force majeure, la circonstance invoquée devait être survenue « dans un délai très proche du début du délai pour construire ». En l'espèce, la cour a constaté que la modification du PLUI n'était intervenue qu'en décembre 2019, soit plus de trois ans après le début du délai, sans que la SCI puisse justifier d'un quelconque commencement de travaux antérieur. Ainsi, cet évènement survenu plus de trois ans après le début du délai de quatre ans, il ne saurait excuser l'inaction totale de la SCI durant toute la période antérieure. La force majeure ne peut être invoquée pour couvrir une carence initiale du débiteur de l'obligation.
Concernant la prétendue construction alternative
- la cour a souligné l'exigence de conformité stricte à l'engagement contractuel. L'article 1594-0 G du CGI impose que les travaux justifiés correspondent précisément à ceux décrits dans l'acte d'acquisition. La simple affirmation d'une construction différente, sans précision de superficie ni de destination, ne pouvait suffire à établir le respect de l'obligation.
Concernant la demande de réduction de l'assiette taxable
- La Cour, tout en admettant le principe qu'une modification d'urbanisme puisse affecter la valeur d'un bien, rejette la demande faute de preuve. La SCI, qui prétendait à une division de la valeur du terrain par vingt, n'a produit aucun élément justificatif (expertise, comparaison) pour étayer son affirmation. La charge de la preuve pesant sur elle, sa demande ne pouvait qu'être rejetée.
Dès lors, il ne saurait être valablement soutenu par la SCI SAPPEYS, comme elle le fait sans autre élément de comparaison, que les nouvelles règles d’urbanisme 'annihilent pratiquement toute possibilité de construire sur le tènement’ (sic), et que cela justifierait une diminution de valeur du terrain de l’ordre de 95 %, correspondant, selon ses dires, au prix moyen dans le secteur des terrains non constructibles.
Toutefois, la cour a partiellement fait droit aux demandes subsidiaires concernant le point de départ des intérêts de retard. Appliquant la doctrine administrative (BOI-ENR-DMTOI-10-40 n° 460) qui le prévoit expressément en cas d'abandon du projet suite à une modification des documents d'urbanisme, la Cour fixe ce point de départ au 1er janvier 2020, date d'effet de la modification du PLUI, et non à la date de l'acte d'acquisition.