Précisions du juge de l'impôt concernant les critères permettant de caractériser l'existence d'une société de fait entre époux exerçant en indivision une activité de location meublée.
Le régime micro-BIC, défini à l'article 50-0 du CGI, offre un mode d'imposition forfaitaire aux exploitants dont le chiffre d'affaires n'excède pas certains seuils. Au-delà du respect des seuils de chiffre d'affaires, le texte exclut de ce régime micro-BIC les sociétés ou organismes dont les résultats sont imposés selon le régime des sociétés de personnes défini à l'article 8 du CGI catégorie dont relèvent les sociétés créées de fait (SDF) en vertu de l'article 238 bis L du CGI.
Cette notion de société de fait, issue du droit civil et adaptée en matière fiscale, revêt une importance particulière dans le contexte des activités exercées par des époux ou des concubins qui mettent en commun des moyens pour exploiter une activité lucrative.
Selon une jurisprudence constante du conseil d'État, l'existence d'une société créée de fait suppose la réunion de trois conditions :
- chaque membre doit participer effectivement aux apports en capital ou en industrie.
À cet égard, le critère de la participation aux apports est satisfait alors même qu'il ne serait fait que des apports en industrie (mise à la disposition par les associés de leurs connaissances techniques, de leur travail, de leur notoriété, ...) ;
- chaque membre doit participer effectivement à la gestion de l'entreprise, c'est-à-dire aux fonctions de direction ou de contrôle et doit pouvoir engager l'entreprise vis-à-vis des tiers.
Cette participation doit être effective. Elle implique que l'associé dispose de pouvoirs de gestion qui ne soient pas limités ;
- chaque membre doit participer effectivement aux résultats bénéficiaires ou déficitaires de l'entreprise.
En principe, le critère de participation aux résultats est établi au vu d'une convention écrite prévoyant une répartition de ces résultats entre les associés de fait.
La jurisprudence s'est attachée à définir les critères permettant de caractériser l'existence d'une telle société afin d'éviter que des contribuables ne contournent les règles d'imposition applicables aux structures sociétaires en présentant artificiellement leur activité comme individuelle.
Rappel des faits :
M. et Mme C ont porté dans leurs déclarations de revenus au titre des années 2012 à 2014, dans la catégorie des BIC, les résultats d'une activité de location meublée dont ils entendaient bénéficier du régime micro-BIC. Cette activité générait des recettes substantielles puisqu'il ressort du dossier qu'elles s'élevaient respectivement à 219 550 € en 2012, 158 744 € en 2013 et 157 098 € en 2014, montants largement supérieurs aux seuils ouvrant droit au régime micro-BIC.
Les recettes provenaient de sources diverses révélant une activité d'une certaine ampleur. D'une part, les époux tiraient des revenus de la location d'un appartement dont ils étaient propriétaires indivis. D'autre part, l'activité comprenait la sous-location de 4 autres biens que les époux avaient pris à bail.
L'administration fiscale a engagé en juin 2015 un ESFP des contribuables au titre des années 2012 à 2014. Au cours de ce contrôle, elle a remis en cause l'application du régime des micro-entreprises que les époux avaient entendu solliciter. Le service soutenait que l'activité de location meublée était exploitée sous la forme d'une société de fait constituée entre les deux époux, ce qui faisait obstacle à l'application du régime simplifié en vertu des dispositions combinées des articles 50-0, 8 et 238 bis L du CGI. Partant, les époux C ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités, calculées selon le régime réel d'imposition.
Les époux C ont contesté les redressements notifiés devant le TA de Paris en sollicitant la décharge des impositions auxquelles ils ont été assujettis. Par un jugement du 14 décembre 2021, le TA a rejeté leur demande, considérant que l'administration avait établi l'existence d'une société de fait justifiant l'exclusion du régime des micro-entreprises.
Les contribuables ont fait appel de ce jugement. Par un arrêt du 26 avril 2024, la Cour a fait partiellement droit à leurs conclusions en prononçant la décharge de la fraction des cotisations supplémentaires de contributions sociales résultant de l'application à l'assiette de ces cotisations du coefficient de 1,25 que prévoyait l'article 158-7-1° du CGI, ainsi que celle des pénalités correspondantes. Sur ce point particulier, qui ne fait pas l'objet du pourvoi, la Cour a donc donné satisfaction aux contribuables en considérant que l'application de ce coefficient majorateur n'était pas justifiée.
En revanche, sur la question de fond tenant à l'existence d'une société de fait, la CAA a confirmé la position de l'administration fiscale. Pour parvenir à cette solution, elle s'est fondée sur un faisceau d'indices qu'elle a estimé suffisant pour caractériser l'existence d'une société de fait :
- les recettes provenaient de la location d'un appartement détenu en indivision et de la sous-location de quatre autres biens pris à bail,
- M. C avait indiqué exercer conjointement l'activité avec son épouse,
- certains contrats de location étaient établis au nom des deux époux,
- les recettes étaient inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ouvert au nom des deux époux dans une société tierce,
- certaines dépenses étaient acquittées par cette société avant remboursement,
- les déclarations fiscales faisaient apparaître une répartition par moitié des recettes entre les époux.
Les époux C se sont pourvus en cassation. Ils contestent la caractérisation de la société de fait.
Le Conseil d'État vient de censurer la Cour administrative d'appel pour erreur de droit.
La Haute Juridiction rappelle sa jurisprudence constante : l'existence d'une société de fait est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'apports, la participation à la direction et au contrôle de l'affaire, et la vocation aux bénéfices et aux pertes.
Le Conseil d'État précise que si l'affectation d'un bien indivis à l'exploitation satisfait à la condition d'apport, elle...
...ne suffit pas, par elle-même, à caractériser l'existence entre eux d'une société de fait en l'absence de participation de chacun des copropriétaires indivis à la direction et au contrôle de l'affaire, ainsi qu'aux bénéfices ou aux pertes
Analysant les faits retenus par la Cour, il juge que les circonstances relevées (comptes joints, répartition déclarative, etc.) n'étaient pas de nature à établir la participation de l'épouse...
...à la direction et au contrôle de l'affaire.
Le Conseil d'État souligne ainsi l'exigence d'une preuve positive de la participation effective à la direction et au contrôle, qui suppose de démontrer que chacun des associés de fait prend part aux décisions de gestion, assure un suivi opérationnel de l'activité et exerce un pouvoir de contrôle sur les actes accomplis. La simple affirmation de M. C selon laquelle il exerçait conjointement l'activité avec son épouse ne saurait suffire en l'absence d'éléments objectifs corroborant cette déclaration et établissant la réalité d'une participation de Mme C aux actes de gestion.
L'annulation de l'arrêt d'appel sur le terrain de la société de fait n'a toutefois pas n'emporté la victoire des époux C.
Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'État a examiné la demande de l'administration de maintenir les impositions par une substitution de base légale. L'administration faisait valoir que, société de fait ou non, le régime micro-BIC était inapplicable en raison du simple dépassement des seuils de chiffre d'affaires prévus à l'article 50-0 du CGI. Les contribuables opposaient à cela deux arguments, tous deux rejetés par le juge.
- ils soutenaient que le chiffre d'affaires devait s'apprécier individuellement, compte tenu de leur déclaration 50/50. Le Conseil d'État rejette cet argument : l'activité relevant d'une « seule entreprise », c'est la totalité des recettes de cette entreprise qui doit être comparée au seuil légal, peu importe la répartition déclarative entre les membres du foyer fiscal.
- les époux invoquaient la tolérance légale maintenant le régime micro les deux premières années de dépassement. Le Conseil d'État constate que si les recettes des années en litige (2012-2014) dépassaient les seuils, celles des années 2010 et 2011 les dépassaient également. La période de tolérance de deux ans était donc déjà épuisée avant même la première année redressée, rendant le régime micro définitivement inapplicable.
TL;DR
La communauté d'intérêts patrimoniaux ne vaut pas affectio societatis ni participation à la direction. L'administration doit apporter la preuve positive de l'implication opérationnelle de chaque conjoint.