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Impôt sur les sociétés

Perte des déficits reportables : l'appréciation globale du changement d'activité en cas de cessions de branches

Titre : Perte des déficits reportables (Art. 221 CGI) : l'appréciation globale du changement d'activité en cas de cessions de branches.

Le droit au report déficitaire, mécanisme essentiel de la gestion fiscale des entreprises codifié à l'article 209 du Code général des impôts (CGI), est subordonné à un principe de permanence de l'entreprise. L'article 221 du même code prévoit ainsi que ce droit est perdu en cas de "cessation d'entreprise", une notion qui s'entend non seulement de la disparition de l'entité, mais aussi, de manière plus subtile, d'un changement de son "activité réelle". La Cour administrative d'appel de Nancy, dans une décision du 13 novembre 2025, vient rappeler la rigueur avec laquelle les critères de ce changement doivent être appréciés, notamment en cas de cessions partielles.

 

Contexte juridique

 

Aux termes de l'article 221, paragraphe 5, du CGI, un changement d'activité réelle est caractérisé, entre autres, par "l'abandon ou le transfert, même partiel, d'une ou de plusieurs activités" entraînant une diminution de plus de 50 %, au titre de l'exercice de sa survenance ou du suivant, soit du chiffre d’affaires, soit de l'effectif moyen et du montant brut des actifs immobilisés, par rapport à l'exercice précédent. En cas de franchissement de ces seuils, la société perd le droit d'imputer ses déficits antérieurs, sauf à obtenir un agrément ministériel (prévu au c du 5 de l'article 221) démontrant que l'opération était indispensable à la poursuite de l'activité et à la pérennité des emplois. C'est sur ce fondement que l'administration a remis en cause les déficits de la SAS GBI Conseils.

 

Faits et procédure

 

La société requérante, une agence immobilière, exerçait plusieurs activités : la gestion locative, l'administration de biens et la transaction immobilière. Au cours de l'année 2015, elle a cédé, par deux actes distincts, d'une part son fonds de commerce de gestion et administration (près de 3 000 lots) et d'autre part son fonds de commerce de transactions immobilières rattaché à plusieurs de ses établissements.

À la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a constaté l'impact drastique de ces cessions. Par rapport à l'exercice 2014, l'exercice clos au 30 juin 2015 présentait une chute de 81,83 % du chiffre d'affaires, de 96,43 % de l'effectif moyen (passant de 56 à 3 salariés) et de 99,06 % de l'actif immobilisé. L'administration a donc considéré que ces cessions caractérisaient un changement d'activité réelle au sens de l'article 221-5-b-2° du CGI, entraînant la cessation d'entreprise et, par conséquent, la perte du droit au report des déficits accumulés antérieurement. La société, contestant le supplément d'impôt sur les sociétés résultant de ce refus, a porté l'affaire devant le Tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté sa demande, puis devant la Cour administrative d'appel de Nancy.


 

Arguments des parties et position du juge

 

L'argumentation de la SAS GBI Conseils était technique. Elle soutenait ne pas avoir cessé son entreprise, mais avoir simplement réduit son volume d'activité en raison de difficultés économiques. Elle prétendait avoir conservé son activité de transaction immobilière, arguant, comptabilité analytique à l'appui, que les déficits litigieux provenaient exclusivement de cette activité maintenue. Selon elle, l'administration ne pouvait donc pas lui opposer la cessation, d'autant qu'elle invoquait une doctrine administrative (BOI-IS-CESS-10) qui exclurait l'application de l'article 221 en cas de simples difficultés conjoncturelles.

La Cour administrative d'appel de Nancy écarte cette analyse en adoptant une lecture stricte et globale des textes.

Premièrement, la Cour constate le caractère objectif des seuils légaux. Elle valide les calculs de l'administration : les diminutions du chiffre d'affaires, de l'effectif et de l'actif immobilisé étant toutes (et très largement) supérieures à 50 %, les conditions matérielles du changement d'activité réelle prévues par l'article 221-5-b-2° étaient remplies.

Deuxièmement, et c'est le point central de l'arrêt, la Cour rejette l'argument de la "simple réduction" et de l'analyse "par activité". Elle juge que l'appréciation du changement d'activité doit s'effectuer globalement au niveau de l'entreprise. Peu importe que la société ait tenté de poursuivre une activité de transaction résiduelle ; les opérations de 2015 ne constituaient pas une simple réduction de volume, mais bien "l'abandon de deux branches d'activité exercées". Dès lors que les branches initiales ont été "entièrement cédées", entraînant les diminutions statistiques constatées, les activités entreprises postérieurement par la société doivent être regardées comme "nouvelles".

Troisièmement, la Cour relève que la société, n'ayant pas sollicité l'agrément prévu au 2° du c) du 5 de l'article 221, ne pouvait échapper aux conséquences de cette cessation. L'invocation de la doctrine sur les difficultés économiques est également jugée inopérante, l'administration ne s'étant pas fondée sur celle-ci et les faits (cessions complètes de branches) excédant manifestement de simples difficultés conjoncturelles.


 

Portée de l'arrêt

 

Cette décision illustre parfaitement le mécanisme de "mort fiscale" de l'entreprise prévu par l'article 221 du CGI. Elle rappelle aux praticiens que l'appréciation du changement d'activité réelle repose sur des critères objectifs et globaux. La tentative de la société de sauver ses déficits en les rattachant, par une comptabilité analytique, à une branche d'activité prétendument conservée est sans effet.

Dès lors que des cessions partielles font franchir les seuils de 50 % (en chiffre d'affaires ou en effectif et actifs combinés) au niveau de l'entité juridique, l'intégralité des déficits antérieurs est purgée, quelle que soit leur origine. Cet arrêt confirme qu'en présence d'une restructuration impliquant des cessions d'actifs significatives, la seule voie pour préserver les déficits reportables demeure la demande d'agrément ministériel préalable, qui suppose de démontrer le caractère indispensable de l'opération pour la survie de l'entreprise et la sauvegarde de l'emploi.

Publié le lundi 17 novembre 2025 par La rédaction

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