Cette décision constitue une piqûre de rappel concernant les règles procédurales encadrant les demandes de remboursement de crédit de TVA pour les entreprises ayant cessé leur activité. Bien que classique sur le fond, la décision met en lumière deux éléments importants : la détermination du point de départ du délai de réclamation et la distinction entre une simple demande d'information et une réclamation contentieuse en bonne et due forme.
Pour mémoire, l'article 271 du CGI prévoit que la taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement selon des modalités fixées par décret. Les articles 242-0 A et suivants de l'annexe II au CGI précisent ces modalités, notamment les délais de dépôt des demandes qui s'effectuent ordinairement au cours du mois de janvier pour le crédit constaté au terme de chaque année civile, ou trimestriellement pour les entreprises soumises au régime normal d'imposition.
La situation particulière de cessation d'activité bénéficie d'un régime dérogatoire prévu à l'article 242-0 G de l'annexe II au CGI, qui permet le remboursement du crédit total lorsqu'un redevable perd cette qualité. Cette disposition s'articule avec l'article R. 196-1 du LPF qui fixe le délai de réclamation au 31 décembre de la deuxième année suivant la réalisation de l'événement qui motive la réclamation, soit en l'espèce la cessation d'activité.
Rappel des faits :
L'EURL T, entreprise de nettoyage, a cessé son activité opérationnelle le 31 décembre 2019, puis a quitté son local professionnel le 31 mars 2020 après avoir vendu son matériel à une autre entreprise. Malgré cette cessation, elle a continué à déposer des déclarations trimestrielles de TVA jusqu'au troisième trimestre 2022.
Après avoir initialement déclaré un crédit reportable de 2 298 € le 14 février 2023, l'entreprise a modifié sa déclaration le 14 avril 2023 en ajoutant 2 091 € de TVA déductible, portant le crédit total à 4 389 € et demandant simultanément son remboursement via le formulaire 3519. Cette demande intervient toutefois après la mise en liquidation judiciaire prononcée le 14 février 2023. Par une décision du 17 mai 2023, l'administration a rejeté sa demande pour tardiveté
Le 8 juin 2023, L'EURL T, a demandé au juge de lui accorder le remboursement du crédit de TVA au titre de la période du 1er juillet 2022 au 30 septembre 2022.
Elle soutient avoir présenté une première demande de remboursement le 13 juin 2022, soit dans les délais légaux, cette demande étant demeurée sans réponse de l'administration. Elle considère dès lors que l'administration ne pouvait légitimement fonder son refus sur l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire postérieure à sa demande initiale.
De son côté, l'administration fiscale :
- invoque la péremption du droit à déduction prévu à l'article 208 du CGI pour un montant de 2 091 € correspondant à des factures payées au cours du premier semestre 2020, le droit à déduction étant définitivement perdu à compter du 1er janvier 2023.
- soulève la forclusion de la demande au regard de l'article R. 196-1 du LPF, considérant que le délai de réclamation expirait le 31 décembre 2022, soit deux ans après la cessation d'activité concrétisée par la séparation d'avec le local professionnel au 31 mars 2020.
Le juge vient de rejeter la demande de l'EURL T.
Comme nous l'avons rappelé ci-avant, lorsqu'une entreprise assujettie à la TVA cesse son activité, elle perd sa qualité de redevable. Cette situation lui ouvre le droit de demander le remboursement intégral du crédit de TVA dont elle dispose, conformément à l'article 242-0 G de l'annexe II au CGI. La question centrale est alors de savoir jusqu'à quand ce droit peut être exercé.
Le tribunal rappelle que, en l'absence de délai spécifique dans les textes relatifs à la TVA, c'est le délai de droit commun des réclamations, fixé par l'article R. 196-1 du LPF, qui s'applique. La demande doit être présentée au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation.
Mais comment définir cet "événement" ?
Pour le juge de l'impôt, il ne s'agit pas de la simple cessation administrative de l'activité, mais du moment où l'assujetti n'est plus en mesure de réaliser aucune opération donnant lieu à collecte de TVA :
Dès lors, un assujetti, quelle que soit l'activité qu'il a exercée, doit être regardé comme ayant perdu la qualité de redevable lorsqu'il n'est plus en mesure de réaliser aucune opération donnant lieu à collecte de taxe sur la valeur ajoutée. Tel est le cas lorsque non seulement l'assujetti ne peut plus effectuer aucune des opérations qui constituaient son activité normale, soit qu'il ait cédé l'ensemble des marchandises qu'il avait pour objet de vendre, soit qu'il ait cessé totalement d'effectuer les prestations de services qu'il avait pour objet de rendre, mais également ne dispose plus de biens, stocks ou éléments d'actif immobilisé, dont la cession est soumise à la perception de taxe sur la valeur ajoutée.
En l'espèce, L'EURL T a cessé son activité le 31 décembre 2019, mais a vendu son matériel et quitté son local le 31 mars 2020. Le tribunal retient cette seconde date comme étant l'événement déclencheur, car c'est à ce moment que la société a perdu toute capacité à réaliser des opérations taxables. Le délai de réclamation courait donc jusqu'au 31 décembre 2022.
L'EURL T, soutenait justement avoir agi à temps en se prévalant d'un courrier envoyé à l'administration le 13 juin 2022.
Si, un courrier a bien été adressé à l'administration dans le délai de réclamation, le juge a constaté que, dans cette lettre, la société se bornait à demander à l'administration de lui "indiquer de quelle manière obtenir le remboursement de crédit de TVA".
Pour le tribunal, une telle formulation ne constitue pas une demande de remboursement, mais une simple demande d'information sur la procédure à suivre.
Si la requérante soutient que sa demande a été faite le 13 juin 2022, le courrier dont elle se prévaut se borne à demander à l'administration fiscale de lui " indiquer de quelle manière obtenir [le] remboursement de crédit de TVA " dont elle s'estime titulaire. Un tel courrier ne saurait constituer une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, la demande du 14 avril 2023 de l'EURL Technigommage était tardive et l'administration était fondée à la rejeter.
Autrement dit, une réclamation, pour être valable, doit être une démarche positive et non équivoque par laquelle le contribuable sollicite formellement la restitution d'une somme chiffrée.
Le courrier de juin 2022 étant écarté, la seule demande de remboursement formelle est celle déposée le 14 avril 2023, via le formulaire n° 3519. Or, cette date est postérieure à la date butoir du 31 décembre 2022. La demande est donc jugée tardive, et par conséquent, irrecevable.
Partant, pour le juge, l'administration était fondée à la rejeter pour ce seul motif de forclusion.