Utilisation des pertes subies par une succursale étrangère : une décision pragmatique

23/02/2011 Par La rédaction
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Dans un arrêt du 12 mai 2010, la Cour Administrative d’Appel de Paris a rendu une décision en matière de déduction par une société française des pertes subies par une succursale étrangère, dont il convient de saluer le pragmatisme.

Cet article a été rédigé par Guillaume Le Camus et Ariane Calloud avocats au cabinet Baker & McKenzie il a vocation a commenté l'arrêt de la CAA de Paris du 12 mai 2010, n°08-5384, 2è ch., Beauté Créateurs SAS

En l’espèce , la société Beauté Créateurs SAS a implanté au Royaume-Uni un établissement composé de quelques salariés chargés de la promotion de ses ventes, du démarchage de clients britanniques ainsi que du traitement de leurs commandes.

Dans ce cadre, la société a appréhendé directement en France les pertes nettes de cet établissement jusqu’à l’arrêt de son activité.

L’administration fiscale a considéré que l’établissement britannique disposait de moyens propres en personnel et d’un bureau permanent lui permettant d’exercer une activité autonome distincte de celle exercée en France et constituait donc un établissement stable au Royaume-Uni au sens de la convention fiscale francobritannique du 22 mai 1968.

L’administration fiscale a en conséquence remis en cause la déductibilité des pertes nettes d’exploitation imputables à cet établissement stable.

La Cour Administrative d’Appel est tout d’abord partie du présupposé que l’établissement britannique constituait un établissement stable, ce qui lui a permis de se prononcer sur la question de la déductibilité au niveau du siège français des pertes subies par cette succursale britannique.

La Cour s’est ici clairement inscrite dans la lignée de la jurisprudence Télécoise (2) dont il ressort que pour pouvoir déduire des pertes, subies ou régulièrement provisionnées, ayant trait à une activité étrangère, le siège français doit (i) faire bénéficier son établissement étranger d’aides (ii) lui permettant de favoriser, dans le cadre de relations commerciales avec cet établissement, le maintien ou le développement de ses propres débouchés commerciaux. La décision rendue par la Cour d'Appel de Paris y apporte toutefois des précisions intéressantes quant à sa mise en oeuvre.

 

En effet, bien qu'en l'espèce la société Beauté Créateurs SAS n'ait pas consenti d'aide, formalisée pour des besoins fiscaux, dans la mesure où elle ne pensait pas disposer d'un établissement stable au Royaume-Uni, il a implicitement été admis par la Cour que la prise en charge par la société française des pertes de son bureau au Royaume-Uni, non compensée par des recettes suffisantes, constituait une aide à sa succursale.

 

Ce point, qui n'a pas été expressément relevé par la Cour, est particulièrement intéressant en ce qu'il ne cantonne donc pas la déduction de pertes subies par une succursale étrangère à la matérialisation d'une aide.

 

L'existence de cette aide ayant été caractérisée, il restait à déterminer s'il existait une contrepartie commerciale pour la société française.

 

A cet égard, la Cour Administrative d'Appel de Paris, contrairement aux conclusions de son rapporteur public, a jugé que la succursale britannique avait effectué des prestations commerciales au bénéfice du siège français ayant permis de réaliser des ventes par correspondance en France et ainsi de développer l'activité en France, lui permettant notamment d'obtenir de meilleures conditions d'achat auprès des fournisseurs.

 

En supportant ces déficits, la société a ainsi agi dans l'intérêt de son exploitation en France, de sorte que l'administration ne pouvait pas
en refuser la déduction.

 

Cette solution apporte ainsi une nouvelle pierre à l'édifice de la déductibilité des pertes d'établissements étrangers.

 

Le principe de territorialité "à la française", loin d'être remis en cause, n'est toutefois pas interprété de manière restrictive et laisse des possibilités encadrées de faire remonter ces pertes en France.

 

CAA Paris 12 mai 2010 n° 08-5384, 2è ch., Beauté Créateurs SAS (annulant la décision du TA de Paris du 9 août 2008 n° 0107811 et 0107818) ; BDCF 12/10 n° 1147 concl. contraires du rapporteur public Y. Egloff

CE, sect., 16 mai 2003, n° 222956, Sté Télécoise : JurisData n°2003-080360 ; Dr. fisc. 2003 n°30-35 c. 582, RJF 7/03 n° 823, chron. L. Olléon p. 571 ; BDCF 7/03 n° 91 concl. comm. gouv. M.-H. Mitjaville

 

Guillaume Le Camus et Ariane Calloud : Avocats, Baker & McKenzie SCP, 1 RUE PAUL BAUDRY, 75008 PARIS