Rappel aux groupes de sociétés et à leurs holdings animatrices. Le statut d'animatrice ne dispense pas d'apporter la preuve concrète et détaillée de la réalité et de l'effectivité de chaque prestation de services facturée à une filiale. Le juge exige des éléments précis sur la nature de la charge, l'existence et la valeur de la contrepartie, ne se contentant pas d'une simple mention contractuelle ou de rapports de stratégie générale du groupe.
Les entreprises peuvent déduire de leur bénéfice imposable toutes les charges engagées dans l'intérêt de l'exploitation, sous réserve qu'elles soient réelles, justifiées et qu'elles aient une contrepartie effective (Art. 39 du CGI).
Une convention de management fees est une convention par laquelle une société s'engage à fournir à une autre société des prestations de direction et d'assistance sur différents aspects de la gestion d'entreprise. Ces prestations couvrent généralement un large spectre allant de la direction générale et stratégique à l'assistance administrative, financière, commerciale, juridique et technique. Ces conventions sont particulièrement utilisées au sein des groupes de sociétés pour mutualiser les compétences et optimiser les coûts de gestion.
Toutefois, elles font l'objet d'une surveillance accrue de la part de l'administration fiscale qui vérifie leur substance économique. En effet, les management fees peuvent parfois servir de vecteur à des transferts indirects de bénéfices ou masquer des actes anormaux de gestion.
Ainsi les prestations de services entre une holding et ses filiales peuvent être remises en cause si elles ne correspondent pas à des services réels ou si elles sont jugées excessives. En cas de contrôle fiscal, le contribuable doit justifier de la nature de la charge et de l'existence d'une contrepartie. Le BOFiP précise que le contribuable doit pouvoir démontrer l’existence de la charge, sa justification comptable et l’intérêt pour l’entreprise
La jurisprudence a complété ce cadre légal par la théorie de l'acte anormal de gestion, qui permet à l'administration fiscale de rejeter la déduction de charges résultant d'actes qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangers à une gestion normale. Un acte anormal de gestion se caractérise par l'appauvrissement d'une entreprise à des fins étrangères à son intérêt.
S'agissant des management fees, rappelons le Conseil d’État a infléchi sa jurisprudence en 2023 (CE, 4 oct. 2023, « Collectivision ») en admettant la déductibilité quand la société établit qu’elle entend seulement rémunérer indirectement le dirigeant et que la prestation présente un intérêt pour elle. Toutefois dans cette affaire « Collectivision » la Cour de renvoi a récemment estimé qu'un acte anormal de gestion était bien caractérisé (CAA Marseille 3 avril 2025)
Rappel des faits :
En l'espèce, la SAS A, société mère d'un groupe fiscalement intégré, a fait l'objet d'un redressement fiscal suite à une vérification de comptabilité de sa filiale, la SAS Entreprise Thomas (promotion immobilière). L'administration a remis en cause la déductibilité de charges correspondant à des "prestations administratives" facturées par la SAS A à sa filiale pour un montant total de 220 000 € au titre de l'exercice 2014. Selon l'administration, ces prestations ne correspondaient pas à des charges effectives et réelles, car la holding n'aurait fourni aucune prestation distincte des activités inhérentes aux fonctions des dirigeants de la filiale.
La SAS A a contesté ce redressement, ainsi que la majoration pour manquement délibéré, mais le TA de Lyon a rejeté sa demande.
La Société a fait appel de la décision. Elle conteste le jugement du TA de Lyon sur plusieurs points :
- elle reproche au tribunal d'avoir omis de répondre à son moyen selon lequel elle exerçait un rôle de holding animatrice et facturait des prestations en cette qualité.
- elle soutient que l'administration n'était pas fondée à appliquer la majoration pour manquement délibéré.
- rur le fond, elle insiste sur la nécessité de distinguer clairement les prestations d'animation de celles de services techniques, et sur la distinction entre les fonctions de direction des dirigeants communs aux deux sociétés et les prestations facturées.
- elle rappelle que l'acte anormal de gestion ne se déduit pas de l'identité de prestations rendues par un dirigeant commun, et a affirmé avoir bénéficié de contreparties attestées par des rapports internes.
La CAA de Lyon vient de rejeter la requête de la SAS A.
Sur le fond, la Cour a rappelé qu'il incombe au contribuable de justifier la nature des charges et l'existence d'une contrepartie. Elle a souligné que le rôle de holding animatrice n'implique pas, par lui-même, la réalité et l'effectivité de toutes les prestations de services administratifs, juridiques, comptables, etc., facturées à une filiale.
Il résulte du caractère facultatif de la fourniture de telles prestations que la circonstance qu'une société soit animatrice du groupe ne saurait suffire, par elle-même, à attester de la réalité et de l'effectivité de prestations de services administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers facturées à une filiale
La charge de la preuve de l'existence et de la valeur de la contrepartie revenait donc à la SAS Alsine.
- Au cas particulier, la Cour a relevé que les pièces produites par la SAS A étaient insuffisante : la majorité d'entre elles étaient postérieures à 2014 ou n'étaient pas datées, ou établies au nom de la filiale.
- La Cour a également relevé que la SAS A ne disposait pas des ressources humaines pour fournir des prestations de comptabilité, gestion, informatique ou ressources humaines, alors même que sa filiale employait une dizaine de salariés dédiés à ces fonctions.
- De même, les rapports trimestriels du directoire ne faisaient état que de réflexions stratégiques du groupe, ce qui reflète un pouvoir de contrôle actionnarial et non la fourniture de services concrets à la filiale.
- Concernant l'argument selon lequel les prestations facturées ne relevaient pas des fonctions inhérentes aux dirigeants communs, la Cour a noté que la SAS Alsine ne l'établissait pas et n'alléguait pas non plus que les organes sociaux de la filiale auraient entendu rémunérer indirectement ses dirigeants via ces conventions.
La Cour a donc conclu que les prestations intragroupes n'étaient pas justifiées.
Enfin, concernant la pénalité pour manquement délibéré, la Cour a relevé que la comptabilisation des prestations litigieuses avait permis à la filiale de minorer significativement son impôt sur les sociétés. L'administration a démontré que la société savait que ces sommes n'étaient pas engagées dans l'intérêt de la filiale et qu'elle avait ainsi créé une situation permettant de réduire sa matière imposable tout en donnant une apparence de sincérité à sa comptabilité. Ces éléments ont suffi à caractériser l'intention délibérée d'éluder l'impôt.
TL;DR
- Le statut d'animatrice ne dispense pas d'apporter la preuve concrète et détaillée de la réalité et de l'effectivité de chaque prestation de services facturée à une filiale. La Cour exige des éléments précis sur la nature de la charge, l'existence et la valeur de la contrepartie, ne se contentant pas d'une simple mention contractuelle ou de rapports de stratégie générale du groupe.
- la concordance des moyens humains et matériels de la holding avec les prestations facturées est un critère essentiel.
- les prestations qui relèvent des fonctions normales d'un dirigeant ne peuvent être rémunérées indirectement via une convention de management sans une intention claire des organes sociaux et une justification de la contrepartie pour la société bénéficiaire.