La liquidation d'une succession internationale au sein de l'UE est un parcours semé d'embûches, non seulement sur le plan fiscal, mais aussi sur celui des frais y afférents. Si les conventions fiscales parviennent souvent à neutraliser la double imposition des droits de mutation, la question du cumul des frais d'actes, et notamment des émoluments notariaux, restait une zone grise.
Or, le magistrat européen vient de juger que la libre circulation des capitaux ne s'oppose pas à ce que les émoluments d'un notaire français, requis pour établir une déclaration de succession, soient calculés sur l'intégralité de l'actif brut mondial, quand bien même un notaire d'un autre État membre aurait déjà perçu une rémunération assise sur cette même base.
L'article 750 ter du CGI dispose que, lorsqu'un héritier est domicilié fiscalement en France, les droits de mutation à titre gratuit s'appliquent à l'ensemble des biens meubles et immeubles reçus, qu'ils soient
situés en France ou hors de France
En conséquence, l'article 800 du CGI impose à cet héritier de souscrire une "déclaration détaillée" de l'intégralité de ces biens. Le tarif réglementé de l'émolument perçu par le notaire pour l'établissement de cet acte est, selon l'article A444-63 du Code de commerce, calculé proportionnellement à "l'actif brut total de la succession".
Rappel des faits :
Une personne de nationalité française résidant en Belgique est décédée, laissant pour unique héritière sa sœur, BC, résidant en France. L'actif successoral comprenait des biens mobiliers et immobiliers situés dans les deux États.
La liquidation de la succession a nécessité une double intervention. D'abord, un notaire belge a été saisi pour ouvrir la succession, établir une déclaration de succession en Belgique portant sur l'ensemble des biens (belges et français), et percevoir des émoluments calculés sur cet actif brut total. Ensuite, l'héritière, BC, a dû mandater un notaire français, la SCP Attal et Associés, pour souscrire la déclaration de succession française requise par l'article 750 ter du CGI. Ce notaire français a, lui aussi, calculé sa rémunération sur la base de l'actif brut total de la succession, incluant les biens belges.
Estimant subir une "double rémunération" pour une même assiette, l'héritière a contesté le certificat de vérification des dépens du notaire français. Elle soutenait que l'émolument dû en France ne devait être assis que sur la part d'actif brut située en France.
C'est dans ce contexte que le TJ de Paris a saisi la CJUE, afin de déterminer si cette situation constituait une restriction à la libre circulation des capitaux, prohibée par l'article 63, paragraphe 1 du TFUE.
- La Cour rappelle que les successions constituent des mouvements de capitaux au sens de l'article 63 du TFUE. Elle juge que les émoluments notariaux, bien que constituant la rémunération d'une prestation de service, sont "indissociablement liés" à la succession. En effet, l'intervention du notaire français était une étape obligatoire et nécessaire pour permettre à l'administration fiscale de calculer les droits de succession dus en France. La réglementation relative à ces émoluments tombe donc bien dans le champ d'application de la libre circulation des capitaux.
Sur l'existence d'une "restriction" la CJUE souligne :
la notion de « restriction », au sens de cette disposition, inclut les mesures étatiques qui sont de nature discriminatoire en ce qu’elles instituent, directement ou indirectement, une différence de traitement entre les mouvements nationaux de capitaux et les mouvements transfrontaliers de capitaux, qui ne correspond pas à une différence objective de situations, et qui sont, partant, propres à dissuader des personnes physiques ou morales d’autres États membres ou de pays tiers d’effectuer des mouvements transfrontaliers de capitaux
- Au cas particulier, la Cour souligne que l'héritière subit incontestablement une charge économique plus lourde que dans une succession purement interne.
Il est vrai qu’un héritier tel que BC peut, dans le cas d’une succession transfrontalière impliquant des biens situés à la fois en France et en Belgique, être amené à subir une charge plus lourde que celle qu’il aurait subie dans le cas d’une succession purement interne en raison du fait qu’il doit également payer les émoluments d’un notaire établi en Belgique aux fins de l’établissement d’une telle déclaration dans ce dernier État membre.
- Toutefois, la Cour constate que la réglementation française (l'article A444-63 du Code de commerce) est indistinctement applicable. Un notaire français instrumentant une succession purement interne (défunt, héritier et biens situés en France) calculerait ses émoluments exactement de la même manière, c'est-à-dire sur l'actif brut total. La loi française ne traite donc pas différemment, et encore moins défavorablement, la situation transfrontalière.
Dès lors, la Cour conclut que le désavantage économique subi par l'héritière ne provient pas d'une restriction imposée par la France, mais de "l'exercice parallèle des compétences fiscales" des deux États membres. En l'absence d'harmonisation au niveau de l'Union des règles de liquidation successorale ou de tarification notariale, les désavantages qui découlent de la coexistence de législations nationales distinctes (pour autant qu'elles ne soient pas discriminatoires ) ne constituent pas des restrictions prohibées par le Traité.
La Cour souligne la cohérence du système français : si le notaire doit être rémunéré sur l'actif mondial, c'est parce que le droit fiscal (Art. 750 ter CGI) impose de déclarer cet actif mondial pour permettre à l'administration de liquider l'impôt, notamment en application de la règle du taux effectif (Art.10-a de la convention franco-belge). L'émolument est la juste contrepartie de cette prestation légale portant sur l'intégralité du patrimoine.
L’article 63, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle les émoluments d’un notaire aux services duquel un héritier est tenu de recourir, dans certaines circonstances, pour établir la déclaration de succession prévue dans le droit national sont calculés sur l’intégralité de l’actif brut de la succession comprenant des biens situés dans cet État membre et dans un autre État membre et non pas seulement sur l’actif brut correspondant aux biens situés dans le premier État membre, sans que soient pris en compte les émoluments payés par l’héritier en contrepartie de la déclaration de succession établie par un notaire dans le second État membre, calculés eux aussi sur l’intégralité de l’actif brut de la succession.