Nouvelle décision concernant les critères d'éligibilité au régime d'exonération « Dutreil » et plus particulièrement sur la distinction entre une véritable holding animatrice de groupe et une société dont l'activité, bien que réelle, repose exclusivement sur les prestations personnelles de son dirigeant.
Pour mémoire l'article 787 B du CGI institue un régime d'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de la valeur des parts ou actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, sous réserve du respect d'engagements collectifs et individuels de conservation.
Ce régime s'applique également aux holdings animatrices, c'est-à-dire celles qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales, et rendent le cas échéant des services spécifiques internes. Cette extension jurisprudentielle distingue fondamentalement les holdings actives des simples gestionnaires de portefeuille, ces dernières demeurant exclues du bénéfice de l'exonération.
La charge de la preuve du caractère animateur incombe entièrement au contribuable, qui doit démontrer par un faisceau d'indices concordants la réalité de la participation active à la conduite du groupe et au contrôle des filiales.
Sur le même sujet :
- Pacte Dutreil et Holding : la matérialité de l'animation du groupe...condition "sine qua non" du régime d'exonération
- Exonération Dutreil des titres d'une Holding : la caractérisation de l'animation implique des éléments significatifs
- Exonération Dutreil : appréciation du caractère animateur d'un Holding et prescription fiscale d'une action en reprise portant sur l'évaluation des titres
Rappel des faits :
L'affaire trouve son origine dans une donation effectuée le 21 décembre 2011 par Madame J à son fils de la nue-propriété de 12,5 % des parts de la société civile SCSL, pour une valeur déclarée de 277 500 €. Cette société détenait 50 % du capital de DH, elle-même propriétaire à 100 % de la société Da SAS.
Dans l'acte de donation, les parties déclaraient que la SCSL était une holding animatrice éligible au régime de l'article 787 B du CGI. L'administration fiscale a contesté cette qualification et procédé à un rehaussement de 177 293 € de droits, assortis d'intérêts de retard et d'une pénalité de 40 % pour manquement délibéré, soit un montant total de 273 031€.
Après rejet de sa réclamation contentieuse, le contribuable a assigné l'administration devant le TGI de Paris, qui l'a débouté par jugement du 18 décembre 2019. L'appel interjeté a d'abord donné lieu à un arrêt du 15 novembre 2021 confirmant le jugement, mais la Cour de cassation a cassé cette décision pour vice de procédure, imposant un nouveau jugement au fond.
Pour justifier l'application du régime Dutreil, le demandeur soutient que la SCSL est une holding animatrice au motif qu'elle détient 50 % du capital de DH et que ses associés gérants ont un rôle stratégique dans la politique du groupe avec des pouvoirs étendus. Il invoque l'existence d'un contrat de prestation de services rémunéré conclu avec la société D, permettant à la SCSL de développer une activité économique. À titre subsidiaire, il revendique la nature commerciale prépondérante de l'activité de la SCSL, constituée par l'assistance fournie en exécution de ce contrat et rémunérée 182 580 €HT par an.
La Cour d'appel vient de confirmer la position de l'administration et le jugement de première instance
Concernant la qualification de holding animatrice,
- la Cour observe que l'objet social de la SCSL consiste principalement dans la prise de participations, la gestion de patrimoine mobilier et l'assistance aux filiales.
- Après analyse du contrat de prestation de services conclu en 2010 entre la SCSL et la société D, qui prévoyait des missions de promotion, conseil en gestion d'image et participation aux événements de relations publiques, la Cour souligne que ce contrat était conclu "intuitu personae" en considération de Madame J personnellement, et que la société D précisait explicitement que l'intervention de Madame J se limitait à un rôle de conseil et d'accompagnement, sans exercer de fonction de direction au sein du groupe. Pour la Cour, de telles prestations, fondées sur la valorisation des compétences personnelles d'un dirigeant,
« ne permettent pas de caractériser une participation active à la conduite du groupe et un contrôle sur ses filiales ».
Il s'agit d'une fonction de conseil et d'accompagnement, et non d'animation.
La Cour constate également l'absence d'éléments probants caractérisant une véritable animation :
- aucun procès-verbal ou rapport de gestion matérialisant l'implication dans la détermination de la politique commerciale,
- aucune pièce justifiant des moyens mis en œuvre pour l'animation du groupe.
Au contraire, l'analyse du pacte d'associés révèle que le véritable maître du jeu était le fonds Perceva, qui assurait le contrôle effectif du groupe.
Sur l'activité commerciale prépondérante invoquée subsidiairement,
la Cour écarte également l'argument. Si elle reconnaît que le chiffre d'affaires de la SCSL provenait bien de cette activité commerciale, elle estime que la détention des participations dans DH n'était nullement nécessaire à la réalisation desdites prestations. Le contrat commercial étant totalement indépendant de l'actif détenu, l'activité civile de gestion de patrimoine mobilier demeure prépondérante au regard du bilan.
Pour la Cour, les parts de SCSL n'étaient pas éligibles à l'exonération Dutreil.
TL;DR
- La CA de Paris réaffirme ainsi que la qualification de holding animatrice ne peut résulter de simples déclarations d'intentions ou de l'existence de prestations de services, même si elles sont substantielles. Elle exige la démonstration d'une participation effective et matérielle à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales.
- La décision nous rappelle l'importance de la documentation et de la matérialisation des actes d'animation. Les simples liens personnels entre dirigeants ou la détention de participations significatives ne suffisent pas à caractériser l'animation si celle-ci n'est pas concrètement exercée et documentée par des procès-verbaux, rapports ou conventions spécifiques.