Accueil > Transmission d’entreprises > Droits de mutation et Dutreil > Niches fiscales : vers une modulation des avantages fiscaux du Pacte Dutreil ?
Droits de mutation et Dutreil

Niches fiscales : vers une modulation des avantages fiscaux du Pacte Dutreil ?

Une nouvelle proposition de loi, vise à réformer le dispositif fiscal connu sous le nom de "Pacte Dutreil". Cette initiative s'inscrit dans un contexte de questionnement sur l'efficacité et la justification des niches fiscales, à l'heure où le redressement des finances publiques est présenté comme une priorité nationale. 

 

Dans sa forme actuelle, le « pacte Dutreil » (article 787 B du CGI et 787 C du CGI) est une mesure destinée à préserver la pérennité des entreprises au moment de leur transmission, qu'elle soit subie (décès) ou choisie (donation). Formidable outil d'aide à la transmission, ce dispositif a pour objectif d'éviter que les héritiers d'un chef d'entreprise ne soient obligés, lors de son décès, de vendre l'activité professionnelle pour payer les droits de succession. L'objectif affiché est donc d'assurer la pérennité du tissu économique français par l'allègement du coût fiscal de la transmission d'entreprise dans un cadre familial. Ainsi, ce dispositif permet, si certaines conditions sont réunies, de faire bénéficier la transmission d'une entreprise familiale d'une exonération partielle des DMTG (droits d'enregistrement des donations et succession) à hauteur de 75 %, permettant ainsi une taxation de la transmission limitée à 25 % de la valeur de l'entreprise.

 

La proposition de loi portée par Nicolas Sansu et ses collègues introduit trois modifications substantielles au régime de l'exonération Dutreil :

  1. Modulation du taux d'exonération en fonction de la valeur des titres transmis :
    • Maintien du taux d'exonération de 75% pour la fraction de la valeur des titres inférieure à 50 M€
    • Réduction du taux d'exonération à 50% pour la fraction de la valeur dépassant ce seuil
  2. Allongement de la durée de l'engagement individuel des donataires ou héritiers :
    • Extension de quatre à huit ans de la durée de l'engagement individuel de conservation des titres
  3. Exclusion des transmissions en démembrement de propriété :
    • Limitation du bénéfice du dispositif aux seules transmissions en pleine propriété
    • Exclusion explicite des transmissions de titres démembrés

 

Les députés proposent que cette réforme s’applique aux exercices ou périodes d’imposition ouverts à compter du 1er janvier 2025.

 

Les auteurs de la proposition fondent leur démarche sur plusieurs considérations :

  • Coût budgétaire sous-évalué : Ils estiment que le coût réel du dispositif serait bien supérieur aux 800 M€ récemment réévalués par Bercy, se situant plutôt entre 2 et 3 Md€ d'euros selon le Conseil d'analyse économique (CAE).
  • Détournement de l'objectif initial : Ils dénoncent l'utilisation du dispositif au bénéfice de holdings familiales incluant des actifs non professionnels (immobilier, œuvres d'art), ce qui s'écarterait de l'objectif initial de protection du tissu économique.
  • Optimisation fiscale excessive : Ils critiquent particulièrement le cumul de l'exonération Dutreil avec d'autres mécanismes d'optimisation, notamment le démembrement de propriété, qui permettrait d'aboutir à une exonération effective pouvant atteindre 90% de la valeur des actifs transmis.

Soulignons :

 

Fervents défenseurs de ce pilier essentiel de la transmission des entreprises familiales en France, nous ne voyons jamais d'un bon oeil les propositions visant à en réduire la portée...pour autant nous ne souhaitons pas qu'il puisse servir à transmettre des patrimoines immobiliers deconnectés d'une activité professionnelle (foncières) et des sociétés aux trésoreries manifestement excédentaires.

 

Quels sont les risques attachés aux mesures proposées ?

  • Si la modulation du taux d'exonération en fonction d'un seuil de 50 M€ peut se justifier par un principe d'équité fiscale, elle pose la question de sa conformité au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt. Le Conseil constitutionnel admet des différenciations fondées sur des critères objectifs et rationnels, mais la jurisprudence reste à préciser concernant un seuil de valeur comme critère de différenciation. Elle soulève également la question de la compétitivité internationale des grandes entreprises familiales françaises face à leurs concurrentes étrangères bénéficiant de régimes fiscaux plus favorables.
  • L'allongement de la durée de l'engagement individuel à huit ans constitue une contrainte significative pour les entreprises en forte croissance ou évoluant dans des secteurs en mutation rapide. Cette mesure pourrait entraver certaines opérations stratégiques (restructurations, ouvertures de capital) nécessaires à la compétitivité de l'entreprise.
  • L'exclusion du démembrement de propriété du champ d'application du Pacte Dutreil remettrait en cause des stratégies patrimoniales largement utilisées et considérées comme légitimes. Cette mesure pourrait également être contestée au regard du principe de sécurité juridique et de confiance légitime, particulièrement pour les pactes déjà conclus ou en cours de préparation.

 

La proposition émanant d'un groupe d'opposition, son adoption en l'état nous paraît, de prime abord, incertaine. Toutefois :

  • elle s'inscrit dans une tendance plus large de remise en question des avantages fiscaux jugés excessifs, qui pourrait influencer de futures réformes fiscales.
  • Par ailleurs, M. Sansu partage avec M. Mattéi (Député centriste proche du Premier ministre François Bayrou) de nombreuses idées concernant le Pacte Dutreil. Ils ont notamment présidé la Mission d'information sur la fiscalité du patrimoine qui a donné lieu à un rapport publié en octobre 2023 précisant que les rapporteurs s’accordaient sur le fait qu’une réflexion soit menée sur la définition des actifs pouvant être transmis par Dutreil...Partant si cette proposition de loi n'est pas adoptée en l'état, certaines mesures pourraient figurer au PLF2026.

 

En définitive, la proposition de loi visant à un meilleur encadrement du Pacte Dutreil, au-delà de son adoption éventuelle, a  le mérite d'ouvrir un débat utile sur l'efficacité et la pertinence des dispositifs fiscaux dérogatoires en France, dans un contexte où la maîtrise des finances publiques et l'équité fiscale sont devenues des enjeux politiques majeurs.

 

Affaire à suivre...

Publié le mercredi 23 avril 2025 par La rédaction

5 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :