Le juge de l'impôt confirme, en matière de plus-value mobilière, la position de l'administration fiscale concernant le calcul du prix d'acquisition en cas de cession de titres précédemment démembrés, rejetant les arguments des contribuables fondés notamment sur l'opposabilité de la doctrine administrative.
Pour mémoire, l'imposition des plus-values constatées lors de cessions de parts sociales dont la propriété est démembrée obéit à des règles spécifiques. En principe, cette imposition se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits. Toutefois, lorsque les parties décident que le prix de cession sera remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.
L'article 150-0 D du CGI précise les modalités de calcul des gains nets imposables. Ces derniers sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession, net des frais et taxes, et le prix effectif d'acquisition diminué, le cas échéant, des réductions d'impôt obtenues.
Une disposition particulière concerne les acquisitions à titre gratuit : dans ce cas, le prix d'acquisition est fixé à la valeur retenue pour la détermination des droits de mutation. Cette règle vise à assurer la cohérence entre les différents impôts et à éviter les discontinuités fiscales lors des transmissions patrimoniales. Cette valeur doit être prise en compte qu'elle procède d'une déclaration du contribuable au titre des droits d'enregistrement ou d'une rectification définitive de cette déclaration par l'administration fiscale. Cette précision garantit l'opposabilité des évaluations définitivement arrêtées par l'administration.
Enfin, l'article 669 du CGI établit un barème forfaitaire pour déterminer la valeur de l'usufruit et de la nue-propriété en cas de démembrement. Ce barème, applicable pour la liquidation des droits d'enregistrement et de la taxe de publicité foncière, fixe ces valeurs par une quotité de la valeur de la propriété entière en fonction de l'âge de l'usufruitier. Selon ce barème, la valeur de la nue-propriété représente 60 % de celle de la pleine propriété lorsque l'usufruitier est âgé de moins de 71 ans révolus, et s'élève à 70 % lorsque l'usufruitier est âgé de moins de 81 ans révolus.
Rappel des faits :
Par acte du 8 juin 2008, Monsieur AB alors âgé de 66 ans, a consenti à son fils Monsieur DB la donation de la nue-propriété de 1 648 titres de la société O, en se réservant l'usufruit. Cette donation a été enregistrée le 24 juin 2008, donnant lieu à la liquidation des droits de mutation à titre gratuit selon le barème de l'article 669 du CGI. L'âge de l'usufruitier au moment de la donation (66 ans) avait conduit à retenir une quotité de 60 % pour la nue-propriété et 40 % pour l'usufruit.
Le 23 juillet 2014, le père (73 ans) et le fils ont cédé ensemble les titres, avec une clause de remploi du prix au profit de l’usufruitier – de sorte que la plus-value devait être imposée entre les mains du seul nu-propriétaire, conformément à l’article 150-0 A, I-1 du CGI et à la doctrine administrative (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60, § 100 s.)
Lors du dépôt de la déclaration de plus-value (906 093 €), les époux B. ont reconstitué le prix d’acquisition global en appliquant la décote de 70 % (âge de l’usufruitier : moins de 81 ans) aux titres donnés six ans plus tôt, faisant mécaniquement baisser le gain imposable. L’administration a, au contraire, figé l’évaluation de la nue-propriété à 60 %, soit la fraction effectivement retenue dans la base des droits d’enregistrement en 2008, puis a rehaussé l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
Ayant contesté en vain ces impositions, les époux B ont saisi le tribunal administratif de Nîmes, qui a rejeté leur demande par un jugement du 20 janvier 2023. Les contribuables ont fait appel devant la Cour administrative d'appel de Toulouse.
La divergence portait sur la méthode de calcul du prix d'acquisition de référence pour déterminer la plus-value imposable. Les époux B. retiennent pour le calcul de l'accroissement de valeur de la nue-propriété une quotité de 70 %, correspondant à l'âge de l'usufruitier au jour de la cession (73 ans). L'administration soutient qu'il convientde retenir la quotité de 60 %, correspondant à l'âge de l'usufruitier au jour de la donation (66 ans).
Les époux B se prévalent
- de la doctrine BOFIP BOI-RPPM-20-10-20-60, n°160, publiée le 14 octobre 2014. Ils soutiennent que le renvoi "(1)" de l'exemple chiffré illustrant le paragraphe 160 de cette doctrine établit que la quotité de la valeur de la nue-propriété doit être déterminée en fonction de l'âge de l'usufruitier au moment de la cession ultérieure, et non au moment de la transmission à titre gratuit.
Cette interprétation conduisait à retenir la quotité de 70 % correspondant à l'âge de 73 ans de l'usufruitier lors de la cession à la société Omya, plutôt que la quotité de 60 % correspondant à ses 66 ans lors de la donation initiale.
- du paragraphe 6409 de l'ouvrage "Plus-values des particuliers" aux éditions Francis Lefebvre (2014), qu'ils considèrent comme confortant leur interprétation de la réglementation applicable.
- d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, soulignant que la sœur de Monsieur B. et son époux a procédé au calcul de leur plus-value selon les mêmes modalités dans un dossier identique, sans faire l'objet d'une rectification de la part du pôle de contrôle des revenus du patrimoine de Toulouse-Rangueil.
Le ministre quant à lui soutient que les moyens soulevés par les contribuables ne sont pas fondés. Il défend la régularité des rectifications opérées, qui se conforment selon lui aux dispositions légales et à l'interprétation correcte de la doctrine administrative.
La Cour administrative d'appel de Toulouse vient de rejeter l'ensemble des arguments des contribuables, confirmant ainsi le jugement de première instance
Sur le fond, la Cour rappelle que, d’après l’article 150-0 D 1 du CGI, la valeur d’acquisition d’un bien reçu à titre gratuit est celle retenue pour l’assiette des droits de mutation. Or, cette valeur est inséparable du barème de l’article 669 du code précité, lequel impose de se placer à la date de la donation pour évaluer la nue-propriété – le I précise d’ailleurs qu’il n’est « tenu compte que des usufruits ouverts au jour de la mutation ». En alignant ainsi le prix d’acquisition sur l’assiette déjà taxée aux droits d’enregistrement, la cour s’inscrit dans la continuité de solutions déjà adoptées par d’autres cours (CAA Lyon, 10 févr. 2022, n° 20LY02234)
Autrement dit, la Cour confirme que la valeur de la nue-propriété lors de la transmission à titre gratuit doit être déterminée en retenant une quotité de 60 % de la valeur de la pleine propriété, conformément au barème de l'article 669 compte tenu de l'âge de l'usufruitier au jour de la donation.
Concernant l'interprétation de la loi et l'opposabilité de la doctrine administrative en application de l'article L. 80 A du LPF, la Cour a examiné l'argument principal des époux B relatif au renvoi " (1) " du schéma explicatif du paragraphe 160 de la doctrine BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 :
- elle a estimé qu'à supposer même que le renvoi ait le sens que les contribuables lui attribuaient, il ne comporterait aucune interprétation formelle de la loi opposable au service. La Cour a justifié cette position en soulignant la contrariété de cette interprétation avec le commentaire qu'il accompagne et dont il est indissociable. Le commentaire précise clairement qu'il convient de se situer à la date de transmission de la nue-propriété pour apprécier l'accroissement de sa valeur, ce qui est conforme aux dispositions législatives et au paragraphe 150 de la même doctrine.
- en outre, la Cour a précisé que le renvoi au barème de l'article 669 du CGI en fonction de l'âge de l'usufruitier au moment de la cession ne concerne que la détermination de la valeur de la nue-propriété lors de l'acquisition initiale des titres en pleine propriété, et non la valeur de la nue-propriété à la date de la transmission à titre gratuit. Ainsi, la Cour a conclu que les rectifications étaient conformes à la doctrine dont les époux B... entendaient se prévaloir.
9. Les époux B... soutiennent qu'il résulte du renvoi " (1) " du schéma explicatif évoqué au point précédent que la valeur de la nue-propriété à la date de la transmission à titre gratuit doit être déterminée, pour apprécier son accroissement depuis l'acquisition initiale, en tenant compte du barème de l'article 669 du code général des impôts en fonction de l'âge de l'usufruitier à la date de la cession finale à titre onéreux occasionnant la plus-value imposable. À supposer même que tel soit le sens de ce renvoi, celui-ci ne comporterait aucune interprétation formelle de la loi opposable au service, compte tenu de sa contrariété avec le commentaire qu'il accompagne et dont il est indissociable, lequel exprime clairement qu'il convient, pour apprécier l'accroissement de la valeur de la nue-propriété depuis l'acquisition initiale des titres, de se situer à la date de transmission de la nue-propriété, ce qui du reste est conforme au paragraphe 150, que le paragraphe 160 a pour objet de préciser, ainsi qu'aux dispositions législatives rappelées au point 3.
10. Au demeurant, il résulte des énonciations du schéma explicatif que le renvoi au barème de l'article 669 du code général des impôts en fonction de l'âge de l'usufruitier au moment de la cession n'a de portée qu'en ce qui concerne la détermination de la valeur de la nue-propriété lors de l'acquisition initiale des titres en pleine propriété, ce qui d'ailleurs correspond à la méthode retenue par le service. Ce renvoi ne vise en revanche pas la valeur de la nue-propriété à la date de la transmission à titre gratuit, figurant dans la colonne " Donation de la nue-propriété " du schéma, lequel retient clairement, comme valeur de nue-propriété à la date de la donation, prise en compte pour le calcul de l'accroissement de valeur de la nue-propriété, l'assiette des droits de mutation à titre gratuit, laquelle résulte donc de l'application du barème de l'article 669 du code général des impôts en fonction de l'âge de l'usufruitier à la date de la donation. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les époux B..., les rectifications litigieuses ont été établies conformément à la doctrine dont ils entendent se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, et en particulier aux énonciations du schéma explicatif accompagnant le paragraphe 160 de la doctrine administrative référencée BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60 dans sa version publiée le 14 octobre 2014.
La Cour a également balayé les autres arguments des contribuables. Elle a rappelé que l'ouvrage des éditions Francis Lefebvre ne constitue pas une interprétation formelle de la loi fiscale opposable sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF. Enfin, s'agissant de l'invocation du principe d'égalité, la Cour a jugé que l'absence de contrôle chez un autre contribuable ne saurait être assimilée à une interprétation formelle de la loi ni à une prise de position formelle de l'administration. Elle a par ailleurs rappelé que le principe d'égalité devant les charges publiques ne permet pas de solliciter un traitement contraire à la loi.