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Droits de mutation et Dutreil

Pacte Dutreil : quand les arbitrages irréfléchis pendant l'engagement collectif engagent la responsabilité des conseils

Le juge de l'impôt vient de rendre une nouvelle décision en matière d'action en responsabilité dirigée contre les conseils suite à la remise en cause de l'exonération Dutreil (Art. 787 B du CGI) suite à un apport de titres exonérés, à une structure Holding,  pendant l'engagement collectif, avant la réforme de 2019. Même si la solution ne présente, du fait de la modification législative, plus aujourd'hui le même intérêt, la décision nous rappelle que la mise en oeuvre de l'exonération Dutreil-transmission ne souffre pas l'amateurisme.

 

Pour mémoire, l’article 40 de la Loi de Finances pour 2019  a procédé à la modernisation du dispositif Dutreil-Transmission et notamment à l’élargissement des possibilités d’apport de titres à une société holding au cours de l’engagement de conservation.

 

Avant la Loi de Finances pour 2019, l’apport de titres soumis à l’engament collectif après la transmission à titre gratuit (et alors que cet ECC était toujours en cours) n’était pas possible sans risque pour les donataires apporteurs.  En effet, du fait de cette cession (apport), le donataire apporteur ne pouvait plus respecter l’engagement individuel de conservation (qu’il a souscrit dans l’acte de donation) des titres reçus.... puisqu’il les a apportés. « La seconde condition relative à l’engagement individuel de conservation des titres transmis ne pourrait alors plus être respectée » précisait l’administration fiscale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n°50. Cette restriction s’appliquait depuis le 12 septembre 2012 (date de la mise en ligne du BOFIP-Impôt). Initialement, l’administration admettait que le régime de faveur ne soit pas remis en cause dans l’hypothèse où l’apport était réalisé au profit d’une Holding qui avait souscrit à l’engagement collectif de conservation (BOI 7 G-3-12, §89 du 22 mars 2012). Mais cette doctrine avait été rapportée.

 

Ainsi, avant 2019, seul l'apport de titres (sous engagement individuel) était possible dans les conditions prévues à l'article 787 B-f du CGI.

L’article 40 de la Loi de Finances pour 2019 a modifié l’article 787-B-f en disposant : « En cas de non-respect des conditions prévues aux a et c par suite d’un apport partiellement rémunéré par la prise en charge d’une soulte consécutive à un partage ou d’un apport pur et simple de titres d’une société ayant une activité industrielle […] » Autrement dit, l’apport de titre sous engagement collectif à une société Holding est depuis 2019 autorisée.

 

Rappel des faits :

 

M. D exploitant agricole, détenait 250 des 500 parts composant le capital social de l'EARL S ainsi que les 35 489 des 35 500 parts représentant le capital social de la SCEA P. Il est décédé le fin 2010, laissant pour lui succéder son épouse séparée de biens, qui a déclaré opter pour l'usufruit de la totalité des biens de la succession aux termes d'un acte notarié du 19 mars 2012 et leurs 4 enfants. Déclarant vouloir bénéficier des dispositions de l'article 787 B du CGI, les héritiers de M. D ont pris un engagement collectif de conserver les titres susvisés dépendant de sa succession pendant une durée minimale de 2 années, par deux actes authentiques reçus le 21 janvier 2011 par Me F notaire. Aux termes d'un nouvel acte authentique, dressé le 19 juin 2012 par ce même notaire, la veuve et l'un de ses fils C, ont pris également l'engagement de conserver pendant 2 ans au moins les titres leur appartenant en propre dans l'EARL S  à concurrence de 200 parts pour madame et de 50 parts pour monsieur, ce dernier en ayant fait l'acquisition auprès de sa mère par acte sous-seing privé du 1er avril 1999. Le même jour, la veuve a réalisé une donation partage au profit de ses enfants, aux termes de laquelle, notamment, C a reçu la nue-propriété des 35 500 parts sociales de la SCEA P et des 450 parts sociales de l'EARL S. Le 10 septembre 2012, Me F a reçu l'acte par lequel la veuve a souhaité convertir l'usufruit qu'elle détenait sur les 35 500 parts sociales de la SCEA P et les 450 parts sociales de l'EARL S, en une rente annuelle viagère d'un montant de 30 000€, à la charge de C devenu ainsi seul et unique associé des 2 sociétés.

Par acte sous-seing privé du 30 octobre 2012, C a fait apport à la SAS en formation P Holding de la totalité de ses titres dans la SCEA P et dans l'EARL S. L'administration fiscale a alors considéré que cet apport emportait les conséquences d'une cession, consentie en méconnaissance des actes collectifs de conservation de titres précités, et que, par suite, elle entraînait la déchéance du régime d'exonération Dutreil.

Estimant que ce redressement fiscal résultait de l'acte d'apport qui lui avait été conseillé par Me L, avocat, les consorts D l'ont fait assigner en référé. Celui-ci a appelé en garantie le notaire Me F en considérant que ce dernier devait participer à l'indemnisation des demandeurs.

Par jugement du 2 mai 2018, le TGI de Montpellier a jugé que Maître L avait commis une faute dans l'exécution de sa mission contractuelle et l'a condamné in solidum avec son assureur à verser aux consorts D en réparation de la perte de chance causée par sa faute, la somme de 50 067€. En revanche, le tribunal a jugé que le notaire n'avait commis aucune faute susceptible d'engager sa RCP.

 

Les consorts D ont fait appel de la décision. Ils demandent la condamnation solidaire de l'avocat et du notaire de la somme de 100133 € correspondant aux droits mis en recouvrement et de la somme de 30.000 à titre de dommages et intérêts.

 

 

La Cour vient de confirmer la responsabilité de l'avocat Me L qui aurait du faire attention au fait qu'un engagement collectif était en cours et qui a donc "méconnu son obligation de diligence et de conseil, il lui incombait de se renseigner auprès du notaire qu'il avait rencontré afin de s'assurer de l'efficacité et la validité de l'acte qu'il avait pour misssion de mettre en forme dans l'intérêt de son client."

 

La Cour confirme également que le Notaire Me F n'a pas commis de faute : il n'est pas le rédacteur de l'acte d'apport, ce sont les consorts D qui ont directement fait appel à Me L pour réaliser cet acte, il a transmis à Me L les actes authentiques de donation-partage.

 

Dès lors, Maître [F] n'a participé aucunement à l'acte litigieux et a donné tous les élements d'information au rédacteur de l'acte, aucune faute n'est caractérisée à son égard, bien au contraire le notaire avait permis aux consorts [L] de diminuer les droits de mutation sur les titres et ultérieurement les héritiers n'ont sollicité aucun conseil à ce titre auprès de Maître [F].

Enfin la clause d'engagement de conservation des titres aux termes de laquelle l'exonération des droits de succession était suffisamment claire pour que les consorts [D] bénéficient de l'éxonération fiscale associée, et c'est la volonté des héritiers de mettre en place une opération d'apport à la holding au profit d'un seul des signataires des actes d'engagement collectifs initiaux qui a déclenché le redressement fiscal.

 

Eu égard aux enjeux financiers et fiscaux, la mise en oeuvre de l'exonération Dutreil implique qu'avocat et notaire doivent travailler de concert tout au long du processus de transmission et s'informents mutuellement des arbitrages tant que les engagements sont en cours.

Publié le mardi 25 avril 2023 par La rédaction

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