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Plus-values mobilières

Sursis d'imposition des plus-values mobilières : qualification des sociétés étrangères et neutralité fiscale des opérations d'échange

Nouvelle contribution du juge à la jurisprudence relative au régime de sursis d'imposition des plus-values de cession de titres prévu à l'article 150-0 B du CGI au titre d'opérations d'échange de titres impliquant une société de droit étranger nouvellement créée.

 

L'article 150-0 B du CGI introduit pour faciliter les restructurations en évitant l'imposition immédiate des plus-values latentes, permet de différer l'imposition jusqu'à la cession effective des titres reçus en échange. Le législateur a entendu, par ces dispositions, favoriser la création et le développement d'entreprises en supprimant les obstacles fiscaux aux opérations de restructuration. Le régime s'applique automatiquement, sans formalisme particulier, dès lors que les conditions légales sont réunies, créant ainsi une sécurité juridique appréciable pour les contribuables.

 

L'article 150-0 D du même code précise les modalités de calcul des plus-values, établissant le principe selon lequel les titres reçus en échange sont réputés acquis aux conditions d'acquisition des titres échangés. Cette fiction juridique assure la continuité fiscale de l'investissement et évite les ruptures artificielles liées aux changements de support juridique.

 

Le bénéfice du sursis d'imposition est subordonné à plusieurs conditions cumulatives. D'abord, l'opération doit constituer un échange ou un apport de titres au sens de l'article 150-0 B. Ensuite, la société bénéficiaire de l'apport doit être soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent dans un État membre de l'UE. 

 

Rappel des faits :

En 2007 et 2008, Monsieur C. a souscrit au capital de la SAS FB, société de droit français, pour un montant total de 52 000 € acquérant ainsi 520 actions. Le 11 juillet 2012, Monsieur C. a procédé à l'apport de ces 520 actions à une société de droit luxembourgeois, la SARL UI, nouvellement créée avec un capital de 1 716 000 €. En contrepartie de cet apport, il a reçu 8 580 parts sociales de la société luxembourgeoise, représentant la moitié du capital social.

Cette opération présentait les caractéristiques classiques d'un échange de titres : apport d'actions d'une société à une société nouvelle en contrepartie de parts sociales de cette dernière. Cependant, Monsieur C. n'a pas déclaré cette opération à l'administration fiscale française, considérant apparemment qu'elle ne générait pas d'imposition immédiate.

Le 11 décembre 2017, soit plus de cinq ans après l'opération d'échange initial, Monsieur C. a cédé ses 8 580 parts dans UI à la SAS B pour un prix de 968 939 €. Cette cession a révélé l'existence de l'opération de 2012 et déclenché le contrôle fiscal.

La découverte de l'opération est intervenue de manière indirecte, lors d'une vérification de comptabilité de la SAS B diligentée en 2019. Cette vérification a révélé l'acquisition par cette société des parts d'UI détenues par Monsieur C., conduisant l'administration à s'interroger sur l'origine de ces titres.

Un contrôle sur pièces a ensuite été diligenté concernant Monsieur C, révélant l'absence de déclaration de l'opération de 2017. L'administration a alors reconstitué l'historique des opérations et procédé à l'imposition de la plus-value selon la procédure contradictoire.

L'administration a calculé un gain net de 313 504 € après imputation de moins-values antérieures de 47 213 € et application d'un abattement de 65% pour durée de détention. Ce calcul reposait sur un prix d'acquisition de 52 000 € correspondant au coût initial des actions de FB, conformément aux règles du sursis d'imposition.

M.C a demandé au TA de Dijon de prononcer la réduction des cotisations auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2017 à concurrence d'une somme totale de 296 742 €. Par un jugement du 21 septembre 2023, le tribunal a constaté un non-lieu à statuer à hauteur des sommes dégrevées en cours d'instance (article 1er) et a rejeté le surplus de sa demande (article 2).

 

M. C a fait appel de la décision

  • Il soutient que l'opération de 2012 ne constituait pas un échange de titres au sens de l'article 150-0 B, arguant que les parts d'UI avaient été créées de manière autonome et non en rémunération de l'apport. Le but est de faire qualifier l'opération de cession suivie d'un réinvestissement distinct, permettant d'imposer la plus-value dès 2012 et de bénéficier ensuite de la prescription triennale.
  • Il soutient également que la SARL UI, société de droit luxembourgeois, n'était pas assujettie à un impôt équivalent à l'impôt français sur les sociétés. Il invoque l'absence de chiffre d'affaires et de bénéfices imposables pour arguer que la société n'était pas effectivement soumise à l'impôt luxembourgeois.
  • Subsidiairement, Monsieur C. revendique un prix d'acquisition des titres calculé sur la base de la valeur d'apport de 2012, soit 858 000 € au lieu des 52 000 € retenus par l'administration. Cette approche visait à réduire significativement la plus-value imposable en actualisant la base d'acquisition. Il soutient que si l'opération de 2012 devait être imposée, cette imposition était prescrite au moment du contrôle de 2020. Cette argumentation s'appuie sur l'idée que le fait générateur de l'imposition est l'apport de 2012 et non la cession de 2017.

La Cour vient de rejeter l'appel de M.C

 

Concernant la qualification de l'opération d'échange

La Cour relève que l'apport des 520 actions de FB à UI, nouvellement créée, donnant lieu en contrepartie à 8 580 parts sociales souscrites et libérées le même jour, revêt bien le caractère d'une opération d'échange au sens de l'article 150-0 B.

Peu importe que les parts d'UI aient été formellement créées de manière autonome ; l'essentiel réside dans le lien économique direct entre l'apport et l'attribution des parts.

D'une part, cet apport en nature consistant en 520 actions de la SAS Foncière BBF à la SARL Utopia Invest, nouvellement créée, donnant lieu en contrepartie à 8 580 parts sociales, souscrites par M. C... et libérées le même jour, revêt le caractère d'une opération d'échange au sens de l'article 150-0 B du code général des impôts, de sorte que les gains nets retirés des échanges de titres opérés à l'occasion d'une telle opération bénéficient du sursis automatique d'imposition. En outre, les titres reçus en rémunération de l'apport doivent être réputés être entrés dans le patrimoine de M. C... aux conditions dans lesquelles y étaient entrés les titres dont il a fait apport. 

 

Concernant l'assimilation de la société luxembourgeoise

La Cour rappelle qu'il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger...

  • d'identifier d'abord, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable.
  • de déterminer ensuite le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

La Cour constate que les sociétés à responsabilité limitée luxembourgeoises à plusieurs associés sont soumises à l'impôt sur le revenu des collectivités, équivalent luxembourgeois de l'impôt français sur les sociétés.

La Cour écarte l'argument selon lequel l'absence de chiffre d'affaires et de bénéfices remettrait en cause l'assujettissement fiscal de la société.

Pour contester le calcul du montant du gain net de cession, l'appelant soutient également que la SARL Utopia Invest, bénéficiaire de l'apport, n'étant pas passible d'un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés, le régime du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts n'est pas applicable à l'opération d'apport des titres de la société Foncière BBF réalisée le 11 juillet 2012 à la SARL Utopia Invest. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette société a été créée le 11 juillet 2012 sous la forme d'une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois. Or les sociétés à responsabilité limitée à plusieurs associés sont des sociétés commerciales soumises à l'impôt sur le revenu des collectivités correspondant en France à l'impôt sur les sociétés. Dans ces conditions, la SARL Utopia Invest doit être assimilée à une société de capitaux soumise en France à l'impôt sur les sociétés en application de l'article 206 du code général des impôts. La circonstance, invoquée par le requérant, que les chiffres d'affaires réalisés au cours des exercices clos le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2017 seraient d'un montant nul et que la SARL Utopia Invest n'aurait pas été redevable de l'impôt sur le revenu des collectivités au titre d'aucun des exercices clos depuis sa création est sans incidence sur la forme juridique de ladite société et le principe de son assujettissement à cet impôt. Par suite, cette branche du moyen doit être également écartée.

 

Concernant le calcul de la plus-value

La Cour confirme l'application des règles classiques du sursis d'imposition pour le calcul de la plus-value de 2017. Les parts d'UI sont réputées acquises aux conditions d'acquisition des actions de FB, soit 52 000 €, conformément au principe de continuité fiscale inhérent au régime de sursis.

 

Enfin, l'analyse de la prescription confirme que le fait générateur de l'imposition est bien la cession de 2017 et non l'apport de 2012. Cette position s'appuie sur la logique même du sursis d'imposition qui reporte l'exigibilité de l'impôt jusqu'à la cession effective des titres reçus en échange. La Cour confirme que la proposition de rectification de décembre 2020 est intervenue dans les délais légaux de reprise triennale, écartant définitivement l'argument de prescription.

 

Publié le vendredi 13 juin 2025 par La rédaction

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