Le juge de l'impôt vient de valider la qualification d'acte anormal de gestion retenue par l'administration à l'encontre d'un prêt participatif intragroupe consenti à un taux de 10,20 %, assorti d'un intéressement aux résultats, dans un contexte où les liens capitalistiques entre prêteur et emprunteur, bien que non formellement visés par l'article 39-12 du CGI, révélaient une communauté d'intérêts de nature à expliquer des conditions de financement s'écartant manifestement des standards du marché.
Pour mémoire, le prêt participatif, régi par les articles L. 313-13 et suivants du Comofi, présente des caractéristiques hybrides entre dette et fonds propres. Sa rémunération peut comporter une partie fixe et une partie variable indexée sur les résultats de l'emprunteur. Cette nature particulière, qui implique une prise de risque accrue pour le prêteur en raison de son rang de remboursement subordonné, peut justifier un taux d'intérêt supérieur à celui d'un prêt classique. Toutefois, cette majoration doit demeurer proportionnée au risque effectivement supporté et aux conditions prévalant sur le marché pour des financements comparables.
Par ailleurs, s'agissant des charges financières, et notamment des intérêts d'emprunt, l'administration fiscale dispose d'un pouvoir de contrôle lui permettant de remettre en cause la déductibilité de la fraction des intérêts excédant un taux normal. Ce contrôle s'exerce indépendamment des dispositifs spécifiques de limitation des charges financières, tels que le mécanisme de sous-capitalisation ou les règles de plafonnement issues de la directive ATAD. La charge de la preuve du caractère anormal incombe en principe à l'administration, qui doit établir les faits sur lesquels elle fonde sa qualification sans pour autant s'immiscer dans l'opportunité des choix de gestion de l'entreprise.
Enfin rappelons que la théorie de l'acte anormal de gestion, construction prétorienne consacrée de longue date, trouve son fondement dans les articles 38 et 209 du Code général des impôts. Le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés s'entend de celui qui provient des opérations de toute nature réalisées par l'entreprise, à l'exclusion de celles qui, par leur objet ou leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue ainsi un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt propre.
Rappel des faits :
La SARL MP16, société exerçant l'activité de marchand de biens, a procédé le 19 décembre 2014 à l'acquisition d'un immeuble situé dans le seizième arrondissement de Paris pour un montant de 18 200 000 €. Le financement de cette opération reposait sur une structure tripartite associant dette bancaire et financements intragroupe.
La société a d'abord souscrit un prêt bancaire classique auprès de la BRED Banque Populaire pour un montant de 11 420 000 €, garanti par une hypothèque de premier rang sur l'immeuble acquis. Ce prêt s'accompagnait d'un engagement de la société emprunteuse de ne consentir aucune sûreté supplémentaire sur le bien financé.
Le complément de financement provenait de deux sources liées au groupe. D'une part, la société mère de droit luxembourgeois PBPCR 3 a consenti une avance en compte courant d'associé d'un montant de 2 250 000 €, rémunérée au taux de 10,20 %. D'autre part, la société HPI a accordé un prêt participatif de 6 750 000 € d'une durée de vingt-cinq mois, rémunéré à un taux fixe de 10,20 % majoré d'un intéressement correspondant à 50 % du résultat net comptable avant impôt de l'emprunteuse, le tout plafonné à un taux de rendement interne de 17,5 %.
Le lien entre ces différentes entités mérite d'être souligné. Le capital de la SARL MP16 était intégralement détenu par la société PBPCR 3, dont le dirigeant et actionnaire unique, M. B., était également comptable, associé, gérant et membre fondateur de la société HPI prêteuse. Cette configuration, sans caractériser une relation de dépendance au sens strict de l'article 39-12 du CGI, révélait une communauté d'intérêts manifeste.
À l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a réintégré dans les résultats imposables de MP1 la totalité des intérêts versés à la société PBPCR 3 au titre du compte courant d'associé, ainsi qu'une fraction des intérêts versés à la société HPI au titre du prêt participatif. S'agissant de ce dernier, l'administration a considéré que seuls les intérêts calculés au taux moyen de marché, évalué à 2,466 % pour 2015 et 2,39 % pour 2016, étaient déductibles, l'excédent procédant d'un acte anormal de gestion.
Le TA de Paris a rejeté la demande de décharge de la société par un jugement du 25 mai 2021. En appel, la CAA de Paris a, par un arrêt du 17 mars 2023, partiellement fait droit aux prétentions de la contribuable s'agissant du compte courant d'associé, admettant la déduction des intérêts dans la limite du taux à l'article 39-3° du CGI, mais a confirmé la position de l'administration concernant le prêt participatif HPI.
MP16 s'est pourvu en cassation. Par une décision du 6 décembre 2023, le Conseil d'État a admis ce pourvoi en tant seulement qu'il portait sur la déduction des intérêts versés à la société HPI, rejetant le surplus des conclusions. Statuant au fond le 12 mars 2025, la Haute juridiction a annulé l'arrêt d'appel sur ce point et renvoyé l'affaire devant la CAA de Paris. La Cour vient de rendre sa décision.
La Cour administrative d'appel de Paris vient de rejetter l'intégralité des prétentions de MP16
- Elle entérine d'abord la méthode comparative de l'administration, qui avait établi un taux de marché d'environ 2,4 % à partir de cinq prêts consentis à des marchands de biens dans des conditions analogues de durée et de montant. Peu importe que ces comparables ne soient pas des prêts participatifs : les autres paramètres suffisent à fonder la comparaison.
- La Cour écarte ensuite l'argument de la prime de risque invoquée par la contribuable. L'impossibilité de consentir une hypothèque au prêteur HPI, du fait de l'engagement pris envers la BRED, ne justifie pas à elle seule un taux quatre fois supérieur au marché. La société n'a jamais démontré qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'obtenir un financement à des conditions normales, alors même qu'elle avait précisément obtenu un prêt bancaire de plus de 11 M. Au surplus, sa solvabilité étant intacte à la date du prêt, le risque de défaut était nul.
- C'est toutefois la communauté d'intérêts entre les parties qui scelle le sort du litige. Bien que MP16 ne soit pas formellement liée à HPI au sens de l'article 39-12 du CGI, M. B. cumulait les fonctions de dirigeant unique de la société mère de l'emprunteuse et de gérant-fondateur de la société prêteuse. Cette configuration révèle que l'absence de sûreté n'était pas une contrainte de marché subie, mais une facilité consentie entre parties liées. En acceptant de payer un taux de 10,20 % assorti d'un intéressement aux résultats sans justification économique réelle, la société s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt.
La Cour conclut que l'administration établit qu'en contractant un prêt participatif à un taux de 10,20 %, sans sûreté ni garantie au profit du prêteur, et avec un intéressement de 50 % aux bénéfices de l'opération, la société requérante s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt et a ainsi commis un acte anormal de gestion justifiant la réintégration de la fraction excessive des intérêts dans ses résultats imposables.