Accueil > Fiscalité du patrimoine > Droits de mutation > Abattement handicap et succession : la répercussion de l'invalidité sur la pension de retraite comme critère d'éligibilité
Droits de mutation

Abattement handicap et succession : la répercussion de l'invalidité sur la pension de retraite comme critère d'éligibilité

Nouvelle décision sur les conditions d'application de l'abattement spécifique prévu par l'article 779-II du CGI en matière de droits de mutation à titre gratuit. Elle confirme une approche économique de la notion d'incapacité de travailler dans des « conditions normales de rentabilité », en particulier lorsque l'héritier est retraité au jour de l'ouverture de la succession. Le juge rappelle la nécessité d'analyser l'historique de carrière pour démontrer le lien de causalité entre l'infirmité passée et le niveau de la pension de retraite perçue au moment du décès.

 

Pour mémoire, l'article 779-II du CGI dispose que pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, un abattement spécifique est appliqué sur la part de tout héritier, légataire ou donataire incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d'une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise.

 

Selon la doctrine administrative et la jurisprudence, si aucun pourcentage d'invalidité n'est fixé par la loi, le contribuable doit rapporter la double preuve de l'existence de l'infirmité au jour du fait générateur de l'impôt et de son incidence économique réelle, empêchant l'intéressé de se livrer à une activité professionnelle normale.

L'application de cet abattement ne résulte pas de la seule prise en compte d'un handicap réel mais est également justifiée par des considérations économiques liées à l'incapacité des intéressés de travailler dans des conditions normales de rentabilité.

 

À cet égard, lorsque la qualité de travailleur handicapé est reconnue par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, la circonstance pour une personne physique handicapée d'occuper un emploi aménagé, lui procurant de ce fait une rémunération modeste, n'est pas de nature à faire obstacle à l'application de l'abattement spécifique (RM Descoeur n° 33625, JO AN du 8 septembre 2009, p. 8536).

 

La difficulté apparait souvent lorsque l'héritier est déjà retraité au moment du décès de l'auteur de la transmission. L'administration fiscale a alors tendance à soutenir que l'infirmité n'a plus d'incidence économique directe, la pension de retraite étant perçue indépendamment de la capacité de travail actuelle. C'est sur ce terrain que s'est noué le litige soumis à la Cour d'appel d'Amiens.

 

Rappel des faits :

Monsieur LH est décédé le 19 février 2021, laissant pour héritier son fils, Monsieur IH Ce dernier a revendiqué le bénéfice de l'abattement 779 du CGI dans la déclaration de succession. L'administration fiscale a remis en cause cet avantage, notifiant un rappel de droits de succession de plus de 60 000 €. Elle soutient que l'héritier, retraité depuis 2013, ne remplissait pas les conditions requises au jour du décès.

Après le rejet de sa réclamation contentieuse, IH a saisi le TJ d'Amiens qui, par jugement du 19 avril 2024, a fait droit à sa demande et prononcé le dégrèvement des impositions.

 

L'administration a fait appel de la décision.

  • Elle fait valoir que l'héritier bénéficiait d'une pension de retraite depuis huit années au moment du décès de son père et qu'il avait même repris une activité professionnelle aménagée à temps partiel à partir de 2017. Pour le service vérificateur, cette reprise d'activité démontrait que la pathologie ne constituait pas un obstacle absolu au travail.
  • Elle souligne que le handicap est survenu tardivement (à l'âge de 55 ans) et n'a eu qu'une incidence marginale sur la carrière et le montant de la pension de retraite, calculée sur les 25 meilleures années.
  • Elle note enfin que le niveau global des revenus de l'intéressé a progressé sur la période considérée, contestant ainsi toute diminution significative de ressources liée à l'invalidité.

 

De son côté, le contribuable...

  • fait valoir qu'il a été placé en invalidité de première catégorie dès 2007, avec une capacité de travail réduite des deux tiers, percevant une pension d'invalidité jusqu'à l'âge légal de la retraite.
  • soutient que son invalidité a entraîné une baisse de revenus durant ses dernières années d'activité (période 2007-2013), lesquelles auraient dû être les plus rémunératrices et figurer dans le calcul du salaire annuel moyen.
  • souligne que la substitution automatique de la pension d'invalidité par la pension de retraite à l'âge légal l'a privé de la possibilité de poursuivre son activité pour améliorer sa retraite.
  • affirme que l'activité partielle exercée post-retraite n'était pas la preuve d'une capacité de travail retrouvée, mais la conséquence d'une nécessité économique due à la faiblesse de sa pension.

 

La Cour d'appel d'Amiens vient de confirmer le jugement de première instance validant ainsi l'application de l'abattement.

 

  • Concernant l'existence de l'infirmité

La Cour relève qu'il est constant que l'héritier a été placé en invalidité de première catégorie durant sa vie active, bien avant sa mise à la retraite. La condition tenant à la survenance de l'infirmité pendant la période d'activité est donc remplie.

 

  • Concernant l'incapacité de travailler dans des conditions normales de rentabilité

La Cour rejette l'analyse de l'administration. Le juge retient que l'invalidité a eu un impact tangible sur la carrière de l'intéressé. Il souligne que, bien que l'héritier ait maintenu un certain niveau de revenus grâce au cumul invalidité-salaire, sa carrière n'a pas connu un déroulement normal entre 2007 et 2013.

 

  • Concernant la reconnaissance de l'incidence de l'invalidité sur le montant de la retraite perçue au jour de la succession.

La Cour valide l'analyse selon laquelle les années d'invalidité, marquées par des revenus moindres, ont impacté négativement le calcul de la moyenne des meilleures années (le salaire annuel moyen). Par ailleurs, le départ à la retraite à l'âge légal, sans possibilité de prolongation du fait du régime d'invalidité, a cristallisé cette perte financière.

 

  • Enfin, s'agissant de l'activité exercée post-retraite

La Cour écarte l'argument de l'administration. Elle juge que le fait d'exercer un emploi aménagé modeste pour compléter une retraite insuffisante ne démontre pas une capacité de travail normale, mais vient au contraire corroborer l'insuffisance des ressources découlant de l'accident de carrière initial.

 

 

TL;DR

  • L'appréciation des « conditions normales de rentabilité » ne doit pas se faire au regard d'une incapacité absolue de tout gain, mais par comparaison avec ce qu'aurait été la situation économique de l'héritier sans l'infirmité.
  • Pour justifier l'abattement d'un retraité, il est indispensable de prouver que l'invalidité survenue durant la vie active a minoré la pension de retraite perçue au jour du décès (Notamment par le biais de la baisse du salaire annuel moyen).
  • La Cour confirme ici que le préjudice économique né de l'invalidité se perpétue au-delà de la liquidation des droits à la retraite, justifiant ainsi le maintien de l'abattement fiscal au jour de la succession

Publié le lundi 29 décembre 2025 par La rédaction

5 min de lecture

Avancement de lecture

0%

Partages :