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Droits de mutation

Autonomie du droit fiscal : la participation aux acquêts ne fait pas échec à la qualification de donation indirecte

Nouvelle illustration de la distinction entre les règles civiles du régime matrimonial et les principes du droit fiscal en matière de donation. En jugeant que le financement intégral par une épouse de la quote-part d'un bien indivis acquis par son mari constitue une donation indirecte taxable, et ce, malgré leur régime de participation aux acquêts, le tribunal rappelle que la qualification fiscale d'un acte s'apprécie au jour de sa réalisation, indépendamment des créances futures et hypothétiques pouvant naître à la dissolution du mariage.

 

Pour mémoire, l'article 894 du Code civil définit la donation entre vifs comme l'acte par lequel le donateur se dépouille « actuellement et irrévocablement » de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte. Pour être caractérisée, une donation requiert la réunion d'un élément matériel (un appauvrissement du donateur et un enrichissement corrélatif du donataire sans contrepartie) et d'un élément intentionnel, l'intention libérale (animus donandi).

 

Si les donations doivent en principe être passées par acte notarié, la jurisprudence admet de longue date la validité des donations indirectes, qui se réalisent par le biais d'un acte neutre (vente, virement, etc.) ne révélant pas en lui-même la libéralité. Sur le plan fiscal, l'article 757 du CGI soumet aux droits de mutation à titre gratuit les dons manuels révélés à l'administration, qualification étendue par la jurisprudence aux donations indirectes.

 

Au cas particulier, le cœur du débat réside dans l'articulation de ces principes avec le régime de la participation aux acquêts, régi par l'article 1569 du Code civil. Ce régime hybride fonctionne, durant le mariage, comme une séparation de biens : chaque époux conserve la pleine propriété, l'administration et la libre disposition de ses biens personnels. Ce n'est qu'à sa dissolution que naît, pour chaque conjoint, un droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets réalisés par l'autre, matérialisé par une « créance de participation ».

 

Rappel des faits :

Le 8 novembre 2005, les époux L. ont opté pour le régime de la participation aux acquêts par acte notarié homologué par le TGI de Versailles le 27 février 2007. Le 22 juin 2017, les époux ont acquis en indivision un bien immobilier situé dans le Var pour un prix de 1 700 000 €, chacun devenant propriétaire de 50 % en pleine propriété. 

Suite à un contrôle, l'administration fiscale découvre que l'intégralité du prix a été payée au moyen de fonds propres de l'épouse, issus d'une distribution de dividendes (3 800 000 € ) qu'elle avait perçue en sa qualité d'associée unique d'une SPFPL. Un virement de 2 413 000 € avait été effectué sur le compte bancaire des époux le 5 mai 2017, puis les sommes nécessaires à l'acquisition avaient été versées à l'étude notariale. L'absence de mention de l'origine des fonds dans l'acte de vente et l'absence de reconnaissance de dette entre les époux ont conduit l'administration a  qualifier le financement de la part du mari (850.000 €) de donation indirecte et lui a notifié un redressement au titre des droits de mutation à titre gratuit, assorti d'intérêts de retard et d'une majoration. 

Le contribuable a, par courrier du 8 janvier 2021, contesté cette qualification en s'appuyant principalement sur les spécificités du régime matrimonial adopté. L'administration a maintenu sa position par courrier du 8 avril 2021, puis définitivement après un recours hiérarchique organisé le 10 juin 2021.

 

M.L a saisi le juge judiciaire.

 

Devant le tribunal, M.L :

  • soutient que l'élément matériel de la donation faisait défaut, car l'appauvrissement de son épouse n'était pas irrévocable. En finançant sa part, elle avait simplement fait naître à son profit une créance qui serait prise en compte lors de la liquidation future du régime. Son enrichissement n'était donc que temporaire et la conséquence mécanique du régime matrimonial, et non d'une libéralité.
  • se prévaut d'une absence d'intention libérale, l'obstacle moral inhérent à la relation conjugale justifiant l'absence de reconnaissance de dette formelle.
  • fait valoir qu'il dispose de ressources régulières significatives lui permettant de rembourser l'avance consentie, de sorte que sa situation financière ne pouvait constituer un élément de preuve de l'intention libérale. 

L'administration fiscale, quant à elle, affirme que le fait générateur de l'imposition était l'acquisition du 22 juin 2017. À cette date précise, le régime fonctionnant comme une séparation de biens, les fonds de l'épouse étaient des biens propres. En les utilisant pour payer la part de son mari sans contrepartie immédiate et formalisée, elle s'était bien dépouillée de manière irrévocable, provoquant son appauvrissement et l'enrichissement de son conjoint. La future et éventuelle créance de participation à la dissolution du mariage était un événement postérieur et incertain, sans incidence sur la qualification de l'opération au jour de sa réalisation. L'intention libérale était, selon elle, démontrée par un faisceau d'indices : l'absence de toute mention d'un prêt ou d'une avance dans l'acte d'acquisition et le manque de transparence sur l'origine des fonds.

 

Le Tribunal vient de débouter M. L de sa demande

 

Le Tribunal a validé le raisonnement de l'administration fiscale en rejetant l'argument fondé sur le régime matrimonial.

 

Le juge rappelle  qu'il convient de se placer à la date du fait générateur des droits d'enregistrement, soit le jour de l'acte d'acquisition. Or, à cette date, en vertu de l'article 1569 du Code civil, les époux étaient dans une logique de séparation de biens. La créance de participation n'étant qu'un droit potentiel ne naissant qu'à la dissolution du régime, elle ne pouvait constituer la contrepartie du transfert de fonds opéré en 2017.

 

Le tribunal en conclut que l'épouse s'est bien..

« dessaisie immédiatement et irrévocablement de fonds qui lui étaient propres »,

...caractérisant ainsi l'élément matériel de la donation. Cela résulte de l'absence de toute formalisation d'une créance de remboursement et de l'impossibilité pratique pour Madame L. de récupérer les fonds versés. Le tribunal écarte ainsi l'argumentation fondée sur la créance de participation potentielle.

 

L'enrichissement corrélatif de Monsieur L. est établi par son acquisition de la moitié du bien immobilier sans en avoir payé le prix. Le tribunal souligne que cet enrichissement est définitif au moment de l'acquisition, indépendamment des mécanismes ultérieurs de liquidation du régime matrimonial. 

 

Concernant l'élément intentionnel, le juge se fonde sur un faisceau de présomptions :

  • Il relève que l'origine des fonds n'a été mise au jour qu'à la suite des investigations de l'administration,
  • l'acte de vente était silencieux sur une quelconque obligation de remboursement
  • et que le contribuable ne produisait aucun élément prouvant sa capacité à rembourser sa quote-part à l'époque.

Cette conjonction d'éléments, notamment le déséquilibre manifeste et l'absence de formalisation d'une contrepartie, suffisait, pour le juge, à établir l'intention libérale.

 

TL.DR

  • Cette décision nous rappelle qu'il est important de formaliser les flux financiers entre époux, même sous un régime de participation aux acquêts.
  • Pour échapper à la qualification de donation indirecte, les époux auraient dû matérialiser l'opération par un acte de prêt, même sous seing privé, assorti de conditions claires, afin de combattre efficacement la présomption d'intention libérale retenue par l'administration et confirmée par le juge.

 

Publié le mercredi 11 juin 2025 par La rédaction

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