Quelle est la date à retenir pour l'imposition des dividendes portés au crédit d'un compte courant d'associé ? Cette décision rappelle les conditions dans lesquelles un contribuable peut être considéré comme ayant eu connaissance de la mise à disposition des dividendes, élément déterminant pour leur rattachement à l'année d'imposition.
En matière d'imposition des revenus distribués, l'article 158 du CGI prévoit que les dividendes perçus par les personnes physiques sont imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des RCM.
Par ailleurs et conformément à la règle posée par l'article 12 du CGI, l'impôt porte, pour une année donnée, sur les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères dont le contribuable a disposé au cours de la même année.
Sont donc imposables les sommes mises à la disposition du contribuable au cours de l'année d'imposition, soit par voie de paiement (versement en numéraire, paiement par chèques, virement en banque, etc.), soit par voie d'inscription au crédit d'un compte courant sur lequel l'intéressé a fait ou aurait pu faire un prélèvement au plus tard le 31 décembre de l'année considérée.
La jurisprudence et la doctrine administrative ont précisé ce principe de "mise à disposition" s'agissant des sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé. Selon une règle constante, ces sommes sont, sauf preuve contraire, considérées comme mises à la disposition du titulaire du compte au titre de l'année au cours de laquelle elles ont fait l'objet de l'inscription en compte.
La doctrine administrative référencée BOI-IR-BASE-10-10-10-40 n°140, invoquée par la contribuable, précise les conditions d'application de ce principe, notamment en ce qui concerne la connaissance que le contribuable pouvait avoir de la mise à disposition des sommes.
La présomption de disponibilité peut être détruite par la preuve contraire, qui peut résulter, soit d'une clause d'indisponibilité, soit du blocage d'un compte courant.
Ainsi, les salaires d'un dirigeant de société inscrits au crédit de son compte courant bloqué par décision de l'administrateur judiciaire ne peuvent être considérés comme disponibles (CE, arrêt du 24 février 1971, n° 78783).
De même, un complément de salaire inscrit au compte courant d'un directeur commercial de société le dernier jour de l'année ne peut être considéré comme mis à la disposition de l'intéressé au titre de la même année dès lors qu'en dépit de l'importance de ses fonctions et de sa qualité d'actionnaire, il n'avait pas un accès constant aux écritures sociales ou un pouvoir de décision à leur sujet. Le bénéficiaire n'a la disposition des sommes en cause que l'année suivante (CE, arrêt du 29 mai 1974, n° 92843).
Des revenus bloqués à l'étranger par suite de circonstances diverses ne seront considérés comme disponibles qu'à partir du moment où ils seront débloqués ou utilisés sur place.
Pour mémoire, dans une affaire jugée le 21 décembre 2022 par le Conseil d'État relativement à l'imposition des dividendes inscrits en compte courant, des actionnaires d'un LBO avaient placé leurs dividendes en compte courant bloqué par une convention de subordination avec les banques. La haute juridiction a estimé que ces dividendes restaient imposables car les actionnaires étaient à l'origine de cette convention, même si elle était antérieure à la distribution
Rappel des faits :
Par une décision d'AGO annuelle du 30 décembre 2015, la société BC, dans laquelle Mme B détenait une participation de 25%, a décidé de procéder à une distribution de dividendes d'un montant de 230 000 €. Le 31 décembre 2015, les sociétés B et Fils et BC ont convenu, par le biais des comptes courants d'associés détenus par Mme B d'un mécanisme selon lequel la société B et Fils prendrait en charge le dividende pour son montant net, en contrepartie d'une réduction à due concurrence de la dette de cette société envers la société BC. En application de cet accord, le compte courant ouvert au nom de Mme B dans la comptabilité de la SARL B et Fils a été crédité, le 31 décembre 2015, de la somme de 36 512 €, correspondant à sa quote-part des dividendes distribués par la société BC.
L'administration fiscale a considéré que ces sommes devaient être imposées au titre de l'année 2015. Mme B a contesté cette position, soutenant qu'elle n'avait pas eu connaissance de ce crédit avant la fin de l'année 2015 et que le versement effectif des dividendes n'était intervenu que le 15 février 2016, conformément à ce que prévoyait le PV de l'AG.
Le tribunal administratif de Montreuil, saisi par Mme B a partiellement fait droit à sa demande en prononçant une réduction de la base imposable et la décharge correspondante, mais a rejeté le surplus de sa demande.
Contestant l'imposition des dividendes au titre de l'année 2015, Mme B a fait appel de ce jugement. Elle souligne :
- qu'elle n'avait pas connaissance, au 31 décembre 2015, de la mise à disposition de la somme correspondant aux dividendes sur son compte courant d'associé.
- que la doctrine BOFIP précitée (BOI-IR-BASE-10-10-10-40 n°140) est invocable en sa faveur, cette doctrine précisant les conditions dans lesquelles un contribuable peut être considéré comme ayant disposé des revenus portés au crédit d'un compte courant d'associé.
- que le paiement effectif des dividendes n'est intervenu que le 15 février 2016, conformément à ce que prévoyait le PV de l'AG du 30 décembre 2015.
La Cour administrative d'appel de Paris vient de confirmer le jugement du TA de Montreuil et de rejetter la requête de Mme B.
La Cour rappelle d'abord le principe selon lequel :
les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire, le caractère de revenus distribués et doivent être regardées comme mises à la disposition du titulaire de ce compte au titre de l'année au cours de laquelle elles ont fait l'objet de l'inscription en compte courant
La Cour souligne ensuite que Mme B a participé à l'AG du 30 décembre 2015 de la SARL BC, au cours de laquelle a été adoptée la décision de distribuer une partie des bénéfices réalisés par cette société au titre de l'exercice précédent. Bien que Mme B ne fût pas gérante des sociétés en cause, et malgré le fait que le PV de l'AG prévoyait un versement de dividendes au 15 février 2016, la Cour considère qu'elle n'établit pas qu'elle était dans l'impossibilité d'avoir connaissance, dès le 31 décembre 2015, de l'inscription de la somme en cause sur son compte courant.
Par conséquent, la Cour a jugé que l'administration pouvait légitimement imposer la somme litigieuse à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015.
TL;DR
- La Cour confirme la présomption selon laquelle les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé sont réputées disponibles dès l'année de leur inscription. Cette présomption peut être renversée, mais la charge de la preuve incombe au contribuable, qui doit démontrer qu'il était dans l'impossibilité d'avoir connaissance de cette inscription.
- Critères permettant d'apprécier si un contribuable pouvait avoir connaissance de l'inscription d'une somme sur son compte courant. La participation à l'assemblée générale ayant décidé la distribution de dividendes constitue un élément déterminant de cette appréciation. La Cour considère qu'un associé présent lors de cette assemblée est présumé avoir eu connaissance de la décision de distribution et, par extension, de l'inscription subséquente des sommes sur son compte.
- La Cour considère que la mention d'une date ultérieure de versement dans le procès-verbal ne suffit pas à reporter l'imposition à l'année suivante dès lors que les sommes ont été effectivement créditées sur le compte courant avant la fin de l'année en cours. C'est bien la date d'inscription effective en compte, et non la date de paiement prévue dans les résolutions de l'assemblée, qui détermine l'année d'imposition des dividendes.