Cette décision s’inscrit dans le prolongement du contentieux abondant relatif à la conformité de l’assujettissement des non-résidents aux contributions sociales françaises avec le droit de l’Union européenne. Il apporte une clarification concernant l'application du règlement européen n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, particulièrement en matière d'assujettissement aux contributions sociales françaises sur les plus-values immobilières réalisées par des ressortissants européens.
Pour mémoire, le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, applicable depuis le 1er mai 2010, a été étendu par voie d'accords internationaux à la Confédération suisse ainsi qu'aux États membres de l'Espace économique européen (EEE). Ce règlement vise à coordonner les systèmes de sécurité sociale entre les États concernés afin d'éviter les situations de double assujettissement ou, à l'inverse, l'absence de protection sociale des personnes exerçant leur droit à la libre circulation.
L'article 2, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que celui-ci s'applique "aux ressortissants de l'un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants". L'article 1, point j) précise que "le terme 'résidence' désigne le lieu où une personne réside habituellement".
Un principe fondamental posé par l'article 11, paragraphe 1, du règlement est que "les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre". Ce principe d'unicité de législation applicable vise à éviter les situations de double cotisation ou d'absence de couverture sociale.
En France, les plus-values immobilières réalisées par les personnes physiques sont soumises, outre l'impôt sur le revenu, aux prélèvements sociaux même lorsque ces plus-values sont réalisées par des non-résidents sur des biens situés en France. Rappelons que c’est la seconde loi de Finances rectificative pour 2012 (LFR-II pour 2012 du 16 août 2012) qui a étendu les prélèvements sociaux aux revenus immobiliers (revenus fonciers et plus-values immobilières) de source française perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France.
Puis, dans son arrêt du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (Affaire « de Ruyter »C-623/13) suivant les conclusions de l’avocate générale, a jugé que les revenus du patrimoine des résidents français qui travaillent dans un autre État membre ne pouvaient pas être soumis aux contributions sociales françaises. Le Conseil d’Etat a, le 27 juillet 2015 , confirmé la décision de la CJUE et suivi son raisonnement. En pratique, il ressortait de ces décisions qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE autre que la France ne pouvait être soumise à la CSG sur les revenus du patrimoine.
Par un tour de passe-passe, la LFSS pour 2016 a répondu à cette jurisprudence en maintenant dans la sphère sociale le produit des prélèvements sur les revenus du capital mais en l’affectant hors des régimes de sécurité sociale au sens du droit de l’Union, c’est-à-dire aux organismes servant des prestations non contributives non conditionnées à l’affiliation à un régime français. Partant depuis le 1er janvier 2016, les contribuables résidents dans l’UE ou dans un états tiers à l’UE étaient assujettis aux prélèvements sociaux (PS) sur les revenus du capital.
Cet assujettissement aux prélèvements sociaux a pris fin au 31 décembre 2018. En effet, l'article 26 de la LFSS pour 2019 a institué une exonération de CSG et de CRDS, pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2019, au titre des plus-values immobilières imposées au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du CGI réalisées par des personnes qui, par application des dispositions du règlement (CE) n° 883/2004 , relèvent en matière d'assurance maladie d'une législation soumise à ces dispositions et qui ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français.
Dans ce cas, seul le prélèvement de solidarité de 7,5 % est dû, dans la mesure ou il est affecté au budget de l’État et non au financement de la sécurité sociale (Art. 235 ter du CGI) Ces dispositions s’appliquent aux plus-values réalisées au titre des cessions intervenues depuis le 1er janvier 2019. L’administration a intégré cet aménagement à la faveur d’une mise à Jour de la Base BOFIP-Impôt en date du 19 avril 2019 sous la référence BOI-RFPI-PVINR-20-20.
Quid des non résidents d’un État tiers à l’UE ?
Lors des débats parlementaires relatifs à la LFSS pour 2019 les députés n’ont pas souscrit à cette exonération s’agissant des résidents non communautaires. En effet, les amendements 564 et 782 visant à exonérer de CSG et de CRDS l’ensemble des Français de l’étranger, « qu’ils résident à Abidjan, à Genève, à New York, à Jérusalem, à Agadir ou ailleurs » ont été rejeté. Par ailleurs par décision n° 2016-615 QPC du 9 mars 2017, le Conseil Constitutionnel a jugé que la CSG sur les revenus du patrimoine d’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un Etat tiers à l’UE était conforme à la constitution.
Enfin, la CJUE, a jugé le 18 janvier 2018, affaire C‑45/17 que les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ne s’opposaient pas à la législation Française contestée qui soumet en France aux prélèvements sociaux les revenus du capital d’un ressortissant français résident dans un État tiers (Chine) alors qu’un ressortissant de l’UE relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en serait exonéré.
Rappel des faits :
En l’espèce, M. B, ressortissant allemand, a cédé un bien immobilier situé à Antibes en mai 2016. À ce titre, l’administration fiscale française lui avait appliqué, outre l’impôt sur le revenu au taux de 19 %, les prélèvements sociaux (CSG, CRDS....) au titre de l’article 29 de la loi de finances rectificative pour 2012 susvisé. Le requérant a soutenu que ces prélèvements étaient contraires au règlement (CE) n° 883/2004 dès lors qu’il était affilié à un régime de sécurité sociale étranger, en l’occurrence suisse. Il en déduisait que, conformément au principe d’unicité de la législation applicable, il ne pouvait être assujetti à des prélèvements sociaux au titre de la législation française.
Par un jugement du 7 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de décharge présentée par M. B ce que la cour administrative d’appel de Paris a confirmé par un arrêt du 20 décembre 2023. Cette dernière a estimé que M. B ne pouvait invoquer le bénéfice du règlement européen dès lors qu’il ne justifiait pas de sa résidence, en 2016, dans un État de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou en Suisse. Pour la cour, la condition de résidence figurait parmi les exigences de l’article 2 du règlement (CE) n° 883/2004.
M. B s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'État, demandant l'annulation de cet arrêt et, subsidiairement, la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.
Bien que l'arrêt ne détaille pas tous les arguments de M. B, on comprend que ce dernier soutient que son assujettissement aux contributions sociales françaises sur sa plus-value immobilière est contraire au principe d'unicité de législation applicable posé par le règlement n° 883/2004. Il fait valoir qu'en tant que ressortissant allemand affilié au régime de sécurité sociale obligatoire en Suisse, il ne pouvait être soumis simultanément aux prélèvements sociaux français, et ce indépendamment de sa résidence.
Le Conseil d'État vient de censurer cette interprétation en considérant que la cour avait commis une erreur de droit.
Il précise que si la condition de résidence prévue par le règlement s'applique aux apatrides et aux réfugiés,
il en va différemment pour les ressortissants de l'un des États membres de l'Union européenne, de la Confédération suisse ou de l'un des États membres de l'Espace économique européen, auxquels le règlement du 29 avril 2004 s'applique, sans condition de résidence, dès lors que ces personnes sont ou ont été soumises à la législation de sécurité sociale d'un ou plusieurs de ces États.
Pour la haute juridiction administrative, en considérant que la résidence était une condition nécessaire à l’application du règlement à un ressortissant allemand affilié en Suisse, la cour d’appel a commis une erreur de droit.
Cette décision s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la CJUE et du Conseil d'État qui, depuis plusieurs années, remettent en cause l'assujettissement aux prélèvements sociaux français des personnes déjà affiliées à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre. Après les arrêts de Ruyter (Susvisé) et Jahin (Susvisé), cet arrêt constitue une nouvelle étape dans la définition des contours de l'application du principe d'unicité de législation sociale.
Elle pourrait avoir des implications budgétaires significatives pour l'État français, en ouvrant la voie à de nouvelles réclamations de la part de ressortissants européens, suisses ou de l'EEE ayant été assujettis aux prélèvements sociaux français sur leurs plus-values immobilières, alors qu'ils étaient déjà affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État concerné, et ce quelle que soit leur résidence effective.
On peut même se demander si cette décision n'élargit pas le champ des bénéficiaires potentiels de l'exonération des prélèvements sociaux français. Ainsi, un ressortissant européen résidant hors de l'Union européenne, de la Suisse ou de l'EEE (par exemple aux États-Unis ou en Asie) pourrait néanmoins invoquer le règlement n° 883/2004 pour contester son assujettissement aux prélèvements sociaux français sur ses plus-values immobilières, à condition qu'il soit ou ait été soumis à la législation de sécurité sociale d'un État membre, de la Suisse ou d'un État de l'EEE.
Bref...affaire à suivre.