Le cabinet d’Onorio di Méo a introduit un recours pour excès de pouvoir contre un communiqué de presse du Ministère des finances du 20 octobre 2015 estimant que les conditions de remboursement de la CSG aux non-résidents ont été fixées à tort suite à la décision « De Ruyter ».
Le Conseil d’Etat dans une décision du 25 janvier 2017 vient de décider d’un renvoi à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité de la réglementation fiscale en cause, et notamment le traitement différencié des non-résidents selon leur lieu d’établissement, avec le principe de libre circulation des capitaux.
Cette nouvelle affaire dénommée « Jahin » semble bien être le prolongement de l’affaire « De Ruyter » , sur laquelle le Conseil d’Etat va être amené à se prononcer de nouveau, après prise de position de la CJUE, en précisant les modalités de remboursement de cette CSG : le remboursement de CSG n’est-il ouvert qu’aux non-résidents de l’Espace économique européen (ci-après EEE), est-il nécessaire de justifier d’une affiliation à une sécurité sociale étrangère ?
I. Genèse du contentieux CSG
Dans l’affaire De Ruyter jugée par le Conseil d’Etat le 27 juillet 2015 après une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après CJUE) le 26 février 2015, l’interdiction de cumul des législations en matière de sécurité sociale avait été appliquée aux revenus patrimoniaux en application du règlement n° 1408/71 et le principe d’unicité de la législation applicable avait ainsi été consacré. Ce principe sous-entend que les non-résidents soumis depuis le 1er janvier 2012 aux prélèvements sociaux à raison de leurs revenus patrimoniaux peuvent réclamer un remboursement de ces prélèvements dès lors qu’ils ne sont pas affiliés à un régime de protection sociale français.
Le Ministère des finances dans un communiqué de presse du 20 octobre 2015 a ainsi fixé les modalités de remboursement des prélèvements sociaux sans toutefois satisfaire tous les non-résidents. En effet, si les services fiscaux reconnaissent la violation du principe d’unicité de la législation au niveau européen et autorisent le remboursement de la CSG aux non-résidents établis dans l’EEE, ils excluent cependant ce remboursement aux non-résidents établis dans un Etats tiers à l’EEE.
Ainsi, sur la base de ce communiqué de presse, l’Administration fiscale a suivi la position prise par le Ministre et a accueilli favorablement les seules réclamations de CSG des résidents d’Etats membres de l’EEE, à condition que ces derniers justifient d’une protection sociale dans leur pays. Les résidents d’Etats tiers à l’EEE ont systématiquement obtenu une décision de rejet de l’administration fiscale qu’ils doivent contester devant les tribunaux administratifs, dans l’attente d’une fixation du contentieux par le Conseil d’Etat.
Cette différence de traitement entre non-résidents selon le lieu d’établissement (dans ou hors EEE) est en soi très contestable . Ni les uns ni les autres ne bénéficient en effet des prestations de la sécurité sociale française. C’est donc l’enjeu du recours pour excès de pouvoir déposé devant le Conseil d’Etat le 3 mars 2016 par le cabinet D’Onorio Di Méo, pour le compte d’un résident chinois, Monsieur JAHIN. En effet, la prise de position du Ministère des finances dans le communiqué de presse du 20 octobre 2015 est notamment attaquable en ce qu’elle est contraire au principe européen de libre circulation des capitaux.
II. Les arguments soulevés dans l’affaire JAHIN
Au cas d’espèce, l’administration fiscale avait appliqué strictement le communiqué de presse à Monsieur JAHIN en lui refusant un remboursement de ses prélèvements sociaux payés entre 2012 et 2014 sur des revenus fonciers et des plus-values immobilières au motif que la CJUE dans sa décision du 26 février 2015 visait un règlement communautaire qui n’est pas applicable aux résidents d’Etats tiers.
Constatant une discrimination et une différence de traitement entre les résidents de l’EEE et les résidents d’Etats tiers, le cabinet D’Onorio Di Méo a contesté la légalité du communiqué de presse sur la base des arguments suivants.
-
Atteinte au principe de libre circulation des capitaux Le ministre refuse dans le communiqué de presse du 20 octobre 2015 l’application du principe d’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale à un résident d’Etat tiers à l’EEE considérant que la CJUE dans la décision de Ruyter visait un règlement communautaire, lequel ne peut s’appliquer qu’à l’égard d’un résident d’Etat membre de l’UE.
Or, dans une récente décision du Conseil d’Etat (CE du 20 octobre 2014 N° 367234), il avait été précisé, eu égard à l’imposition de la plus-value immobilière, que la différence de traitement fiscal entre les non-résidents de l’Union Européenne et les non-résidents d’Etats tiers était contraire au principe de libre circulation des capitaux prévu à l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE).
Dès lors, le communiqué de presse du 20 octobre 2015 en différenciant la situation des résidents de l’EEE et celle des résidents d’Etats tiers à l’EEE violent le principe communautaire de libre circulation des capitaux et de non-discrimination à l’encontre des résidents d’Etat tiers à l’EEE.
-
Violation du principe d’égalité devant l’impôt L’assujettissement des résidents d’Etats tiers à l’EEE aux prélèvements sociaux n’est justifié par aucune différence de situation si ce n’est une différence liée à leur nationalité ou à leur lieu de résidence. De tels éléments ne peuvent en aucun cas justifier une différence de traitement sans constituer une discrimination interdite par l’article 14 de la CEDH.
La prise de position de l’administration dans le communiqué génère donc une rupture d’égalité devant l’impôt qui n’est justifiée ni par une différence objective de situation ni par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit et viole donc le principe d’égalité devant l’impôt.
Dans une autre affaire que l’affaire Jahin et par un arrêt du 15 décembre 2016 (n°401716, 2016-615 QPC), le Conseil d’Etat a transmis au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à la différence de traitement entre les résidents d’Etats tiers à l’EEE et les résidents d’Etats membres de l’EEE. Le Conseil Constitutionnel jugera-t-il que cette différence de traitement constitue une atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ?
-
Violation des conventions bilatérales conclues par la France en matière de sécurité sociale Selon le gouvernement, le communiqué de presse n’a pas remis en cause le droit des résidents d’Etat tiers au remboursement des prélèvements sociaux français, lorsqu’une convention bilatérale conclue entre leur Etat de résidence et la France exclut une telle imposition.
Pourtant , même lorsque les résidents d’Etats tiers à l’EEE ne sont pas redevables des prélèvements sociaux sur leur revenu du patrimoine en vertu d’une convention bilatérale de sécurité sociale qui lie la France à leur Etat de résidence, ils ne peuvent pas en obtenir la restitution. Le communiqué de presse du 20 octobre 2015 exige en effet que la réclamation soit accompagnée d’un justificatif d’affiliation à un régime de protection sociale d’un pays membre de l’EEE. Il déroge donc aux conventions bilatérales qui permettent dans certains cas aux personnes affiliées à un régime de protection sociale d’un Etat hors EEE de bénéficier d’une exonération de cotisations. Il est donc illégal et pourra donc être annulé sur ce fondement.
III. La décision du Conseil d’Etat du 25 janvier 2017
Lors de l’audience publique du 6 janvier 2017, le rapporteur public, Monsieur VICTOR, a conclu à un sursis à statuer sur les conclusions de la requête et à un renvoi à la CJUE d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité de la réglementation fiscale en cause avec le principe de libre circulation des capitaux.
Par une décision en date du 25 janvier 2017, le Conseil d’Etat suit les conclusions du rapporteur public et vient de décider de renvoyer l’affaire à la CJUE par le biais d’une question préjudicielle sur l’application du principe de libre circulation des capitaux au cas précis des prélèvements sociaux des non-résidents imposés depuis 2012 en France sur leurs revenus patrimoniaux . Il est sursis à statuer sur la requête de Monsieur Jahin jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée.
De manière assez étonnante, le Conseil d’Etat refuse de prendre position sur l’interprétation de ce principe communautaire dans cette affaire , alors que dans une récente décision du 20 octobre 2014 (CE du 20 octobre 2014 N° 367234), il avait appliqué ce principe pour condamner le traitement différencié d’impôt sur la plus-value entre des résidents de l’Union européenne (imposé comme des résidents français) et des résidents d’Etats tiers (imposés à un taux supérieur de 33,33%).
Selon le cabinet D’ONORIO DI MEO, le Conseil d’Etat en décidant d’interroger la CJUE souhaite donner une force particulière à l’interprétation de ce principe eu égard à l’emblématique affaire de la CSG des non-résidents . La CJUE saisie de cette question préjudicielle va donc devoir prendre une décision dans le prolongement de l’arrêt de Ruyter et se prononcer sur la possibilité de traiter fiscalement différemment des individus.
Les suites données à l’affaire Jahin devant la CJUE devrait ainsi permettre à des milliers de non-résidents dans l’attente d’une décision sur leur réclamation de savoir s’ils obtiendront ou non le remboursement de leurs prélèvements sociaux . Ainsi, suite à la décision à venir de la CJUE, si le Conseil d’Etat annule le communiqué de presse en se basant sur la violation du principe de libre circulation des capitaux, les résidents d’Etats tiers à l’EEE qui ont introduit une réclamation dans les délais de prescription pourront obtenir le remboursement des prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine perçus avant 2015. Dans tous les cas, il est fortement conseillé à ces derniers de maintenir leur contestation après un refus de l’administration fiscale et de saisir le Tribunal Administratif afin de maintenir leur éventuel droit à remboursement.
Enfin, l’affaire Jahin relative à la CSG des non-résidents portée devant la CJUE donne une dimension internationale à cette problématique et si la France est à nouveau condamnée, le cabinet D’ONORIO DI MEO relève que c’est bien toute la législation sociale relative aux non-résidents qui pourraient être remise en cause et espère un abandon pour le passé et l’avenir de l’application de la CSG aux non-résidents sur leurs revenus patrimoniaux français.