Le juge de l'impôt nous rappelle en matière d'engagement de revendre que l'invocation de la force majeure ne saurait dispenser le contribuable de prouver des diligences continues et immédiates en vue de respecter ledit engagement
L'article 1115 du CGI prévoit une régime d'exonération des droits et taxes de mutation pour les acquisitions d'immeubles réalisées par des personnes assujetties à la TVA, à condition que l'acquéreur s'engage à revendre le bien dans un délai de cinq ans. Le non-respect de cet engagement entraîne la déchéance du régime de faveur et le rappel des droits de mutation au taux de droit commun, assortis d'intérêts de retard.
Une exception à cette déchéance est admise en cas de force majeure, dont la définition est reprise à l'article 1218 du Code civil : un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées.
La doctrine BOFIP précise à cet égard :
Toutefois, il y aurait lieu de prendre en compte la force majeure invoquée par un acquéreur qui serait en mesure d'établir qu'à raison d'une circonstance présentant les caractères d'extériorité et d'imprévisibilité, il a été dans l'impossibilité insurmontable de vendre pendant toute la durée de son obligation.
La notion de force majeure, bien qu'elle ne soit pas spécifiquement définie en droit fiscal, trouve son fondement général à l'article 1218 du code civil qui dispose qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. La jurisprudence administrative et judiciaire a progressivement transposé cette notion au domaine fiscal, admettant qu'elle puisse constituer une cause exonératoire de responsabilité.
La force majeure se caractérise traditionnellement par trois conditions cumulatives : l'extériorité de l'événement par rapport au débiteur de l'obligation, l'imprévisibilité de cet événement au moment de la souscription de l'engagement, et l'irrésistibilité rendant impossible l'exécution de l'obligation malgré tous les efforts déployés par le débiteur.
Rappel des faits :
La SNC C a fait l'acquisition, par acte authentique du 16 juin 2016, d'un bâtiment à usage de bureaux et de stockage situé à Clermont-Ferrand, sur une parcelle de 36 ares 95 centiares, moyennant le prix de 870 000 €. L'acte notarié mentionnait expressément que l'acquéreur entendait utiliser ce bien pour un usage commercial et souhaitait bénéficier du régime spécial des achats effectués en vue de la revente en application des articles 1115 et 1020 du CGI.
La société s'est engagée à revendre ce bien dans un délai maximum de cinq ans. En contrepartie de cet engagement, elle a bénéficié d'une taxation à taux réduit au titre de la TPF.
Le délai de cinq ans expirait le 16 juin 2021. Constatant que l'engagement de revente n'avait pas été respecté à cette échéance, l'administration fiscale a adressé le 4 avril 2022 à la SNC Clermont une proposition de rectification contenant un rappel des droits normalement dus. La SNC C a contesté ce rehaussement. Sa réclamation ayant été rejetée, la société a alors assigné l'administration devant leTJ de Clermont-Ferrand qui, par jugement du 27 novembre 2023 l'a débouté. La SNC Clermont a fait appel de cette décision.
Sur le fond, la SNC C invoque l'existence d'un cas de force majeure l'ayant empêchée de respecter son obligation de revendre le bien dans le délai de cinq ans. En effet, elle impute l'échec de la revente dans le délai imparti aux effets de la crise COVID-19 qui a, selon elle, paralysé l'économie française et l'économie mondiale dès le début de l'année 2020. Elle précise avoir finalement pu procéder à la revente du bien le 16 juillet 2024, lorsque la situation économique était redevenue favorable.
La Cour vient de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.
Tout d'abord, la Cour a relevé l'inertie initiale du contribuable
Elle s'est étonnée que la société ait attendu près de deux ans et quatre mois après l'acquisition pour confier un mandat de vente à un professionnel de l'immobilier en octobre 2018. Ce "délai anormalement long" de mise en œuvre des diligences nécessaires à la revente affaiblit considérablement l'idée que la société a tout mis en œuvre pour respecter son engagement. L'irrésistibilité de l'événement ne peut être reconnue si le débiteur de l'obligation n'a pas lui-même agi avec la célérité requise.
Puis la Cour a relativisé l'impact de la crise sanitaire
Tout en reconnaissant les périodes de confinement, elle note que leur durée cumulée (environ quatre mois et demi) était largement écoulée entre la date d'échéance de l'engagement (16 juin 2021) et la notification du redressement (4 avril 2022). Autrement dit, l'obstacle, bien que réel, n'était que temporaire et ne saurait justifier un retard de plusieurs années, la revente n'étant finalement intervenue qu'en juillet 2024.
Enfin la Cour a rappelé que le bénéfice du régime de faveur implique l'acceptation d'un aléa économique
La déchéance est encourue du "seul fait" du non-respect du délai. Le risque de ne pas trouver d'acquéreur en temps voulu est inhérent à l'activité de marchand de biens et à l'avantage fiscal sollicité. Une conjoncture économique défavorable, même aggravée par une crise sanitaire, relève de cet aléa commercial et non d'un cas de force majeure exonératoire.
En l'occurrence, il y a lieu d'abord de s'étonner qu'à compter de l'acte authentique de vente du 16 juin 2016, la SNC CLERMONT ait laissé s'écouler un délai de près de 2 ans et 4 mois pour conclure pour la première fois le 12 octobre 2018 un mandat de mise en vente de ce bien avec un professionnel de l'immobilier. Elle ne fournit en tout cas aucune explication sur ce délai anormalement long de diligences de remise en vente du bien dont la vente a fait l'objet sous condition de cette exonération fiscale. De plus, l'ADMINISTRATION FISCALE n'a de fait pas manqué de tenir compte des périodes de confinement généralisé et de gênes plus particulièrement occasionnées aux mouvements de population et à l'économie française du fait de la pandémie mondiale de Cvid-19 au cours des périodes respectives du 17 mars au 10 mai 2020, du 30 octobre au 14 décembre 2020 et du 3 avril au 2 mai 2021 dès lors que la totalité de ces périodes d'une durée maximale de 4 mois 1/2 était largement expirée à compter de la date du 16 juin 2021 d'expiration du délai précité de cinq ans à la date du 4 avril 2022 de délivrance du courrier de rectification marquant l'introduction de cette procédure de redressement fiscal. Enfin, l'ADMINISTRATION FISCALE rappelle à juste titre que la déchéance du bénéfice de l'exonération fiscale prévue à l'article 115 du code général des impôts est encourue en raison du seul fait que les biens acquis n'ont pas été revendus dont le délai de cinq ans, le contribuable bénéficiant de cette mesure étant dès lors censé connaître cet aléa dès le début de cette opération..
TL;DR
- Le contribuable doit être en mesure de prouver des diligences continues et immédiates en vue de respecter son engagement de revendre
- Toute période d'inaction injustifiée est susceptible de ruiner l'argumentation fondée sur la force majeure, car elle rompt le lien de causalité exclusif entre l'événement invoqué et l'inexécution de l'obligation.