Cette décision, qui rejette les prétentions d'une société holding animatrice nous confirme la position restrictive de l'administration et de la jurisprudence concernant la qualification des abandons de créances intragroupes et les conditions de leur déductibilité fiscale.
Pour mémoire, l'article 38 du CGI, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209, définit le bénéfice imposable comme le bénéfice net constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période d'imposition.
L'article 39-1 du CGI prévoit que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, sous réserve des exceptions prévues par la loi.
Parmi ces exceptions, le 13 de l'article 39 dispose que :
sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l'exception des aides à caractère commercial.
Toutefois, cette exclusion ne s'applique pas dans deux situations particulières :
- Lorsque les aides sont consenties en application d'un accord homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ;
- Lorsque les aides sont consenties aux entreprises pour lesquelles une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte.
Dans ces cas particuliers, les aides qui ne revêtent pas un caractère commercial sont néanmoins déductibles, mais de façon limitée.
La jurisprudence a précisé les conditions dans lesquelles un abandon de créance peut être considéré comme ayant un caractère commercial. Il doit notamment exister un intérêt commercial direct pour la société qui consent l'abandon, distinct du simple intérêt capitalistique lié à sa qualité d'associé.
Cet intérêt doit être apprécié au regard de l'activité propre de la société qui consent l'aide, et non au regard d'un intérêt de groupe.
Rappel des faits :
La société CD, société holding animatrice, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2017 et 2018. Au cours de cette période, elle a comptabilisé en charges déductibles des abandons de créances au bénéfice de sa filiale, la société CR, pour un montant de 750 000 € au titre de l'année 2017 et 435 000 € au titre de l'année 2018. Ces abandons de créances étaient assortis d'une clause de retour à meilleure fortune.
À l'issue du contrôle, l'administration fiscale a considéré que ces abandons de créances constituaient des aides à caractère financier et non commercial, et a donc réintégré ces montants dans les résultats imposables de la société. Cette position a été formalisée dans une proposition de rectification du 23 septembre 2020.
La société a présenté une réclamation le 6 octobre 2021, qui a été rejetée par l'administration fiscale le 15 mars 2023. La société CD a alors saisi le Tribunal administratif de Pau le 28 avril 2023, demandant la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2017 et 2018, ainsi que la reconstitution de son déficit au titre de l'année 2018.
La société CD soutient principalement que :
- Les abandons de créance consentis à sa filiale CR ont un caractère commercial et sont fiscalement déductibles. Elle fait valoir que ces abandons relèvent d'un intérêt de groupe et ont permis la préservation de l'implantation commerciale et stratégique sur le bassin économique de l'Île de la Réunion de la société Cancé Réunion.
- Le déficit au titre de l'année 2018 était reportable et les conditions étaient remplies pour qu'il lui soit transféré.
Le Tribunal administratif de Pau a rejeté l'ensemble des arguments de la société requérante et a confirmé la position de l'administration fiscale.
Sur le fond, le tribunal a rappelé qu'en principe, les aides consenties à une autre entreprise sont exclues des charges déductibles, à l'exception des aides à caractère commercial. Cette exclusion ne s'applique pas aux aides consenties aux entreprises faisant l'objet d'une procédure collective.
Le tribunal a relevé que la société requérante n'établissait pas que la société CR aurait fait l'objet d'une procédure collective ou rencontré des difficultés économiques. Par ailleurs, même si de telles difficultés avaient existé, la société n'établissait pas qu'elles auraient été préjudiciables au développement de sa propre activité ou de nature à compromettre la poursuite de son exploitation, alors que les prestations facturées à la société CR représentaient moins de 5% de son chiffre d'affaires.
Le tribunal a également noté que, selon les mentions non contestées de la proposition de rectification, les abandons de créances avaient été consentis "compte tenu de la situation actuelle financière" de la filiale, ce qui confirmait leur caractère financier prépondérant.
Enfin, le tribunal a rappelé un principe jurisprudentiel essentiel : c'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise qui consent l'aide, et non d'un intérêt de groupe, que doit être apprécié le caractère normal ou anormal de sa gestion. Ainsi, l'argument selon lequel les aides auraient permis de limiter les répercussions négatives sur les autres filiales du groupe et de préserver les relations commerciales intra-groupe n'a pas été retenu.
Par conséquent, le tribunal a jugé que les abandons de créance en litige ne constituaient pas des aides commerciales déductibles au sens de l'article 39-13 du CGI et que l'administration fiscale était fondée à les réintégrer aux résultats imposables de la société Cancé Développement.
TL;DR
- Pour être qualifiée de commerciale, une aide doit répondre à un intérêt commercial propre de la société qui la consent, distinct de son simple intérêt d'actionnaire. Cette distinction reste souvent difficile à établir dans le cadre de relations intragroupes, où les intérêts économiques et financiers sont étroitement imbriqués.
- L'intérêt de groupe ne constitue pas, en tant que tel, une justification suffisante pour caractériser le caractère commercial d'un abandon de créance.
- Les difficultés de la filiale bénéficiaire de l'aide doivent être établies et, doivent présenter un risque réel pour l'activité de la société qui consent l'aide. En l'espèce, le fait que les prestations facturées à la filiale ne représentaient qu'une part minime du chiffre d'affaires de la société mère (moins de 5%) a été un élément déterminant pour écarter l'existence d'un intérêt commercial direct.