Le juge de l'impôt nous rappelle les conditions d'exercice de l'option pour le régime spécial d'imposition des revenus de concession de licences d'exploitation de logiciels prévu à l'article 238 du CGI. Il confirme qu'un contribuable peut valablement solliciter le bénéfice de ce régime par voie de réclamation contentieuse jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article R. 196-1 du LPF , sans que puisse lui être opposée l'absence d'option dans sa déclaration de résultats initiale. Le juge nous apporte également des précisions sur les modalités d'application du régime de l'article 238 du CGI aux solutions logicielles de type SaaS et sur l'étendue de l'obligation documentaire prévue à l'article L. 13 BA du LPF.
Pour mémoire, le régime de l’ « IP Box » ou « Patent Box » permet aux entreprises de bénéficier d’un taux d’imposition réduit de 10 % sur les revenus issus de la vente de licences et/ou de la cession de certains actifs de propriété intellectuelle (brevets).
Mis en place dans le cadre de la loi de finances pour 2019 (Art. 238 du CGI), ce dispositif vise à encourager les investissements en recherche et développement (R&D) en France pour le développement d’actifs de propriété intellectuelle. Il impose le résultat net de cession et de concession de certains actifs de propriété Intellectuelle (brevets, les certificats d’utilité, les certificats d’obtention végétale, les logiciels protégés par le droit d’auteur ou encore certains procédés de fabrication industriels) – à un taux dérogatoire à celui des autres résultats : 10 % au lieu de 15 % et 25% pour les entreprises soumises à l’IS ou 12,8 % au lieu du barème progressif pour les entreprises relevant de l'IR.
L’IP Box a également pour objectif de dissuader les entreprises de transférer leurs actifs immatériels vers des juridictions à faible imposition, telles que le Luxembourg ou l’Irlande, en offrant un cadre fiscal compétitif en France.
Ce mécanisme calcule le résultat imposable en soustrayant aux revenus de l'actif les dépenses de R&D y afférentes, montant ensuite pondéré par le ratio « nexus » qui proportionne l'avantage fiscal à la réalité des travaux de recherche directement réalisés par l'entreprise ou des sous-traitants indépendants. L'option pour ce régime, qui s'exerce par actif ou famille d'actifs via une annexe à la déclaration de résultat, implique une imposition séparée du bénéfice net et engage l'entreprise de manière irrévocable en cas de sortie du dispositif.
Enfin, l'application de ce régime est conditionnée au respect de l'article L. 13 BA du LPF, qui oblige le contribuable à tenir à disposition de l'administration, en cas de contrôle, une documentation spécifique justifiant l'organisation de la R&D, la traçabilité des actifs et le détail des calculs du ratio.
Pour mémoire, dans le cadre des débats sur le PLF 2025, la Commission des Finances du Sénat avait adopté un amendement proposant de modifier le régime de l'IP Box en augmentant de 10% à 15% le taux d'imposition applicable aux revenus de la propriété industrielle. Toutefois en séance publique la mesure avait été rejetée.
Rappel des faits :
La société A, éditrice d'une solution logicielle SaaS de marketing, a sollicité par voie de réclamation contentieuse en novembre 2022 l'application rétroactive du régime de faveur de l'article 238 du CGI pour ses exercices 2019 et 2020, afin de bénéficier du taux réduit d'impôt sur les sociétés de 10 % sur ses revenus de licences.
Face au rejet de cette demande par l'administration en janvier 2023, la société a saisi le TA de Paris pour obtenir la restitution des impôts versés, mais l'administration a opposé une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours, arguant que le délai avait expiré suite à une notification envoyée en janvier. La société a contesté cette irrecevabilité en démontrant que le pli retourné avec la mention « destinataire inconnu » résultait d'une erreur postale et non de son fait, puisqu'elle n'avait pas encore déménagé, ce qui rendait la notification irrégulière et le recours recevable.
Sur le fond, le litige portait d'abord sur la possibilité d'opter pour ce régime fiscal a posteriori.
- L'administration soutenait que l'absence d'option dans la déclaration initiale constituait une décision de gestion opposable et définitive.
- La société quant à elle faisait valoir que la loi n'enferme pas l'exercice de cette option dans le seul délai déclaratif et que la jurisprudence permet la régularisation d'avantages fiscaux par voie de réclamation tant qu'aucune déchéance expresse n'est prévue.
- Enfin, s'agissant de la preuve de l'éligibilité, l'administration reprochait à la société de ne pas avoir fourni la documentation spécifique prévue à l'article L. 13 BA du LPF
- La société A a réfuté cet argument en rappelant que cette obligation documentaire ne s'applique qu'en cas de vérification de comptabilité et non au stade de la réclamation. Pour prouver son droit, elle a néanmoins produit devant le juge une analyse détaillée distinguant les revenus de licences éligibles des prestations de services (hébergement, maintenance), ainsi que les calculs du « ratio nexus » basés sur ses dépenses de recherche et développement, démontrant ainsi le respect des conditions de fond du régime de faveur.
Le Tribunal vient de faire droit à la demande de la société A
Le Tribunal a d'abord écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête en appliquant strictement les règles de preuve en matière de notification administrative.
Concernant la possibilité d'opter pour le régime de faveur par voie de réclamation
Sur le fond, le litige portait sur la possibilité de revendiquer le régime de l'article 238 du CGI a posteriori. L'administration fiscale, soutenait initialement que l'option pour ce régime de faveur devait être formulée dans la déclaration de résultat de l'exercice concerné, considérant implicitement que l'absence d'option constituait une décision de gestion opposable au contribuable.
Le tribunal a rejeté cette analyse.
- Il rappelle, en s'appuyant sur les dispositions de l'article 238 du CGI et les travaux parlementaires de la LF 2019, que le législateur n'a pas enfermé l'exercice de cette option dans un délai strict à peine de forclusion, ni conditionné son bénéfice à une demande formulée exclusivement lors du dépôt de la liasse fiscale.
Partant, une société qui a omis de se placer sous ce régime lors du dépôt de sa déclaration primitive conserve le droit de régulariser sa situation par voie de réclamation contentieuse jusqu'à l'expiration du délai général de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du LPF.
Concernant la preuve de l'éligibilité et l'obligation documentaire
L'administration reprochait à la société de ne pas avoir fourni les justificatifs nécessaires au stade de sa réclamation. Le juge écarte cet argument en distinguant deux niveaux d'obligations.
- D'une part, l'obligation documentaire spécifique prévue à l'article L. 13 BA du LPF, qui impose de tenir à disposition une documentation détaillée (description de la R&D, calcul du ratio Nexus, etc.), ne s'applique qu'en cas de vérification de comptabilité. Elle ne saurait être exigée au stade de la déclaration ou de la réclamation contentieuse comme condition de recevabilité de la demande.
- D'autre part, sur le terrain de la preuve du bien-fondé de l'impôt (Art. R. 194-1 du LPF), le tribunal constate que la société a produit devant lui des éléments probants suffisants :
- la nature de son logiciel SaaS (Software as a Service) protégé par le droit d'auteur,
- l'isolement des revenus tirés de la concession de licences (excluant l'hébergement et la maintenance),
- le montant des dépenses de R&D
- et le calcul du ratio Nexus en cohérence avec ses déclarations de CIR
Face à ces éléments le Tribunal a prononcé la décharge des impositions pour les années 2019 et 2020.
TL;DR
- L'option pour le régime de faveur « IP Box » (Art. 238 du CGI) n'est pas enfermée dans le seul délai de la déclaration de résultat. Les contribuables peuvent revendiquer ce taux réduit de 10 % par voie de réclamation contentieuse, tant que le délai général de réclamation est ouvert.
- Cette possibilité est toutefois conditionnée au fait que l'entreprise soit capable d'apporter la preuve de son éligibilité devant le juge, notamment en fournissant une documentation précise distinguant les revenus de licences éligibles des prestations de services (particulièrement pour les modèles SaaS) et justifiant le calcul du ratio nexus en cohérence avec la R&D engagée.