La décision rendue hier par le Conseil d'État marque l'aboutissement d'un contentieux important pour le marché de l'art. En censurant l'arrêt de la CAA de Paris, la Haute juridiction administrative transpose en droit interne la solution dégagée par la CJUE dans son arrêt du 1er août dernier : la livraison d'un objet d'art par un assujetti-revendeur peut relever du régime de la marge bénéficiaire même si l'acquisition a été faite auprès d'une personne morale, dès lors que deux conditions cumulatives sont remplies.
Pour mémoire, le litige s'est noué autour de l'interprétation de l'article 316 §1-b de la directive TVA 2006/112/CE, transposé à l'article 297 B du CGI (Abrogé). Ce dispositif permet aux galeries d'art, en leur qualité d'assujettis-revendeurs, d'appliquer la TVA uniquement sur leur marge bénéficiaire plutôt que sur le prix de vente total. Toutefois, l'administration fiscale, suivie par les juges du fond, refusait jusqu'alors le bénéfice de ce régime lorsque l'œuvre était acquise auprès d'une société interposée par l'artiste, au motif qu'une personne morale ne pouvait être qualifiée d'« auteur ».
Il convient de rappeler que ce contentieux s'inscrit dans une période charnière pour la fiscalité de l'art. Si la directive (UE) 2022/542 a harmonisé les taux à compter du 1er janvier 2025 en généralisant l'option pour le taux réduit de 5,5 %, l'affaire ici commentée, portant sur l'exercice 2014, demeure régie par l'ancien cadre où la différence de traitement entre la première vente (souvent à taux réduit) et la revente (à taux plein sauf option pour la marge) était source de contentieux majeurs.
S'appuyant sur la réponse préjudicielle de la CJUE, le Conseil d'État écarte définitivement l'approche littérale qui faisait de la personnalité physique de l'auteur une condition sine qua non. La haute juridiction administrative retient que l'interposition d'une structure sociétaire ne fait pas obstacle à l'application du régime de la marge, pour autant que deux conditions cumulatives, identifiées par le juge européen pour garantir l'effet utile de la directive, sont remplies :
- Premièrement, la livraison par la personne morale doit être « attribuable » à l'auteur. Sur ce point, le Conseil d'État reprend l'analyse de la CJUE selon laquelle cette situation est présumée lorsque l'auteur a fondé la personne morale pour la commercialisation de ses œuvres.
- Deuxièmement, la livraison doit constituer la première introduction de l'objet d'art sur le marché de l'UE.
Comme souligné dans notre commentaire sur l'arrêt de la CJUE, la documentation devient déterminante pour les professionnels. Pour bénéficier du régime de la marge dans cette configuration, les galeries devront désormais être en mesure de produire les statuts ou l'objet social de la structure vendeuse prouvant qu'elle a été constituée pour commercialiser les œuvres de l'artiste, ainsi que tout élément (mandats, certificats) attestant que la vente constitue bien la première entrée sur le marché de l'Union, à l'exclusion de toute vente antérieure à un assujetti ou à un collectionneur ayant déjà supporté la taxe.
L'affaire est renvoyée devant la CAA de Paris.
Si vous avez raté le début :
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