Le juge de l'impôt confirme qu'une société résidente de France ne peut imputer les pertes définitives de ses établissements stables situés dans d'autres États membres (Grèce et Portugal) dans la mesure où la France a renoncé à son droit d’imposer les résultats de ces établissements stables en application des conventions fiscales bilatérales signées avec lesdits États membres d’accueil de ces établissements stables.
Pour mémoire la loi encadre la détermination des résultats imposables des sociétés, notamment dans le cadre du régime de l’intégration fiscale. Ainsi l'article 209-I du CGI dispose que seuls les bénéfices réalisés en France, ou ceux dont l’imposition est attribuée à la France par convention internationale, doivent être pris en compte pour la détermination de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Les articles 223 A et 223 B du CGI quant à eux régissent la consolidation fiscale en précisant que la société mère, redevable unique de l’IS sur l’ensemble du groupe intégré, ne peut imputer les pertes des filiales ou établissements stables que dans les conditions fixées par ces dispositions.
Le droit international fiscal et le droit de l’Union européenne viennent également imposer des contraintes :
Ainsi, les conventions signées par la France avec la Grèce (du 21 août 1963) et le Portugal (du 14 janvier 1971) précisent que les bénéfices d’un établissement stable d’un État contractant sont imposables uniquement dans l’État où cet établissement stable est situé. Par conséquent, les pertes de ces succursales ne peuvent être imputées que selon les règles applicables dans leur État de résidence.
Par ailleurs, les articles 49 et 54 du TFUE garantissent la liberté d’établissement. La jurisprudence de la CJUE (notamment dans les arrêts A/S Bevola (C‑650/16) et WAG (C‑538/20)) rappelle que toute disposition fiscale qui crée une différence de traitement entre un établissement stable non résident et une succursale résidente doit être examinée au regard de la liberté d’établissement. Toutefois, une telle différence n’est pas illicite lorsqu’elle répond à des objectifs impérieux d’intérêt général, notamment la préservation du principe de territorialité.
Rappel des faits :
La société BNP Paribas Wealth Management, filiale intégrée au sein du groupe BNP Paribas, avait initialement déduit de ses résultats imposables en France les déficits fiscaux réalisés par ses succursales exploitées en Grèce et au Portugal. Ces succursales avaient cessé leur activité (suite au retrait de leur licence bancaire) respectivement en 2011 et 2012.
À la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 et 2012, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de ces déficits. Elle a ainsi réintégré les pertes dans le résultat imposable de BNP Paribas Wealth Management, entraînant la mise à la charge de la société BNP Paribas de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.
La société BNP Paribas avait saisi le tribunal administratif de Montreuil afin d’obtenir la décharge des impositions supplémentaires résultant de cette remise en cause. Le jugement du 27 avril 2023 a rejeté sa demande.
Voir notre article sur la décision du Tribunal : Non imputation des pertes réalisées à l'étranger sur la base des conventions fiscales : application française de la jurisprudence W AG
BNP Paribas a fait appel de la décision demandant l’annulation du jugement attaqué et la prononciation de la décharge des impositions contestées. La société soutient notamment que :
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- La décision WAG (C‑538/20) de la CJUE ne devait pas être appliquée, car la France avait renoncé, sur le fondement de son droit interne, à imposer les résultats des établissements stables non-résidents. Cette renonciation devait rendre les situations comparables et entraîner l’application d’un critère de proportionnalité.
- Conformément à l’arrêt A/S Bevola (C‑650/16), l’interdiction de déduire les pertes définitives subies par un établissement stable établi dans un autre État membre violerait la liberté d’établissement et imposerait à la France d’autoriser l’imputation des déficits des filiales européennes lorsque celles-ci ont épuisé toutes les possibilités de prise en compte dans leur État de résidence.
Elle soutient que la situation d'une société ayant une succursale à l'étranger était comparable à celle d'une société ayant une succursale en France.
De son côté l’administration fiscale soutient que les moyens invoqués par BNP Paribas ne sont pas fondés. Selon l’administration, l’imputation des pertes des succursales grecque et portugaise est expressément exclue par les règles de territorialité prévues par le CGI et par les dispositions des conventions fiscales conclues avec ces pays.
La Cour vient de rejeter l'appel de BNP Paribas.
Le juge rappelle que la détermination des résultats imposables en France tient compte uniquement des bénéfices réalisés sur le territoire français ou des résultats attribués par une convention fiscale. Ainsi, une société mère ne peut imputer que les pertes de ses filiales ou succursales dans les conditions strictement prévues par ces textes.
Les conventions fiscales précitées conclues entre la France et la Grèce et entre la France et le Portugal prévoient expressément que les bénéfices (et par extension les pertes) d’un établissement stable ne peuvent être imposés (ou déduits) que dans l’État où il est établi. En conséquence, l’impossibilité pour BNP Paribas Wealth Management d’imputer les pertes de ses succursales situées en Grèce et au Portugal découle directement de ces règles internationales.
Le juge examine la portée des arrêts A/S Bevola (Arrêt du 12 juin 2018 aff. C‑650/16) et WAG (Arrêt du 22 septembre 2022 aff. C‑538/20) précités
- L’arrêt A/S Bevola indique que l’octroi d’un avantage fiscal (ici, la déduction des pertes) à une succursale résidente n’est pas comparable à celui dont bénéficierait un établissement stable non-résident, sauf si la législation fiscale nationale assimile ces deux situations.
- Dans l’arrêt WAG, la CJUE a considéré que lorsqu’un État renonce, par le biais d’une convention préventive de double imposition, à imposer les résultats d’un établissement stable non-résident, la situation d’un établissement stable non-résident devient comparable à celle d’une succursale résidente. Toutefois, en l’espèce, la France n’a pas adopté une telle renonciation sur le fondement de son droit interne, mais s’appuie sur les règles conventionnelles et la territorialité fiscale.
Le juge conclut que la différence de traitement, consistant à ne pas permettre l’imputation des pertes subies par les succursales grecque et portugaise, est justifiée par le principe de territorialité et par les dispositions des conventions fiscales. Cette situation, bien qu’elle crée une disparité entre les établissements résidents et non-résidents, n’atteint pas la liberté d’établissement, dès lors qu’elle est fondée sur des règles d’imputation objectives et proportionnées visant à éviter la double imposition ou la double prise en compte des résultats.
Pour la Cour, le TA de Montreuil avait correctement appliqué les dispositions du CGI, les principes de territorialité et les conventions fiscales. En conséquence, il n’est pas établi que l’impossibilité d’imputer les pertes des succursales grecque et portugaise viole la liberté d’établissement ou constitue un traitement disproportionné.
Soulignons que la Cour a le même jour rendu deux autres décisions similaires concernant deux autres filales de BNP Paribas : la société Cortal Consors (Arrêt du 7 février 2025, n°23PA03233) et la société BNP Paribas Personal Finance (Arrêt du 7 février 2025, n°23PA02765)