Décision relative à la conformité du système français de taxation des avoirs dissimulés à l'étranger aux exigences du droit européen. Face aux critiques récurrentes visant le dispositif de l'article L. 23 C du LPF, le juge judiciaire confirme sa validité tout en précisant les conditions de sa mise en œuvre....en attendant que la Cour de cassation se prononce.
Le dispositif français de lutte contre la dissimulation d'avoirs à l'étranger s'articule autour de plusieurs textes complémentaires. L'article 1649-A du CGI impose aux résidents français de déclarer leurs comptes détenus à l'étranger, tandis que l'article L. 23 C du LPF organise une procédure spécifique de demande d'informations en cas de manquement à cette obligation.
Lorsque les justifications fournies s'avèrent insuffisantes, l'article 755 du CGI présume que les avoirs constituent un patrimoine acquis à titre gratuit, soumis aux droits de mutation au taux le plus élevé. Cette présomption peut porter sur la valeur la plus élevée connue au cours des dix années précédant la demande d'informations.
L'article L. 181-0 A du LPF étend le délai de reprise à dix ans pour les impositions assises sur des biens ou droits non déclarés situés à l'étranger, dérogeant au délai triennal de droit commun.
Rappel des faits :
M. T a fait l'objet d'un ESFP pour la période 2014-2016, déclenché par une information transmise par les autorités fiscales allemandes concernant des avoirs détenus à l'étranger. L'administration française a sollicité l'assistance des autorités suisses, qui ont confirmé l'existence d'un compte présentant un solde créditeur de 209 824 € en août 2009.
Face à l'absence de justifications satisfaisantes sur l'origine de ces fonds, l'administration a procédé à une taxation d'office d'un montant de 108 575 €, suivie d'un avis de mise en recouvrement en septembre 2018. Le contribuable a contesté ces impositions devant le tribunal judiciaire de Besançon, qui a rejeté sa demande en juin 2024.
M. T a fait appel de la décision.
Pour sa défense, M.T
- conteste d'abord la conformité du système français au droit européen, s'appuyant sur un arrêt de la CJUE du 27 janvier 2022 ayant censuré le dispositif espagnol d'imposition des avoirs à l'étranger pour défaut de prescription.
- soutient ensuite l'irrégularité de la procédure, arguant que l'administration ignorait le montant du solde créditeur lors du déclenchement de la procédure de l'article L. 23 C.
- revendique enfin sa qualité de co-titulaire du compte avec Mme Y pour obtenir une réduction de moitié de l'imposition.
L'administration fiscale réplique en soulignant l'existence d'un délai de prescription décennal dans le système français, contrairement au dispositif espagnol censuré. Elle établit par ailleurs que les informations sur l'approvisionnement du compte étaient connues dès octobre 2017, soit avant l'engagement de la procédure. Concernant la co-titularité, elle invoque l'absence d'éléments sur la répartition effective de propriété des fonds.
La Cour vient de confirmer la décision du TJ de Besançon
Nous aborderons ici seulement le premier argument, central et déterminant... la prescription.
M. T affirme que le droit de l'administration de reprendre les impositions en cas de non-déclaration de comptes étrangers aboutit, en pratique, à une imprescriptibilité en ce qu'elle permet un redressement à tout moment sur des revenus ou avoirs anciens. Toutefois, la cour d'appel a réfuté cette interprétation.
Elle a souligné que l'arrêt de la CJUE du 27 janvier 2022 concernait le dispositif espagnol qui ne prévoyait aucun délai de prescription, créant un effet d'imprescriptibilité contraire au principe de sécurité juridique. De même, l'arrêt du Conseil d'État du 23 juin 2014 visait le code des impôts de Polynésie française, également dépourvu de limitation temporelle.
À l'inverse, le système français prévoit expressément un délai décennal dans l'article L. 23 C, complété par l'article L. 181-O A du Livre des procédures fiscales. Cette limitation temporelle prive d'effet l'argumentation européenne du contribuable, dès lors que la prescription reste invocable.
La Cour a développé une réflexion intéressante sur la distinction entre prescription théorique et prescription pratique. Elle reconnaît que le dispositif pourrait...
...sous les apparences de la régularité et de la conformité au principe de sécurité juridique, le dispositif légal et réglementaire peut s'avérer d'une application difficultueuse et en toute hypothèse défavorable aux intérêts de la partie contrôlée si bien que la prescription, même prévue par les textes, peut s'avérer d'un usage contraint qui en assimile les effets à un régime d'imprescriptibilité
Cependant, elle a constaté que le contribuable ne démontrait aucun vice rédhibitoire spécifique qui empêcherait l'invocation de la prescription. Elle rappelle que...
...Il appartient, dans ces conditions, comme en toute autre matière, à celui à qui on impute une obligation d'administrer la preuve que sa mobilisation par voie d'action est éteinte par prescription. Il n'existe donc pas, au cas présent, d'effet d'imprescriptibilité qui mettrait à mal le système français d'imposition de biens situés à l'étranger.
La décision mentionne également la validation constitutionnelle de l'article L. 23 C du LPF par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 octobre 2021. Les juges relèvent qu'aucun grief relatif à l'absence de prescription n'avait été soulevé devant le juge constitutionnel, alors que plusieurs fondements auraient pu être invoqués.
Enfin, la Cour a abordé la question de l'application subsidiaire du droit commun de la prescription. Elle a précisé qu'en cas d'invalidation des textes spéciaux, le délai de prescription de six ans prévu par l'article L. 186 du LPF trouverait à s'appliquer, garantissant ainsi l'existence d'une limitation temporelle en toute hypothèse.
Il convient toutefois de nuancer la portée de l'arrêt de la Cour d'appel de Besançon à la lumière de l'affaire jugée par le Tribunal de Nanterre ( Décision du TJ de Nanterre du 11 juillet 2025 n° 23/07115) que nous avons évoqué le 23 juillet dernier et qui révèle la persistance des interrogations juridiques sur ce dispositif.
Pour mémoire, le TJ de Nanterre avait saisi la CJUE d'une question préjudicielle le 10 janvier 2024 sur la compatibilité du système français avec la libre circulation des capitaux, mais la Cour européenne a déclaré cette demande "manifestement irrecevable" le 20 mars 2025. Face à cette impasse, Nanterre a suspendu sa décision dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation prévu le 17 septembre 2025 sur des questions similaires.
Cette divergence d'appréciation entre juridictions illustre la complexité du sujet. Là où Besançon voit une prescription décennale suffisante pour protéger les droits du contribuable, d'autres tribunaux "perçoivent" un effet d'imprescriptibilité contraire aux principes fondamentaux.
L'arrêt de Besançon représente donc une position jurisprudentielle parmi d'autres dans un débat encore ouvert. La décision attendue de la Cour de cassation sera déterminante pour l'avenir du dispositif et pourrait contraindre le législateur à réviser le mécanisme...